ÉCU 2014 : Game of Actors, ou comment réaliser un film indépendant

Posté par emeline, le 10 avril 2014

gareth jonesPendant le week-end du 4 au 6 avril, le Festival ÉCU proposait quatre ateliers, animés par des membres du jury, sur les différents aspects du cinéma indépendant : le rôle du scénario, le financement d'un film indépendant, le montage et la place des femmes dans l'industrie cinématographique.

Compte tenu du nombre important de jeunes réalisateurs, ou du moins de cinéastes qui réalisent leur premier film, l'atelier intitulé « Financer et vendre ses films indépendants » aura été le plus instructif. Animé par Gareth Jones, le workshop s'appuyait sur les films produits par ce producteur britannique qui travaille depuis 25 ans dans la distribution et la vente de films, notamment au sein de la société de production « Handmade Films » créée par George Harrison en 1979. L'angle ? « Les erreurs à ne pas commettre quand on veut réaliser un premier film indépendant ».

On apprend par exemple qu'il vaut mieux commencer par un film de genre. Horreur, science-fiction, ou policier, ce dernier doit pouvoir trouver son public. « Une fois établi, vous serez plus libre dans votre deuxième film pour expérimenter », affirme Gareth Jones. Et pour être « établi », rien de tel qu'un acteur bankable, ou du moins célèbre, pour faire pencher la balance. Dans le film Alone, de Kirk Weddell et Chris Taylor (The Dark Knight Rises et Les Misérables), thriller dans l'espace, le réalisateur a casté Damian Lewis, héros de la série US à succès, Homeland. Gareth Jones, qui en est le producteur exécutif, précise qu'un acteur de la trempe de Lewis est un atout essentiel pour vendre ce film ambitieux. « Oubliez Matthew McConaughey, il est trop cher maintenant ! » a-t-il ajouté.

Pour un premier film, il faut également miser sur la publicité. Avoir une bonne histoire n'est pas suffisant. C'est pourquoi Gareth Jones conseille de « faciliter la vie des producteurs intolérants » en tournant en anglais. Et niveau promo,  ne pas oublier la phrase catchy et efficace – celle qu'on retiendra dans les couloirs du métro – , présente sur l'affiche et censée donner les éléments clés de l'histoire (Dans le cas de Alone : « Un astronaute. 24H pour sauver le monde »).

Qui est le plus important : l'acteur ou le réalisateur ? Pour Gareth Jones, c'est sans hésitation l'acteur. « Un acteur célèbre vous donne une meilleure publicité », précise-t-il. Quand un film, non diffusé, sort directement en DVD ou en VOD, « sur la jaquette, c'est le nom et le visage de l'acteur qui comptent. »

Noé interdit dans combien de pays?

Posté par vincy, le 10 avril 2014

noé noahPour ceux qui ont vu le film, cela pourrait faire rire tant le film de Darren Aronofsky est loin de la Genèse. Noé a pourtant été interdit dans plusieurs pays. Comme toujours, nous nous élevons contre toute forme de censure, a fortiori quand elle est politique ou idéologique. Trois pays arabes ont décidé d'interdire la projection du film et trois autres pays devaient s'ajouter à la liste.

L'explication est simple : Noé (Nûh en arabe) est un prophète dans la religion musulmane. Or le film "va à l'encontre des enseignements de l'islam". Et pour cause, on ne doit pas représenter physiquement un prophète.

Les Emirats Arabes Unis, l'émirat de Bahreïn et celui du Qatar ont donc annoncé à la Paramount dès le début du mois de mars que le film ne serait pas distribué dans leurs territoires. Le piratage devrait contourner le problème. Ces derniers jours se sont ajoutés le Pakistan, l'Egypte, la Malaisie, l'Indonésie. Et la Turquie pourrait s'ajouter à la liste.

N'oublions pas des pays comme le Koweit et la Jordanie, qui devraient suivre le mouvement. Il reste à savoir comment les pays africains (hors Egypte) vont réagir. Au final, une quinzaine de pays pourraient interdire Noé.

Pour la Paramount, c'est un moindre mal. Du côté catholique et judaïque, les réactions ont été plutôt favorables à la fiction (car il s'agit d'une très libre interprétation du thème biblique comme le démontre notre entretien avec le bibliste Jesus Asurmendi).

Trois questions à Jesús Asurmendi, Bibliste, pour comprendre le « Noé » de Darren Aronofsky

Posté par MpM, le 10 avril 2014

NoéD'un point de vue cinématographique, le Noé de Darren Aronofsky nous a laissés au mieux perplexes, au pire assez excédés par la maladresse d'un scénario qui semble toujours rester au premier degré. Mais qu'en est-il du point de vue de la relecture contemporaine de ce grand mythe universel ? Pour en avoir le cœur net, nous avons demandé à Jesús Asurmendi, Bibliste, de nous livrer quelques clefs sur le récit initial, et sur le regard qu'il porte sur cette adaptation tonitruante.

Ecran Noir : Quel regard portez-vous sur l'adaptation de l'histoire de Noé par Darren Aronofsky ?

Jesús Asurmendi : Le problème de fond, c'est qu'il s'agit d'un récit mythique. Il est très difficile de transcrire ce genre de récit en langage cinématographique. Il y a un piège énorme, c'est que les mythes sont des récits. Mais qui dit "récit" ne dit pas du tout "histoire". Or, nous, quand nous entendons "récit", nous pensons "histoire". Une sorte de compte-rendu de ce qui s'est passé. Des faits. Or le récit mythique, ce n'est pas du tout ça : c'est dire quelque chose dont on ne connait pas les raisons ni le pourquoi, et le dire sous forme non-rationnelle, parce qu'on n'a pas de réponse rationnelle. Toutes les grandes questions sont traitées par des mythes. Par exemple la mort. Il y a de supers récits sur la mort et sur le fait que l'homme n'a pas l'immortalité. Et dans ces mythes interviennent toujours des hommes et des Dieux. Là, c'est exactement le cas. Et curieusement, dans l'Antiquité, le mythe le plus répandu est celui du déluge, jusque dans les civilisations les plus "primitives". Plus que la création ! C'est assez surprenant, quand même. Donc pour un cinéaste, retranscrire en langage cinématographique ce genre de récit, cela implique déjà qu'il comprenne ce qu'est un mythe. Quels sont les moyens mis en œuvre pour dire ce qui est dit. Et ensuite les transcrire dans une forme cinématographique.

EN : On a l'impression que Darren Aronofsky n'y est pas du tout parvenu avec Noé...

JA : Ce qu'il a fait, c'est prendre le texte de la Bible agrémenté de textes apocalyptiques, et l'adapter de manière linéaire et littérale, sans aucune analyse, sans aucune posture qui lui aurait permis un traitement autre que linéaire. Mais je reconnais que ce n'est pas simple. D'autant que le réalisateur ne met pas en langage cinématographique un texte précis. Pour cela, il aurait fallu qu'il lise le texte en tant que tel et qu'il en traduise à sa manière la substantifique moelle. Mais il a ses propres idées de départ. Il se sert du récit de ceci et de cela pour faire quelque chose qui, dans sa tête même, n'est pas trop construit. En tout cas j'ai cette impression. On peut résumer le film à "ça ne fera pas de mal, ça ne fera pas de bien". Ca ne sert pas à grand chose...

EN : Le personnage de Noé tel qu'il est montré dans le film n'a rien à voir avec celui de l'Ancien testament. C'est quasiment un intégriste qui pense savoir ce que Dieu veut, mieux que Dieu lui-même...

JA : Exactement ! Il en fait quelqu'un qui fait sienne cette cause, interprétée à sa façon. Dans le texte, on lui dit de faire ceci, cela, il le fait, point à la ligne. Il est sous-entendu que Dieu est suffisamment fort pour en finir avec tout le monde s'il le veut. S'il laisse quand même ça, cette arche, c'est en vue d'un après, d'un recommencement. Alors le cinéaste en fait effectivement autre chose... mais sinon ça n'aurait pas duré deux heures et quart ! Bien sûr, c'est une trahison du texte. Il est écrit que les trois fils de Noé ont des femmes. Ils ne jouent aucun rôle, si ce n'est qu'ils seront le point de départ de la suite. D'ailleurs, en dehors de ce texte, dans l'Ancien testament, Noé n'est cité que deux fois. Il ne faut pas oublier que ce n'est pas "Monsieur Noé", c'est une figure. Les mythes ne disent pas ce qui se passe un jour, mais ce qui se passe tout le temps. Ce n'est pas une histoire, c'est un paradigme.