C'est un petit phénomène qui amène de grandes répercussions. Le box office du marché chinois a dépassé, pour la première fois, celui du marché nord américain au premier trimestre. Les recettes en Chine ont atteint 3,17 milliards de dollars contre 2,85 milliards de $ en Amérique du nord. Et pour enfoncer le clou, Ready Player One, le dernier Spielberg a rapporté 62M$ durant ses premiers jours d'exploitation en Chine contre 53M$ en Amérique du Nord.
Le déclin de l'Empire américain? Oui, certainement. La démographie joue en faveur des marchés émergents et particulièrement de l'Asie, qui s'équipe à grande vitesse en multiplexes tout en produisant des films à gros budgets locaux. En 2017, selon le rapport tout chaud de la MPAA, le box office mondial a atteint un record de 40,6 milliards de dollars de recettes (seulement les ventes de tickets, on ne parle pas de pop corn et de sodas). Une hausse de 5%, à relativiser puisque le nombre d'écrans a augmenté de 8%. La Chine a porté cette dynamique alors que le marché nord américain fléchissait de 2% (11,1 milliards de $) où un tiers des recettes nord-américaines provient dues films du top 10. Une concentration inquiétante.
Pire, le nombre de billets vendus aux USA et au Canada est en baisse de 6% (1,24 milliard d'entrées), soit le plus bas niveau depuis 1995, tandis que le marché des loisirs à domicile progressait de 11% entre 2016 et 2017. La hausse du prix du billet - et notamment des films 3D - de 24% en 10 ans a limité la casse pour les studios qui affichent les recettes et non les entrées, mais elle a aussi fait fuir des spectateurs, et notamment les plus jeunes qui se détournent des salles. Le cinéma reste un loisir plus populaire (3 nord-américains sur quatre ont été au ciné l'an dernier) que les parcs d'attraction et les stades sportifs, mais rivalisent de moins en moins avec les plateformes de streaming à la maison. Une autre donnée est à souligner: ce sont les caucasiens qui vont le moins souvent au cinéma. Et les hispanophones et asiatiques qui y vont le plus.
A l'inverse les marchés chinois, japonais, indiens et sud-coréens, tout comme les marchés britanniques et français, continuent d'être attractifs: le cinéma y reste un loisir dominant. L'Asie voit ses recettes progresser de 44% en cinq ans! Hors USA-Canada, sur les 20 pays les plus "cinéphages", 7 sont en Asie, 9 en Europe, 3 en Amérique latine et un en Océanie.
Résultat, le marché nord-américain ne représente plus que 27% du box office mondial contre 30% en 2013. Bien sûr, Hollywood reste dominant. Depuis le début de l'année, sur les 17 films ayant dépassé les 100M$ de recettes mondiales, 13 sont produits ou coproduits par un studio américain. Mais 4 sont chinois. Operation Red Sea et Detective China Town 2 ont rapporté plus de 500M$ de recettes, loin devant Cinquante nuances plus claires ou le Labyrinthe 3. Jusque là ce genre de recettes monstrueuses étaient réservées aux productions US. Ce n'est plus le cas.
En 2017, sur les 33 films ayant franchi le cap des 300M$ de recettes mondiales, seulement deux ont rapporté davantage en Amérique du nord que dans le reste du monde et 10 ont fait plus de 75% de leurs recettes hors Amérique du Nord. Depuis le début de l'année, parmi les 15 plus grosses recettes, seul Black Panther a rapporté davantage en Amérique du nord (51,1% de ses recettes), mais 8 films ont fait l'essentiel de leur box office hors Amérique du nord.
Tout cela va contribuer à des choix stratégiques pour les studios: casting multi-ethniques, tournages à l'extérieur du pays, coproductions avec l'Asie et l'Amérique latine, mœurs acceptables dans les autres cultures. Ce renversement de "pouvoir" ne sera pas anodin pour les blockbusters. Désormais les dollars se lèvent à l'Est.