Tarantino flingue le site Gawker et autres pirates

Posté par vincy, le 28 janvier 2014

quentin tarantinoIl s'avouait déprimé. Il a décidé malgré tout de répliquer. Quentin Tarantino était désespéré d'avoir du abandonner son film The Hateful Eight. Il évoquait une publication sous forme de livre. Et désirait passer à autre chose. Un cinéaste qui est passé maître du buzz, de l'attente et du désir de ses fans, ne pouvait pas filmer un script qui avait fuité sur Internet (lire notre actualité du 22 janvier).

Mais comme dans un Western, la victime se rebiffe. Selon les informations révélées par The Hollywood Reporter hier soir, il a décidé d'attaquer le hors-la-Loi, le site internet Gawker, accusé d'avoir placé des liens vers des sites où l'on pouvait trouver le scénario. Une violation des droits d'auteur par un site que l'avocat de Tarantino, Evan Spiegel, définit comme du "journalisme prédateur".

Le vrai coupable?

Le réalisateur avait expliqué qu'il n'avait donné son scénario qu'à six personnes. En visant Gawker mais aussi les personnes, toujours pas connues, qui ont contribué à la violation du copyright de The Hateful Eight, Tarantino flingue à vue pour savoir qui est le véritable coupable. Il frappe fort en réclamant 1 million de dollars à chaque accusé. La plainte a été déposée au Tribunal de Los Angeles.

Gawker se défend, évidemment. John Cook, rédacteur en chef du site, explique comment le scénario a été propagé : "Quelqu'un, inconnu de Gawker, (l') a placé sur un site nommé AnonFiles, et quelqu'un d'autre, également inconnu de Gawker, l'a mis sur un site nommé Scribd". Gawker rédige alors un article avec des liens vers ces deux sources et la toile s'est enflammée. Cook estime que cette plainte du cinéaste devrait surtout se diriger contre les moteurs de recherche et les sites de partages de dossiers. La fuite ne provient pas de son site à ses yeux.

L'avocat de Quentin Tarantino contre-attaque : "Plutôt que de simplement publier une information sur le scénario de mon client qui circule à Hollywood sans son autorisation, Gawker a franchi la ligne rouge du journalisme en promouvant des liens permettant de lire le script illégalement."

Tarantino n'en a cure : ce qu'il veut c'est savoir qui est le salopard parmi les six personnes qui ont reçu The Hateful Eight.

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La réponse de Gawker (en anglais)

Le pêché suédois, Elvira Madigan et Adalen 31 : trois films pour redécouvrir Bo Widerberg

Posté par MpM, le 28 janvier 2014

Bo WiderbergLa ressortie en salles ce mercredi 29 janvier de trois films de Bo Widerberg, Le pêché suédois (1962), Elvira Madigan (1967) et Adalen 31 (1969), jette un formidable coup de projecteur sur ce cinéaste suédois prolixe, habitué du Festival de Cannes, des récompenses internationales et des nominations aux Oscar, mais bien moins connu des jeunes générations de cinéphiles français que son célèbre compatriote Bergman.

Né en 1930 à Malmö (la troisième ville du pays), Bo Widerberg se passionne jeune pour l'art, le cinéma et la littérature française, et se tourne presque naturellement vers une carrière de journaliste et d'écrivain.

Ses débuts derrière la caméra ont des airs de jolie légende. Lorsqu'en 1962, il publie Une vision du cinéma suédois (anthologie de son travail de critique pour le journal Expressen de Stokholm), dans lequel il fustige un cinéma suédois jugé "rigide, provincial et arriéré" et ne montrant pas la vie quotidienne et la réalité des temps modernes, le propriétaire de la maison de production Europa Films lui aurait en effet envoyé un télégramme disant : "Voilà 250 000 couronnes. Filmez donc la vérité."

Premier film, premier succès

Le résultat sera Le péché suédois, sélectionné à la Semaine de la Critique en 1963, qui propulse Widerberg sur le devant de la scène suédoise comme internationale. Il tourne dans la foulée son deuxième long métrage, Le quartier du corbeau, qui est sélectionné en compétition officielle à Cannes et connaît un grand succès public. Le film représentera même la Suède à l'Oscar du meilleur film  étranger.  Suivent Amour 65 et Heja Roland! puis, en 1967, Elvira Madigan qui marque le retour de Bo Widerberg à Cannes et son triomphe dans les salles. Le film remporte le prix d'interprétation féminine cannois pour la jeune Pia Degermark qui interprète le rôle titre, puis reçoit deux nominations aux Golden Globes.

La carrière du cinéaste se poursuit en dents de scie : à la fin des années 60, il tourne Adalen 31 qui reçoit le Grand Prix du jury à Cannes et de nouvelles nominations aux Oscar et aux Golden Globes, et Joe Hill qui est récompensé d'un Prix spécial du Jury à Cannes. Puis suivent Un flic sur le toit qui est considéré comme "le premier film policier suédois de niveau international", Victoria qui est un cuisant échec, ou encore La beauté des choses qui rappelle les meilleures œuvres du cinéaste, et lui vaut une nouvelle nomination aux Oscar. Ce sera aussi malheureusement son dernier long métrage : Bo Widerberg meurt soudainement en mai 1997, à nouveau au sommet de sa gloire, et laissant derrière lui une filmographie éclectique et singulière qui a quelque peu renouvelé le paysage cinématographique suédois.

Tournage en toute liberté

Influencé par la Nouvelle vague française, Bo Widerberg a inventé un cinéma au ton extrêmement naturel qui repose sur une méthode de travail particulièrement libre. Le réalisateur cherchait en effet à capter la vie de la manière la plus anti-théâtrale possible en laissant une grande marge de manœuvre à ses comédiens. Le scénario devait juste servir de base à l'action et leur permettre d'arriver (par leurs propres moyens) aux répliques ou situations attendues par le cinéaste. Pour ce faire, il avait pris l'habitude de tourner énormément en attendant le moment où "les acteurs ne pensaient plus à jouer mais faisaient vivre leurs répliques" comme l'explique Marten Blomkvist, biographe de Bo Widerberg. Cette manière de travailler, extrêmement consommatrice en pellicule, lui valut beaucoup de critiques de la part des producteurs et journalistes suédois. Elle lui permit toutefois d'instaurer un style très particulier qui donne l'impression au spectateur d'assister à de vrais moments de vie volés à la réalité.

Les trois longs métrages qui ressortent en salles en ce début d'année (après que le Festival Premiers plans d'Angers lui ait consacré une rétrospective) donnent un premier aperçu du style propre à Bo Widerberg. Tournés tous les trois dans les années 60, mais dans des genres et sur des sujets très différents, ils mettent chacun à sa manière l'accent sur le réalisme lumineux du cinéaste, mais également sur sa vision gourmande de l'existence, son amour de la peinture et son regard moderne sur la condition féminine.

Le péché suédois (1963)

Il s'agit du film qui porte le plus l'influence de la Nouvelle Vague. Bo Widerberg s'essaye à des audaces formelles (caméra qui tourne sur elle-même ou choisit des angles de vues atypiques, récit ultra elliptique, images qui se figent, zooms...) qui donnent d'emblée un ton extrêmement libre au récit.

Le film raconte le parcours d'une jeune fille qui choisit la voie de l'émancipation et décide, au final, d'élever seule son enfant mais de garder le géniteur comme "sex friend". Accompagnée par une bande son qui privilégie un jazz sautillant, la jeune héroïne déambule dans les rues de sa ville, travaille, drague, tombe amoureuse et prend sa vie en mains comme dans un seul mouvement. Un film étonnamment moderne dans son propos comme dans son désir de capter le flux de la vie plutôt que de l'expliquer.

Elvira Madigan (1967)

Le premier film en couleurs de Bo Widerberg utilise une pellicule très sensible qui vient de faire son apparition sur le marché. Elle permet de filmer en lumière naturelle et d'obtenir des tons plus nuancés que sur les films couleurs habituels. La douceur des belles journées d'été donnent ainsi le ton à la première partie du film, qui conte l'idylle romantique entre le lieutenant Sixten Sparre et la funambule Hedvig Jensen. Les deux amoureux se sont enfuis de leurs familles respectives pour donner libre cours à leur amour.

On les voit en pleine nature, éclairés par un soleil radieux qui rend le monde flou tout autour d'eux. L'insouciance de la passion amoureuse mêlée à l'amour des choses simples mais bonnes irradient le film qui est construit comme une juxtaposition de scènes champêtres, de repas frugaux mangés sur l'herbe et de scènes d'amour sensuelles. L'influence de la peinture est flagrante dans la composition de certains plans, où surgit tout à coup le fantôme de Renoir, ou celui de Monet. Curieusement, l'histoire vraie et tragique de ces deux amants conduits au suicide par leur amour interdit respire la vie, la simplicité et la joie de vivre. Car ce qui semble intéresser Widerberg, au-delà du mythe éternel, c'est bien de saisir la vie dans ce qu'elle a de plus précieux, et non les rouages cruels du drame.

Adalen 31 (1969)

Là encore, le ton léger et presque sensuel de la première partie du film contraste avec le sujet historique qu'il aborde : la répression dans le sang d'une grève d 'ouvriers dans la région d'Andalen en 1931. C'est que le cinéaste, loin de réaliser un film social à suspense, choisit au contraire de s'attacher aux pas de ceux dont on sait dès le départ qu'ils seront confrontés à la tragédie finale.

Presque conçu comme une chronique estivale adolescente, Adalen 31 parle donc d'amitié, d'éveil des sens et d'insouciance joyeuse. Les jeunes héros du film aiment le jazz et la peinture (Renoir, à nouveau), le cinéma de genre et la simplicité d'un bon repas entre amis. On sent encore poindre dans les petits détails du récit le désir qu'avait Bo Widerberg de communiquer au public sa vision hédoniste des plaisir de la vie. Mais la seconde partie prouve que le réalisateur sait aussi filmer des séquences monumentales mettant en scènes des centaines de figurants. Le propos politique, bien présent, reste irrémédiablement lié à une vision humaniste de la société et du monde. L'émotion et la révolte ont leur place dans Adalen 31, mais dans les derniers plans, c'est bien la vie (et donc l'espoir) qui reprend le dessus. Comme une métaphore du travail et de la philosophie personnelle de Bo Widerberg.

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Le pêché suédois (1962), Elvira Madigan (1967) et Adalen 31 (1969) de Bo Widerberg
En salles le 29 janvier 2014
En DVD sur le site de Maladiva Films

Ceuta, douce prison : le paradoxe inhumain

Posté par MpM, le 28 janvier 2014

ceutaUne ville baignée de soleil. La mer à deux pas. Une poignée de jeunes gens qui arpentent inlassablement les chemins de terre. Jonathan Millet et Loïc H. Rechi ont posé leur caméra à Ceuta, enclave espagnole au Nord du Maroc, coincée entre la Méditerranée et un mur de six mètres de hauteur, pour donner la parole et suivre ceux qui vivent là, enfermés dans cette prison à ciel ouvert qui sert de zone tampon entre l'Afrique et l'Europe.

Ils s'appellent Simon, Marius, Iqbal, Guy et Nur. Ils viennent du Cameroun, d'Inde ou de Somalie. Ils font partie du millier de migrants qui errent dans cette zone de 18km2 où il n'y a rien à faire, en attente d'une décision de justice qui les renvoie chez eux, ou au contraire leur octroie le précieux laissez-passer pour l'Europe.

Les réalisateurs les suivent dans leur quotidien répétitif hors du centre d'accueil : dans la rue où ils lavent les voitures pour quelques centimes, sur les parkings où ils guident les automobilistes, à la sortie des supermarchés où ils aident les clients à pousser leurs caddies trop remplis, mais aussi dans l'ennui de journées qui n'en finissent plus et au cours des conversations interminables sur le passé et l'avenir. Le passé, ce sont ces parcours terribles qui les ont menés jusqu'aux portes de l'Europe et dont on comprend qu'ils ne se remettront jamais. L'avenir, c'est le jour hypothétique, dans un mois ou dans cinq ans, où ils quitteront enfin Ceuta pour reprendre le cours de leur vie, que ce soit en Europe ou de retour chez eux.

Quelques scènes apportent un éclairage poignant sur leur situation, notamment lorsqu'ils se chamaillent pour se répartir les rares opportunités de travail, lorsqu'ils se racontent en boucle leur périple (terrifiant) à travers l'Afrique ou quand ils passent en revue les maigres chances qui s'offrent à eux. Il faut en effet savoir qu'une fois à Ceuta, les migrants n'ont plus aucune prise sur leur sort. Soit ils font une demande d'asile, avec le risque d'être déboutés et renvoyés d'où ils viennent, soit ils attendent que les autorités décident (plus ou moins arbitrairement) de les renvoyer ou de les libérer. Dans les deux cas, les instances décisionnelles ne sont soumises à aucun délai. Certains migrants attendent plusieurs années avant qu'on statue sur leur sort. D'autres sont expulsés soudainement. Tous survivent comme ils peuvent dans une ville qui n'a rien à leur offrir.

Ceuta, douce prison met en scène avec beaucoup de pudeur ce drame humain comme il y en a désormais dans tant de régions d'Europe, symbole terrifiant de la fermeture progressive du continent. On est avec eux dans un présent comme suspendu qui devient de plus en plus anxiogène et révoltant au fur et à mesure du récit. Bien que le film ne prenne jamais parti, l'incompréhension est grande face à un système qui broie aussi nonchalamment ses forces vives. Par peur et par paresse, ce sont des milliers d'êtres humains qui sont sacrifiés sur l'autel du protectionnisme frileux et de règles obscures qui ne prennent jamais en compte le simple facteur humain.

Toutefois, en laissant pleinement la parole à leurs personnages, les réalisateurs se font certes l'écho de leur détresse, mais aussi de leurs espoirs et de leur envie de vivre. Lorsqu'enfin l'un d'entre eux obtient son laissez-passer vers l'Europe, ils filment ainsi comme un ballet joyeux et spontané les félicitations et les congratulations dont il devient l'objet. C'est cette séquence, parmi toutes, que l'on gardera en mémoire, pour ne pas laisser l'indifférence et le désespoir gagner complétement la partie.