« Enlevez la culture, et l’art, d’une société, il ne reste plus rien » : rencontre avec la marraine de Mon premier festival 2015, Marjane Satrapi

Posté par MpM, le 22 octobre 2015, dans Festivals.

Mon premier festival 2015Pour sa 11e édition, Mon premier festival propose jusqu'au 27 octobre plus de 200 projections et animations pour s’éveiller au 7e art. Une semaine consacrée aux jeunes cinéphiles de tous les âges, à partir de deux ans, mêlant une compétition de dix-neuf avant-premières et films inédits, une programmation sur le thème « Là où je vis », avec une pastille environnement, en écho à la COP 21, un focus sur le cinéma tchèque, 15 ciné-concerts et plus de 50 animations autour des films.

Dans le rôle de la bonne fée chargée de veiller sur cette grande fête du cinéma, la réalisatrice et dessinatrice Marjane Satrapi a accepté d'être la marraine du Festival et de proposer trois films "coups de cœur" : Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin, Microcosmos, le peuple de l’herbe de Claude Nuridsany et Marie Pérennou, et Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki. Rencontre avec l'artiste franco-iranienne.

Marjane Satrapi © Maria OrtizEcran Noir : Vous avez des souvenirs d'enfance liés au cinéma ?

Marjane Satrapi : J'ai un père qui était très cinéphile. Il était étudiant dans les années 60, il allait voir les films qu'il aimait deux ou trois fois. A l'époque en Iran, les films passaient tous à un moment ou à autre. Il adorait regarder des films ! Et puis j'avais des cousins qui étaient plus grands que moi et qui m'emmenaient voir des films car on avait un cinéma tout près de chez nous. J'y suis donc allée très tôt, et ça a toujours été mon activité favorite enfant, et ça l'est toujours aujourd'hui.

EN : Pourquoi ?

MS : Parce que c'est comme si vous étiez coupé du monde pendant un moment. C'est pour ça que j'aime pas regarder les films en DVD ou VoD. Au cinéma, vous êtes dans une salle noire avec des gens. Vous ne pouvez pas vous dire "ah, maintenant j'ai envie d'aller faire pipi" ou "je vais répondre au téléphone". Non, vous êtes là, et il y a l'effet du son, et vous rentrez dans le grand écran, et pendant deux heures vous êtes complètement ailleurs. C'est un voyage ! Je pense que le cinéma est la plus grande machine à empathie. Aucun média dans le monde ne crée autant d'empathie. Ca m'est arrivé de pleurer en lisant un livre, mais un livre vous mettez beaucoup plus de temps à le lire : un jour, deux jours, une semaine... Alors qu'au cinéma, tout est condensé en deux heures. C'est quelque chose de très émouvant. J'aime beaucoup à cause de ça. On vous raconte des histoires, c'est super. Qu'est-ce qu'il y a de mieux ? Et puis, moi, à plusieurs reprises, le cinéma a changé mon avis sur le monde. Ca me fait réfléchir. C'est beaucoup plus intéressant que de faire des mondanités...  Au cinéma, je n'ai jamais l'impression de perdre mon temps, mais d'apprendre quelque chose. Même quand le film est nul. Par exemple, pourquoi vous croyez que dans un pays comme les Etats-Unis, qui est quand même plus conservateur et religieux que la France, l'homosexualité a été beaucoup moins un problème, et depuis plus longtemps ? Eh bien à force de montrer des films avec le voisin gay sympa, etc., au bout d'un moment, le voisin gay sympa, c'est quelqu'un qu'on accepte ! Et ça, ce sont les films qui font ça, qui parviennent à changer les mentalités. Si les films n'avaient pas ce pouvoir-là, les régimes dictatoriaux ne les auraient jamais utilisés comme outil de propagande.

EN : Et les échanges liés au film, ça vous intéresse ?

MS : Pas vraiment... Parce qu'il y a une façon très française de discuter d'un film : on veut vous persuader. Mais le rapport que vous avez avec un film, c'est un rapport très subjectif. Si vous l'aimez ou si vous ne l'aimez pas, on peut vous donner tous les arguments du monde, rien ne va vous faire changer d'avis.

EN : Par rapport à cette subjectivité, c'est quelque chose que vous aimeriez transmettre aux jeunes spectateurs de Mon premier festival ?

MS : Oui ! Vous avez le droit d'aimer, vous avez le droit de ne pas aimer. Il se peut que votre frère adore etq ue vous vous n'aimiez pas, et c'est ça qui est bien. Ca veut dire que face à la même histoire, on ne réagit pas de la même façon. On est tous des gens différents. Si vous n'aimez pas un film, ce n'est pas grave. Et si vous aimez un film que tout le monde n'aime pas, permettez-vous de l'aimer vraiment. Juste... on s'en fout un peu de l'avis des autres. C'est juste ce qu'on a ressenti, soi, devant un film, qui compte.

EN : Comment s'est fait le choix des trois films "coups de cœur" ?

MS : En fait je voulais trois films différents : un dessin animé, une fiction, un documentaire. Justement pour élargir le champ. Ce n'est pas parce que ce sont des enfants qu'ils n'aiment que l'animation... Comment je pouvais ne pas choisir un Miyazaki ! En animation, lui et Takahata ce sont les meilleurs. Le tombeau des lucioles, c'est le film le plus triste que j'ai vu. J'ai pris Princesse Mononoké parce que c'est un film qui fait un peu plus peur, donc on ne le montre peut-être pas aussi facilement que Mon voisin Totoro. Les bêtes du sud sauvage, moi c'est un film que je suis allée voir à reculon, j'étais sûre que j'allais le détester car cette caméra qui gigote tout le temps, ce n'est pas ce que j'aime. Et pourtant, on n'aurait pas pu le faire autrement ! C'est vraiment justifié, j'étais prise par l'histoire, j'ai été très émue, j'ai pleuré... Je l'ai vécu très personnellement. Et puis j'ai pris Microcosmos parce que j'ai une haine des insectes très fortes. Avant j'étais la Serial killer des insectes. je les voyais et je les tuais. Et le film arrive à rendre les insectes mignons, ce qui n'est pas simple ! Du coup, maintenant, je ne les tue plus. Je les mets sur un petit papier et je les mets dehors. Ca m'a fait aimer les insectes.Comme le dit le poète iranien Saadi : "N'embête pas la petite fourmi qui traverse car elle aussi n'a que cette vie, et cette vie lui est sucrée." Arriver à respecter toutes sortes de vie, je pense que c'est important.

EN : Vous déclarez avoir développé enfant une véritable "obsession" pour les 7 samouraïs de Kurosawa ?

MS : J'étais petite, vraiment, j'avais 10 ou 11 ans. Je l'ai regardé chaque jour pendant un an. Mais je suis quelqu'un d'obsessionnel dès le départ. Si j'aime quelque chose, je le regarde encore et encore. A chaque fois que je le regarde, c'est avec le même plaisir. Ma passion ne va pas en déclinant... Je peux vous faire tout le film, tous les dialogues. Ce film est tellement dense ! A chaque fois vous voyez un truc que vous n'aviez pas vu avant. Il y a toujours quelque chose qui se passe à droite, en haut du cadre... C'est un vrai péplum ! Au début je trouve que Toshiro Mifune, c'est un con. Après, au bout de trois cent fois, je l'adore. C'est le plus humain. Il a envie de vivre.

EN : Cette semaine, le Secours populaire a publié un article titré : "l'accès à la culture n'est pas un luxe, mais une nécessité".

MS : Bien sûr ! Il y a l'idée que la culture est "prout-prout", que c'est la cerise sur le gâteau. Or la culture c'est le lien social. Enlevez la culture, et l'art, d'une société, il ne reste plus rien. Les êtres humains s'expriment de cette manière depuis le début. Ce n'est pas la cerise sur le gâteau, c'est un des ingrédients les plus importants. Sans farine, il n'y a  pas de gâteau... Tout ce qui fait qu'une société marche, c'est grâce à sa littérature, sa peinture, son art.

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Mon premier festival 2015
Du 21 au 27 octobre
Informations sur le site de la manifestation

Photo © Maria Ortiz

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