Annecy bat son plein. Le 40e Festival du film d'animation célèbre le cinéma français, Disney, la création hispanophone, les séries télévisées, les projets d'auteurs, les blockbusters. Ma vie de courgette, exquis, Le monde de Dory, délirant, La tortue rouge, poétique, sont parmi les films qui font l'événement au milieu d'une année faste: les films animés rapportent beaucoup, même si certaines productions restent fragiles malgré leurs qualités.
Parallèlement, Anne Goscinny, fille du dessinateur René Goscinny, scénariste de génie des premiers Astérix mais aussi de Lucky Luke, entre autres, a annoncé la mise en route d'un nouveau film d'animation avec Astérix. Alexandre Astier (Kaamelott, dont un film est en préparation) et Louis Clichy, déjà auteurs du précédent, Le domaine des Dieux (de loin le meilleur de la série en animation), vont s'atteler au projet, en partant d'une idée complètement originale, et non pas d'un album déjà publié.
L'héritière a aussi révélé qu'il y aurait un cinquième film en prises de vues réelles. Et là, ça devient très intéressant. L'envie n'a rien d'artistique. Tout est calibré comme pour lancer un nouveau produit dans un supermarché: "Pour ce prochain Astérix, il faut remettre à 100% les compteurs à zéro. Il faut le plonger dans le XXIe siècle et qu'il plaise de la Pagode à Rosny-sous-Bois. Le dernier film avec Guillaume Gallienne et Valérie Lemercier était trop cérébral, il n'a pas traversé le périphérique. Dans le 93, on ne rigolait pas du film, mais de l'affiche. Repartir à zéro, c'est ce que M6 a su faire avec Le domaine des dieux. On croit que c'est le premier, alors qu'il a été précédé par huit autres dessins animés."
Autrement dit, il faut un réalisateur qui a l'esprit de Goscinny (comme Chabat, qui reste la référence) et les références d'un public de multiplexe de périphérie. C'est assez méprisant pour les bobos urbains comme pour les banlieusards, renvoyés à leurs stéréotypes.
Côté cinéaste, elle évoque Michel Hazanavicius ou Franck Gastambide. OSS versus Pattaya, la dérision subtile contre la vanne sexy. Côté casting, on jette à la poubelle les Gérard Depardieu, on oublie Edouard Baer, on ne veut plus de Jamel. Au rebus également les comédiens des théâtres parisiens de type Gallienne ou Lemercier. Il faut du djeunz viral (obsession partagée par Vincent Bolloré pour Les Guignols l'an dernier, avec le succès que l'on sait), et donc des youtubeurs, du Kev Adams, bref ceux qui sont bons vendeurs sur les plateaux télé, de Cyril Hanounah à Laurent Ruquier. Après l'échec des Visiteurs : La révolution, on sent bien qu'il faut passer à une autre génération. Alors soyons fous: Stéphane Plaza pourrait y avoir sa place, à côté de Norman, Cyprien et Squeezie. On pourrait engager Nekfeu et Stromae au passage. Omar Sy, star préférée des jeunes, serait un formidable Numide. Et pourquoi pas donner le rôle d'Astérix à Jean Dujardin (il a prouvé qu'il pouvait être à la hauteur une fois rapetissé par les effets spéciaux).
Trève de plaisanterie. A trop concevoir un produit en fonction d'une cible, on oublie que la cible, si elle est déçue se détournera du produit tandis que ceux qui ne sont pas ciblés iront voir ailleurs. Un casting ne fait pas tout. Anne Goscinny, en tant que fille de scénariste, devrait le savoir: ce qui manque à Astérix au cinéma, c'est un bon scénario. C'est là où l'animation est souvent bien plus perfectionniste, car exigeante, que les autres films. L'histoire s'adresse à tous les publics, se lit à plusieurs degrés et le récit est souvent très maîtrisé. Le marketing sans risque ça n'existe pas. Un succès est aussi une affaire de potion magique, avec une alchimie d'ingrédients où l'imprévisible s'en mêle. C'est d'un scribe dont la franchise a besoin. Pas de "héros" gaulois qui ne résisteront pas à l'appel des sesterces.