Ceuta, douce prison : le paradoxe inhumain

Posté par MpM, le 28 janvier 2014, dans Critiques, Films.

ceutaUne ville baignée de soleil. La mer à deux pas. Une poignée de jeunes gens qui arpentent inlassablement les chemins de terre. Jonathan Millet et Loïc H. Rechi ont posé leur caméra à Ceuta, enclave espagnole au Nord du Maroc, coincée entre la Méditerranée et un mur de six mètres de hauteur, pour donner la parole et suivre ceux qui vivent là, enfermés dans cette prison à ciel ouvert qui sert de zone tampon entre l'Afrique et l'Europe.

Ils s'appellent Simon, Marius, Iqbal, Guy et Nur. Ils viennent du Cameroun, d'Inde ou de Somalie. Ils font partie du millier de migrants qui errent dans cette zone de 18km2 où il n'y a rien à faire, en attente d'une décision de justice qui les renvoie chez eux, ou au contraire leur octroie le précieux laissez-passer pour l'Europe.

Les réalisateurs les suivent dans leur quotidien répétitif hors du centre d'accueil : dans la rue où ils lavent les voitures pour quelques centimes, sur les parkings où ils guident les automobilistes, à la sortie des supermarchés où ils aident les clients à pousser leurs caddies trop remplis, mais aussi dans l'ennui de journées qui n'en finissent plus et au cours des conversations interminables sur le passé et l'avenir. Le passé, ce sont ces parcours terribles qui les ont menés jusqu'aux portes de l'Europe et dont on comprend qu'ils ne se remettront jamais. L'avenir, c'est le jour hypothétique, dans un mois ou dans cinq ans, où ils quitteront enfin Ceuta pour reprendre le cours de leur vie, que ce soit en Europe ou de retour chez eux.

Quelques scènes apportent un éclairage poignant sur leur situation, notamment lorsqu'ils se chamaillent pour se répartir les rares opportunités de travail, lorsqu'ils se racontent en boucle leur périple (terrifiant) à travers l'Afrique ou quand ils passent en revue les maigres chances qui s'offrent à eux. Il faut en effet savoir qu'une fois à Ceuta, les migrants n'ont plus aucune prise sur leur sort. Soit ils font une demande d'asile, avec le risque d'être déboutés et renvoyés d'où ils viennent, soit ils attendent que les autorités décident (plus ou moins arbitrairement) de les renvoyer ou de les libérer. Dans les deux cas, les instances décisionnelles ne sont soumises à aucun délai. Certains migrants attendent plusieurs années avant qu'on statue sur leur sort. D'autres sont expulsés soudainement. Tous survivent comme ils peuvent dans une ville qui n'a rien à leur offrir.

Ceuta, douce prison met en scène avec beaucoup de pudeur ce drame humain comme il y en a désormais dans tant de régions d'Europe, symbole terrifiant de la fermeture progressive du continent. On est avec eux dans un présent comme suspendu qui devient de plus en plus anxiogène et révoltant au fur et à mesure du récit. Bien que le film ne prenne jamais parti, l'incompréhension est grande face à un système qui broie aussi nonchalamment ses forces vives. Par peur et par paresse, ce sont des milliers d'êtres humains qui sont sacrifiés sur l'autel du protectionnisme frileux et de règles obscures qui ne prennent jamais en compte le simple facteur humain.

Toutefois, en laissant pleinement la parole à leurs personnages, les réalisateurs se font certes l'écho de leur détresse, mais aussi de leurs espoirs et de leur envie de vivre. Lorsqu'enfin l'un d'entre eux obtient son laissez-passer vers l'Europe, ils filment ainsi comme un ballet joyeux et spontané les félicitations et les congratulations dont il devient l'objet. C'est cette séquence, parmi toutes, que l'on gardera en mémoire, pour ne pas laisser l'indifférence et le désespoir gagner complétement la partie.

Tags liés à cet article : , , .

exprimez-vous
Exprimez-vous

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.