70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.
En partenariat avec Cinezik, Benoit Basirico nous décrypte les musiques qui ont fait Cannes.
Aujourd'hui, J-19. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par là.
Voici une sélection des thèmes qui ont marqué les 70 palmes d’or (ou initialement Grand Prix). Cette sélection tient compte de la beauté musicale des thèmes, mais aussi de la manière qu’ils ont eu de rester dans nos mémoires, que ce soit par leur apport émotionnel au film, par leur contribution à la narration, la simplicité de la mélodie, ou le choix d’un unique instrument. Cette sélection est dévoilée par ordre chronologique.
Le Troisième Homme (Carol Reed / Anton Karas, 1949)
Le compositeur autrichien Anton Karas signe son unique musique originale au cinéma pour le film de l’anglais Carol Reed avec une partition axée sur la cithare, un instrument soliste qui représente par son thème obsédant une sorte d’alter-ego pour le héros incarné par Orson Welles. Le musicien alors inconnu a été découvert par le réalisateur dans un bar à vins de Vienne.
Quand Carol Reed lui propose d’écrire la musique de son film, il s’en sent incapable puisqu’il n’avait jamais rien composé auparavant. Il a donc improvisé cette mélodie. Au final, la B.O restera pendant onze semaines en tête du hit parade américain, entre avril et juillet 1950 ! Anton Karas fera le tour du monde pour jouer sa musique. C’est l’exemple le plus frappant d’une musique d’abord anecdotique rendue célèbre grâce à la puissance émotionnelle d’un film.
La Dolce Vita (Federico Fellini / Nino Rota, 1960)
Depuis son premier long métrage Le Cheik blanc en 1952, Federico Fellini confie la musique de ses films à Nino Rota. Le compositeur travaille ainsi sur quinze films du réalisateur (La Strada, Huit et demi, ou Amarcord) jusqu’à sa mort en 1979. Pour La Dolce Vita, le thème participe à la douceur de vivre du titre, par sa légèreté.
Cette mélodie est distillée de manière diffuse comme un parfum enivrant prolongeant le climat d’insouciance. Dans une belle harmonie, la trompette et la guitare entonnent le thème sous la forme d’une valse lente qui semble faire danser les personnages. Nino Rota a également signé la musique d’une autre Palme d’or (Grand Prix) : Le Guépard de Visconti.
Les Parapluies De Cherbourg (Jacques Demy / Michel Legrand, 1964)
Le compositeur Michel Legrand retrouve son cinéaste fétiche Jacques Demy pour leur première comédie musicale après Lola et La Baie des anges. Au départ, le film devait être parlant avant d’être chanté. C’est le compositeur qui souffla l’idée à son ami Demy. C’est devenu le premier film où tous les dialogues sont chantés. Catherine Deneuve étant doublée, nous n’entendons jamais sa voix.
Ces chansons gaies et insouciantes sont en contraste avec l’histoire tragique d’un couple divisé par la guerre d’Algérie. Le couple Legrand-Demy réitérera avec le même succès à l'occasion du plus joyeux Les Demoiselles de Rochefort (1967) avec un univers visuel plus coloré. Michel Legrand a écrit la musique d’une autre Palme d’or (Grand prix) en 1971 avec Le Messager de Joseph Losey et son motif en boucle pour deux pianos et orchestre.
Un Homme et Une Femme (Claude Lelouch / Francis Lai, 1966)
Il s’agit de la première musique de film de Francis Lai et donc de sa première collaboration avec Claude Lelouch dont il deviendra inséparable. La musique est en contrepoint avec l'image, elle prend son importance par son autonomie. De plus, la musique chez ce tandem est toujours composée et enregistrée avant le tournage, avant la première image. Francis Lai a conçu son thème en fonction de l'histoire que Lelouch lui racontait.
C'est le réalisateur le chef d'orchestre puisqu'il monte ensuite la musique sur ses images. Il la fait même entendre à ses acteurs, Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant, sur le plateau pour conditionner leur jeu. Par la suite, une chanson sera tirée du film, avec des paroles de Pierre Barouh (« Da ba da ba da, ba da ba da ba ») et interprétée par Nicole Croisille. Francis Lai est un autodidacte. Il a écrit cette première partition tout seul, grâce à son instrument fétiche, un accordéon électronique, avant par la suite de s’associer à des orchestrateurs pour des musiques plus orchestrales. Francis Lai demeure l’un des plus grands inventeurs de mélodies.
Conversation Secrète (Francis Ford Coppola / David Shire, 1974)
Le compositeur David Shire a 37 ans lorsqu’il participe au film d’espionnage de son beau-frère (à l'époque) Francis Ford Coppola. Il compose avec son piano un air mélancolique teinté de jazz. Le cinéaste, fort du succès du Parrain qu'il considérait comme une simple commande commerciale, décide de mettre en chantier ce film plus intime, plus personnel, et plus modeste. La musique par son épure participe à cette simplicité apparente.
D’ailleurs, David Shire souhaitait au départ écrire une partition pour orchestre mais le réalisateur exigea une musique pour un seul instrument : le piano. Sous cette forme minimale, le thème en devient plus troublant. Le film se termine avec une scène où Gene Hackman joue du saxophone avec un morceau sans lien avec le thème de David Shire.
Taxi Driver (Martin Scorsese, Bernard Herrmann, 1976)
Il s’agit de la dernière musique de Bernard Herrmann (le film fut dévoilé à Cannes 4 mois après son décès survenu en décembre 1975) et une unique collaboration avec Martin Scorsese. Plutôt habitué des motifs orchestraux (notamment pour Hitchcock), le compositeur propose pour la première fois d’intégrer le jazz à son univers avec cette partition de saxophone alto.
Pour l’anecdote, sa collaboration avec Hitchcock s’est arrêtée lorsqu’en 1966 le cinéaste anglais rejeta sa musique pour Le Rideau déchiré au profit de la partition jazz de John Addison. Ce genre étant alors à la mode à Hollywood. Dans le thème d’ouverture de Taxi Driver, les cordes graves, les cuivres et les lourdes percussions illustrent la descente aux enfers nocturne du personnage, tandis que le saxophone qui fait son apparition dans un second temps convoque la lumière des néons qui éclairent la ville plongée dans le noir. L'aspect jazzistique est le versant lumineux d'un cauchemar.
Paris Texas (Wim Wenders / Ry Cooder, 1984)
Compositeur régulier du cinéaste Walter Hill, le guitariste Ry Cooder est surtout réputé pour sa collaboration avec l'Allemand Wim Wenders pour ce mythique Paris Texas (c’est leur première collaboration avant de se retrouver sur The End Of Violence en 1997, et sur Buena Vista social club en tant qu’initiateur de la formation du groupe cubain).