Et si on binge-watchait… Arde Madrid

Posté par vincy, le 3 mai 2020

En attendant la fin du confinement, la rédaction d’Ecran Noir vous recommande toutes les semaines dans L'Instant Zappette un programme à visionner en streaming. Aujourd’hui, retour sur une série espagnole - car il n'y a pas que La Casa de Papel et Elite - discrètement cachée sur le replay de France Tv, Arde Madrid.

C'est Ava Gardner qui rencontre le général Peron. Coécrite, coproduite, réalisée et interprétée par Paco Léon (on vous recommande son Instagram parfois "caliente"), Arte Madrid est partie d'une histoire vraie: Ava Gardner (Debi Mazar, vue dans Entourage et Good Vibes, déjà une Gloria Swanson dans Return to Babylon), en manque de bons projets alors qu'elle est au sommet de sa gloire, perturbée par un mariage tourmenté avec Franck Sinatra, vient vivre à Madrid en 1955, seul anachronisme du film. Pour la série, elle a pour voisin le général Juan Peron (Osmar Nunez), président de l'Argentine, veuf de Evita, marié à une ancienne danseuse de cabaret, Isabel (Fabian Garcia Lago). Peron ne s'installera vraiment à Madrid qu'en 1958 et ne se mariera avec Isabel qu'en 1961. Avec la mort d'Ernest Hemingway qui survient durant la série et la préparation des 55 jours de Pékin, qui se tournera en 1962, on peut donc dater l'intrigue à 1961. Ce sont les seuls faits réels insufflés dans le scénario.

Car pour le reste, tout est pure fiction. L'histoire d'Arde Madrid est celle d'Ana Mari (l'impeccable Inma Cuesta, vue dans Julieta de Pedro Almodovar), une femme boiteuse (à cause de la polio), honnête, pieuse et stricte, qui est missionnée pour espionner l'actrice américaine, qu'on suspecte d'accointances communistes. Embauchée comme femme de ménage, elle doit simuler un mariage avec le chauffeur, Manolo (l'imprévisible Paco Leon, repéré dans la série La cas de las flores), magouilleur et baratineur. Dans le petit personnel, on croise aussi Pilar (Anna Castillo), qui va se lier d'amitié avec la star. Autour, des parasites: le frère d'Ana Mari, schizo, une bande de gitans hystériques, un secrétaire qui n'en peut plus, un bijoutier fétichiste du léchage de pieds, deux caniches, deux flics de la garde civile, ou encore une caporale franquiste faussement dure. En 8 épisodes 30 minutes environ, la chronique est bouclée avec une intrigue sans enjeu, hormis une suite de quiproquos et de malentendus, à commencer par le collier Bulgari de Gardner, objet de toutes les convoitises et de toutes les bêtises.

C'est une chronique féministe. Derrière le générique qui font tout le monde en sous-vêtements (de l'époque), pop et presque tarantinesque, il y a donc l'histoire d'une femme coincée et vertueuse qui va découvrir les plaisirs de la chair, d'une star qui ne sait pas comment combler son ennui, d'un adulescent qui ne sait pas comment se sortir de ses arnaques à la petite semaine, et d'une Espagne dirigée par Franco. Il y a ces machos espagnols et ces femmes soumises. En apparence. Car la liberté d'Ava Gardner est contagieuse. Et c'est bien l'émancipation d'Ana Mari et de Pilar, la domination de l'épouse (possessive, excessive, jalouse) de Vargas et le caractère affirmé d'Isabel (future présidente de l'Argentine). Tout est résumé dans le dernier épisode, avec, notamment, le discours final d'Ana Mari, qu'on pressent craquer pour Manolo et qui va faire un vibrant plaidoyer en faveur de l'autonomie de la femme dans une société patriarcale. Or, on le voit bien au fil des épisodes: les mâles sont faibles. Péron est insomniaque, a besoin de faire du yoga et se sent déclassé et humilié; Vargas se fait mener par le bout du nez pour une histoire de culotte en dentelles ; le frère, non binaire, n'a plus toute sa tête ; le secrétaire est soumis ; et Manolo a besoin d'Ana Mari pour s'en sortir à chaque péripéties.

Fun is beautiful. Le ton est résolument exubérant et burlesque. Il suffit de voir ces deux gardes civils qui ont des airs de Dupont et Dupont dans des silhouettes de Laurel et Hardy. Si le fond est dramatique, Paco Leon n'hésite par à toujours faire un pas de côté pour amener le plan dans un délire inattendu (comme cette chèvre sur un piano en pleine "party", le fantasme sexuel et chorégraphié du dépucelage ou cette élection de Miss Nations unies qui prend feu). Il offre aussi au spectateur cette culture espagnole de la fête (flamenco à gogo) et de la tolérance (du queer à l'avortement). Mais ce qui rend Arde Madrid si particulière c'est bien cette photo en noir et blanc, lumineuse et soignée. La splendeur de l'image fait presque oublier le format "série", comme si nous étions plongés dans une telenovela d'antan, entre une photo du studio Harcourt et un mélo des années 1950 restauré, situations stéréotypées (du vaudeville au suspens) et direction artistique jamais formatée. C'est ce décalage permanent entre le fond (pas si sérieux) et la forme (volontairement sublimée), entre les micro-drames en surface et l'intimité des grandes dames qui font d'Arde Madrid un petit bijou caché, loin des séries contemporaines, plus proche d'un film aussi furieux que fantaisiste de Blake Edwards.

Il n'y aura pas de deuxième saison. Paco Leon a refusé de donner une suite à sa série malgré l'insistance de Moviestar +.

Mel Ferrer ferré par la Mort (1917-2008)

Posté par vincy, le 4 juin 2008

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A 90 ans, Mel Ferrer, réalisateur, comédien, danseur, journaliste, écrivain, a quitté le monde des vivants, le 2 juin. Si le public le connaissait avant tout pour avoir été le mari charmeur de Audrey Hepburn durant 14 ans (et le père de son fils), cet américano-cubain eut une carrière aussi intense que variée.

 En tant que cinéaste il avait assisté John Ford (Dieu est mort, 1947) avant de tourner son seul long métrage marquant, Vertes demeures (1959), avec Audrey Hepburn et Anthony Perkins. C'est l'acteur Gregory Peck qui les unit lors d'une fete pour la première de Vacances Romaines (1953). Ils s'épousent l'année suivante et lui fait jouer Ondine à Broadway. Ils joueront ensemble dans Guerre et Paix (King Vidor, 1956), ce qui s'avéra l'un de ses rôles les plus notables.

On vit aussi le comédien dans Born to be Bad (Nicholas Ray, 1950) face à Joan Fontaine, Scaramouche (George Sidney, 1952) en Marquis de Maynes,  Les Chevaliers de la table ronde (Richard Thorpe, 1953) en Arthur, L'ange des maudits (Fritz Lang, 1952) aux côtés de Marlène Dietrich...

Il tourna aussi en Europe sous le regard de Jean Renoir (Elena et les hommes, 1956, avec Ingrid Bergman et Jean Marais), Jacques-Gérard Cornu (L'Homme à femmes, 1960, avec Danielle Darrieux), Roger Vadim (Et mourir de plaisir, 1960, avec Elsa Martinelli), Julien Duvivier (Le Diable et les dix commandements, 1962, avec Micheline Presle), Henri Verneuil (Mille Milliards de dollars, 1981)... On l'aperçoit aussi dans des films espagnols et italiens oubliés. Il incarnera quand même El Greco (1966), biopic réalisé par Luciano Salce.

Ferrer avait participé à des productions comme Le jour le plus long (1962). De Ava Gardner à Henry Fonda, il croisa les plus grands. Après son divorce avec Hepburn, sa carrière sombra dans les navets (films d'horreur ou séries B italiennes) et les feuilletons télévisés, notamment Falcon Crest, soap opéra où il incarna le patriarche séducteur durant 68 épisodes dans les années 80.