En plus de s'être ouverte avec un film français (Les adieux à la reine de Benoit Jacquot), la Berlinale propose tout au cours de sa 62e édition de nombreux films venus de l'hexagone ou tournés en coproduction. C'est ainsi que dès le premier jour, les festivaliers pouvaient découvrir Elles de Malgorzata Szumowska sorti en France courant janvier, Indignados de Tony Gatlif, A moi seule de Frédéric Videau et Aujourd'hui d'Alain Gomis (une coproduction franco-sénégalaise).
Le nouveau film de Tony Gatlif, qui sortira le 7 mars, est une adaptation libre de l'essai Indignez-vous de Stéphane Hessel. Mêlant fiction et réalité, le cinéaste a filmé les mouvements de révolte qui ont éclaté en Europe en 2011 notamment à Paris, Madrid et Athènes. De ces images d'actualité, il tire des séquences bigarrées, joyeuses et pleines d'espoir. Mais il les alterne avec le parcours difficile de Betty, immigrée sans papiers ballotée de Grèce en France puis en Espagne. C'est à travers son regard tour à tour incrédule, horrifié ou émerveillé que l'on découvre ces pays riches en pleine crise. Les matelas posés à même le sol, les campements de fortune, les tentes sous le métro aérien... Mais aussi la solidarité avec le peuple tunisien, la communion des cortèges, la bienveillance croisée au détour d'une rue. C'est un instantané contrasté d'une époque où les raisons de s'indigner ne manquent pas et où un basculement se produit du ras-le-bol individuel vers l'action collective. Sa forme de poème filmé, et son intrigue réduite à peu de choses, a peut-être rebuté une partie des spectateurs berlinois, mais il a immanquablement conquis les autres.
A moi seule de Frédéric Videau (en salles le 4 avril) aborde un autre thème de société à travers le retour à la liberté de Gaëlle, presque 18 ans, qui avait été enlevée et séquestrée pendant une dizaine d'années. Alternant scènes de "réadaptation" et flashback sur les années de captivité, le film dépeint avec justesse la relation ambiguë qui unit la victime et son kidnappeur. Il montre aussi la quasi impossibilité pour la jeune fille de reprendre le cours d'une vie "normale". Une œuvre dense et sensible qui serait le pendant plus lumineux, moins aride, du Michael de Markus Schleinzer (sur un pédophile et sa jeune victime). Sélectionné en compétition, il pourrait valoir un prix d'interprétation à l'actrice Agathe Bonitzer, à la fois sobre, pudique et d'une immense intensité.
Enfin, Aujourd'hui d'Alain Gomis se base sur une légende sénégalaise : parfois, on peut savoir à certains signes mystérieux qu'un homme va mourir. C'est le cas de Satché, jeune homme pourtant dans la force de l'âge, qui est revenu au pays après un séjour en Amérique. On l'accompagne tout au long de sa dernière journée, alors qu'il essaie de renouer avec différentes parties de sa vie pour les abandonner avec moins de regret. Très étonnamment, Aujourd'hui est un film gai et serein, un conte plus moderne qu'on ne le croit, et qui dit plein de choses à la fois du Sénégal dont on découvre les rues bondées et bigarrées, et de notre époque. On sent en effet dans l'histoire de Satché un message qui va à contre-courant des principes qui guident nos contemporains : vitesse, optimisation du temps, combat pour repousser ses limites... Là, on voit un homme se détacher simplement de ce que fut son existence et observer avec un regard mi-indifférent, mi-atterré, l'effet de sa mort imminente sur les autres.
Avec ces différents films, les festivaliers ont pu découvrir un cinéma français à la fois riche en thématiques actuelles et soucieux de s'associer aux talents et aux histoires du monde entier. Moins nombriliste et tourné vers lui-même que ne le veut la légende, il s'intègre ainsi à la perfection dans la thématique générale de cette 62e édition, résolument tournée vers les bouleversements de notre société et la manière dont ils affectent les peuples du monde entier.