[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Episode 3 Rencontre avec Jean-Marc Thérouanne, Délégué général du Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul

Posté par MpM, le 11 mai 2019, dans Cannes, Cannes, centre du monde cinématographique ?, Festivals, Vesoul.

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

Jean-Marc Thérouanne, délégué général et cofondateur du Festival international des Cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul, est un habitué de Cannes, qu'il fréquente depuis plus de vingt ans. Pour lui et pour son équipe, cette quinzaine sur la croisette revêt une importance primordiale à la fois pour découvrir les films qui figureront peut-être dans la sélection 2020 du FICA, mais aussi pour tisser et entretenir des liens étroits avec les professionnels du cinéma de tout le continent asiatique.


Ecran Noir : Cannes est-il un rendez-vous incontournable dans votre agenda ? Depuis quelle année ?

Jean-Marc Thérouanne : Cela est une évidence, j’y viens avec Martine Thérouanne, la Directrice du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul, depuis 1997, c’est à dire depuis 23 ans sans discontinuer. Et, depuis 2010, deux très proches collaborateurs, Bastian Meiresonne, directeur artistique, et Marc Haaz, responsable du département technique du FICA, nous accompagnent. Il y a tant de choses à faire à Cannes qu’être quatre n’est pas de trop !

EN : Pourquoi y allez-vous cette année ? En quoi va consister votre présence là-bas ? Avez-vous des attentes ou un but particulier ?
JMT : Parce que cela est indispensable d’y être quand on est dirigeant d’un festival comme le nôtre. Le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul est considéré comme l’un des quatre festivals socles par le CNC, en raison de sa spécificité. Il fait partie, en France, de la vingtaine de festivals de cinéma soutenus, en national, par le CNC.

Nous y allons donc pour peaufiner notre toile relationnelle avec les producteurs de films des cinémas d’Asie de toute l’Asie géographique, de l’Oural à l’océan pacifique et du canal de Suez à l’océan indien. Cannes étant le plus grand marché du film du monde, il permet d’entretenir les contacts aussi bien avec Israël Film Fund, qu’avec la Fondation Liban, Iranian Independents, Taiwan Cinema... Nous y allons aussi pour rencontrer les institutionnels des pays d’Asie, les représentants des festivals d’Asie, mais également les distributeurs français, les institutionnels français, les partenaires du festival... Quand on s’est vu et qu'on a parlé, même brièvement, lorsqu'après on se recontacte pour finaliser des projets, les rapports humains sont... plus humains. Nous allons aussi à Cannes pour rencontrer des critiques, des acteurs, des réalisateurs... Cela permet d’établir des contacts pour bâtir les différents jurys des futures éditions du FICA.

Nous y allons enfin pour assister les professeurs et les élèves de l’option Arts visuels du lycée Edouard Belin de Vesoul, qui se rendent à Cannes. Certains de ces élèves font partie du Jury Lycéen du FICA. Le lycée Edouard Belin est partenaire depuis l’origine du FICA. Celui-ci est un passeur d’images, cela fait partie du travail pédagogique d’un festival.

EN : Et puis il y a les projections...
JMT : Bien évidemment, nous y allons aussi pour voir des films ! Notamment les films des pays d’Asie répartis dans les différentes sections de la sélection officielle mais aussi des sections parallèles. Pour éviter le formatage de notre regard par les cinématographies asiatiques, nous nous astreignons à voir la totalité des films de la compétition officielle. Il est important d’avoir une connaissance du cinéma mondial, et puis voir les œuvres des plus grands réalisateurs au monde, c’est un plaisir incommensurable, bien qu’il soit très difficile de pouvoir obtenir des billets pour les voir au Grand Théâtre Lumière quand on est directeur de Festival car nous sommes accrédités « Institutions Culturelles ».

Pour pouvoir voir le maximum de films importants et de rencontrer le maximum de personnes dans le temps incompressible des douze jours du Festival, il est indispensable de bâtir un emploi du temps grand format permettant d’avoir une vision globale des projections des films indispensables et des rencontres professionnelles incontournables [à voir sur la photo]. La maîtrise de la gestion du temps est un élément essentiel dans la stratégie à mettre en place pour réussir une édition cannoise. Cannes, c’est un peu « Marathon Man » !

EN : Avez-vous le souvenir d'une rencontre ou d'un événement décisif durant le festival par le passé ?
JMT : Le réalisateur hongkongais Stanley Kwan avait remporté le Cyclo d’or à Vesoul, en 2002, pour son film Lan Yu. Stanley n’avait pu rester jusqu’à la fin du festival vésulien. Nous lui avons donc remis le Trophée lors de la Hong Kong Night plage du Carlton. Stanley, tout joyeux, nous a fait entrer dans la tente VIP, c’est ainsi que mon épouse Martine, notre collaboratrice Martine Armand et moi, avons passé deux heures à discuter avec Michelle Yeoh, Maggie Cheung, Tony Leung Chiu Wai et Jia Zhang-ke. C’est un souvenir inoubliable. Cela nous a permis de faire venir Jia Zhang-ke, en compétition au 11e FICA, avec son film The World, et de bâtir une rétrospective Stanley Kwan au 14e FICA.
Une fois que l’on rencontre les personnes, cela est plus facile pour bâtir des projets et les inviter ! En 23 ans de Cannes, nous avons une foule de souvenirs marquants. En douze jours, on vit une multitude de rencontres, naturellement très brèves mais très intenses : Wong Kar Waï, Kore-eda Hirokazu, Naomi Kawaze, Hou Hsiao-hsien, Nadine Labaki, Abbas Kiarostami... mais aussi Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Agnès Varda... On vit la dilatation et l’intensité du temps dans sa brièveté.

EN : En quoi le festival et son marché se distinguent-ils selon vous des autres festivals internationaux que vous avez l'habitude de fréquenter ?
JMT : Le Festival de Cannes est très sélectif quant à sa programmation officielle qui compte une centaine de films en tout (compétition, hors compétition, Un Certain Regard, séance spéciale, Cannes Classics). Il diffère ainsi de Berlin, Busan, Toronto, Locarno, Rotterdam, ceux-ci présentant plusieurs centaines de films par édition.
En ce qui concerne le Marché du film, c’est vraiment le plus grand marché du monde. Il permet de faire le tour de la terre de la profession dans un espace resserré. Tous ceux qu’il faut contacter sont là. Cela permet de diffuser notre matériel de communication pour nous faire connaître et reconnaître, et de récupérer le maximum de documents cinématographiques dont nous avons besoin pour préparer les prochaines éditions du FICA Vesoul.

EN : Comment voyez-vous la sélection asiatique cette année ?

JMT : J’ai dix-sept films asiatiques à voir ! Trois réalisateurs confirmés en compétition, dont je suis la carrière depuis l’origine. A Un Certain Regard, Midi Z poursuit son petit bonhomme de chemin, à la Quinzaine des Réalisateurs il y a deux poids lourds au style et à la carrière bien différents (Lav Diaz et Takashii Miike). La réalisatrice afghane Shahrbanoo Sadet, revient avec son second long, elle fait son trou patiemment, pas à pas. J’aurai aussi plaisir à découvrir le réalisateur Zu Feng à Un Certain Regard, Johnny Ma à la Quinzaine, et Gu Xiaogang à la Semaine, les réalisateurs chinois sont toujours très intéressants. Je me réjouis d’avance d’aller à Cannes Classics voir le film chinois restaurée de Tao Jin et le film géorgien d’Eldar Shengelaia, réalisateur à l’humour décapant. Les deux autres films classiques asiatiques, je les connais, ils sont excellents. Je m’étonne qu’il n’y ait pas en sélection de films venus de Turquie, d’Iran, d’Inde, d’Asie centrale, notamment du Kazakhstan, il y a des réalisateurs talentueux dans ces pays.

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