On ne le dira jamais assez mais le cinéma indépendant en France va mal. Ça peut sembler étonnant vu la vigueur de la fréquentation et le nombre d'entrées souvent incroyable dans d'autres pays de petits films, mais c'est un fait. La distribution est financièrement vulnérable. Et l'exploitation est de plus en plus fragile. En clair, pour certains, le cinéma est une mine de diamant et pour les autres, de plus en plus, une mine de sel.
Le rapport de Pierre Kopp, remis hier, montre que la politique des multiplexes y est pour beaucoup. Ils ne représentent que 10% du parc français mais concentrent 60% des entrées grâce à davantage de séances et de fauteuils, mais aussi grâce aux fameuses cartes de fidélités. La domination des grands groupes est indéniable et les salles plus petites en souffrent. pas toutes. On le voit bien avec le succès du Louxor à Paris par exemple. Mais les trois grands réseaux Gaumont-Pathé, UGC et CGR attirent plus de la moitié des spectateurs en France. A Paris, Gaumont-Pathé, UGC et MK2 s'accaparent même 89% de parts de marché alors qu'ils n'ont que 71,5% des écrans.
Or, selon les règles européennes, on peut être considéré comme "dominant" un marché avec 40% de celui-ci.
La distribution souffre du même problème. Cinq distributeurs captent 46% des entrées et les 11 premiers dépassent les trois quarts des spectateurs. Forcément, la concurrence est faussée. Ces distributeurs ont plus de poids pour négocier les "bons" écrans, plus longtemps qui plus est, face à une exploitation qui a besoin de remplir ses fauteuils et vendre du pop corn. D'un côté les distributeurs indépendants préfèrent avoir accès un multiplexe, au risque de casser le lien, voire de créer un conflit, avec une salle art et essai pourtant mieux ciblée a priori. De l'autre les exploitants auraient tendance, dans les villes moyennes notamment, à vouloir un blockbuster plutôt qu'un film artistiquement plus approprié à son public acquis.
« La domination des grands groupes sur la filière du cinéma fausse la concurrence et nuit profondément à la diversité du cinéma français. La domination économique remplace la compétition, aux dépens de la création et du public, mais également au mépris des règles du droit »
Le rapport Kopp émet plusieurs recommandations. Quelques unes méritent débat. Réguler la programmation des films notamment pour éviter la surexposition des grosses machines et pour protéger les petits films en leur donnant plus d'accès aux salles ; faire un audit des cartes illimitées ; améliorer la promotion des oeuvres indépendantes ; revoir les aides aux salles en fonction de critères pré-établis, parmi lesquels la diversité des films diffusés et l'accent mis sur des films dits fragiles.
C'est donc toute la politique des multiplexes qui est remise en cause. Or, c'est aussi avec ces nouveaux écrans que le cinéma a retrouvé son public, notamment avec son offre de salles neuves et confortables. De même les cartes illimitées ont permis à de nombreux spectateurs de s'aventurer en découvrant des films qu'ils n'auraient sans doute pas vu au tarif plein.
Mais le rapport Kopp a raison sur son constat: certains groupes comme Gaumont-Pathé et UGC dominent le parc dans certaines villes tout en étant aussi un distributeur important. La concentration est horizontale et verticale. Par ailleurs, certains films n'ont pas le temps de s'installer dans la durée, évincés au bout d'une semaine pour certains. Il y a un équilibre à trouver, des règles à revoir. Cela ne résoudra cependant pas tous les problèmes: le grand nombre de films qui sortent chaque semaine et le besoin d'avoir des films porteurs pour les salles indépendantes restent une équation difficile à résoudre. Car un cinéma reste un "commerce". Un libraire a besoin d'Harry Potter comme un cinéma a besoin, parfois, d'un film de super-héros. Il en va de sa viabilité financière et cela lui permet de prendre des risques sur un film qui dépend davantage du bouche à oreille que d'un marketing coûteux.