Le cinéma d’animation revit sur grand écran au Festival Animafest de Zagreb

Posté par MpM, le 6 octobre 2020

Créé en 1972 à Zagreb, Animafest est le deuxième plus ancien festival consacré à l'animation dans le monde, juste après Annecy. D'abord biennal, puis alternant à partir de 2005 long et court métrage, avant de réunir les deux formats à partir de 2015, il aurait dû célébrer en juin sa 30e édition.

Là où de nombreuses manifestations ont dû être annulées, ou dans le meilleur cas passer en ligne, comme ce fut le cas d'Annecy et d'Ottawa, les organisateurs d'Animafest ont finalement réussi à maintenir une édition physique du 28 septembre au 3 octobre dernier, dans une configuration resserrée qui n'a empêché ni la qualité des programmes, ni les rencontres, et encore moins la convivialité. Amoindrie (les ressortissants de nombreux pays n'ayant pu faire le déplacement) mais soudée, la petite communauté du cinéma d'animation était heureuse de se retrouver, et de voir reprendre le cours des choses. Car pour beaucoup, il s'agissait du premier festival "en vrai" depuis parfois près d'un an.

Georges Schwizgebel, invité d'honneur


Etait notamment présent le réalisateur Georges Schwizgebel (ci-dessous à gauche, en compagnie de Paola Orlic et Daniel Suljic) qui était l'invité d'honneur de cette édition si particulière, et a reçu à ce titre l'Animafest Lifetime Achievement Award. Une rétrospective de son travail était également organisée, ainsi qu'une exposition permettant de découvrir les dessins et les peintures qui servent de point de départ à ses films. L'occasion de se replonger dans une oeuvre foisonnante et baroque dans laquelle la musique occupe une place prépondérante.

Dans La Course à l'abîme, c'est par exemple un extrait de la Damnation de Faust d''Hector Berlioz qui insuffle son rythme trépidant à l'image. Deux cavaliers avancent au galop, un train traverse la plaine, des oiseaux volent à tire-d'aile...

La mise en scène multiplie les effets de travellings et de zooms avant qui imitent la vue subjective, et donnent une impression de mouvement permanent. Puis le cadre s'élargit lentement pour révéler que toutes les scènes cohabitent dans le plan, formant un étrange tableau mouvant basé sur la répétition d'une même série d'images.

La boucle et la répétition sont d'ailleurs des motifs récurrents dans le cinéma de Schwizgebel jusqu'à son dernier court métrage en date La Bataille de San Romano qui s'inspire du tableau de Paolo Uccello.

On retrouve également son goût pour la littérature dans des films comme Le Roi des aulnes, adaptation du poème de Goethe dans lequel un père chevauche avec son enfant malade, ou encore L'Homme sans ombre, inspiré du roman d'Adelbert von Chamisso, qui raconte le destin d'un homme privé de son ombre après un pacte avec le diable. Dans les deux cas, la virtuosité de l'animation est époustouflante, et évoque des procédés de prise de vue continue comme la caméra semblant suspendue dans les airs et flottant autour des personnages.

Coup de projecteur sur le travail de Yoriko Mizushiri


Autre personnalité à l'honneur, la réalisatrice japonaise Yoriko Mizushiri n'a pu venir à Zagreb, mais son esthétique si particulière faite de teintes pastels, de bouches roses et de doigts aux ongles peints était partout, des catalogues à l'affiche du Festival, en passant par les Tote-Bags et les badges. On a pu par ailleurs découvrir une dizaine de ses courts métrages, dont les plus connus Futon et Sushi, mais aussi des clips pour des chanteurs japonais tels que Takao Kisugi et Kuchiroro.

Proposer cette rétrospective était une très belle idée, permettant d'appréhender immédiatement la cohérence de l'oeuvre de la réalisatrice et de jouer au jeu des correspondances entre les films. Au-delà d'une tonalité feutrée, de la prédominance du rose et de motifs récurrents comme les sushis et les différentes parties du corps, on retrouve dans chacun des courts métrages une sensualité douce et joyeuse, et plus généralement une sollicitation des différents sens, notamment gustatifs.

Teleport, par exemple, le clip conçu pour la chanson du même nom par Hasunuma Shuta, semble condenser tous les éléments propres à l'esthétique de Mizushiri. Un lent travelling latéral fait apparaître des fragments de scènes morcelées qui cohabitent dans le plan. En vrac, il y a une chaussure à talon violette qui glisse sous une robe blanche, une bouche qui glisse le long d'une épaule, une boule de glace qui rebondit au ralenti dans sa gaufrette, un sushi suspendu, des doigts qui entrent doucement dans une boulette de riz, des morceaux de poisson cru qui remontent lascivement le long d'un bras nu... Chaque image, d'une délicatesse extrême, sème le trouble dans les sens du spectateur, qui se retrouve frémissant, suspendu aux moindres inflexions d'une jambe ou d'une main.

Compétitions


Le festival proposait également plusieurs compétitions, dont une consacrée aux courts professionnels. On y retrouvait les grands succès de l'année, tels que Physique de la tristesse de Théodore Ushev, encore auréolé de son cristal à Annecy, et Genius Loci d'Adrien Mérigeau, lui aussi récompensé à Annecy, mais également des films en début de circuit, à l'image de Souvenir Souvenir de Bastien Dubois qui avait reçu trois prix au Festival Off-Courts de Trouville.

Le film est comme le making-of d'un film impossible à réaliser et surtout d'une histoire impossible à raconter, articulé autour d'une lancinante question : qu'a exactement fait le grand-père du narrateur pendant la guerre d'Algérie, où il était appelé. Bastien Dubois aborde ainsi le poids du silence sur les générations suivantes et cette transmission impossible qui laisse une trace indélébile. Le récit est à la fois très intime, le réalisateur partant d'un matériau très personnel et se mettant constamment en scène face à ses doutes, et en même temps absolument universel dans sa manière de traiter une parole impossible qui pourrait être celle des participants à n'importe quel autre type de conflit ou de tragédie humaine.

On a aussi repéré Opera de Erick Oh, qui donne à voir de multiples saynètes toutes connectées entre elles et se déroulant pendant un cycle jour-nuit complet. A chaque étage de l'étrange structure qui se dévoile progressivement à l'écran ont lieu des rituels liés à la vie et à la mort, mais aussi au travail ou à la religion. Chaque étage de la structure a ainsi une influence sur les étages inférieurs et supérieurs, tout se révélant peu à peu comme un immense système global qui schématise le fonctionnement de tous les types de société. Il est alors métaphoriquement question de notions telles que la lutte des classes, l'endoctrinement ou encore le racisme et la violence qui, toutes imbriquées les unes dans les autres, sont à la fois comme le moteur et le frein de la course du monde.

Il faut enfin citer Betty de Will Anderson (une variation mi-humoristique, mi-tragique sur la mise en abyme d'une rupture amoureuse) et Last Supper de Piotr Dumala (qui réinvente la Cène dans un train lancé à toute allure) mais aussi Leaking Life de Shunsaku Hayashi, présent à Annecy en 2019, éblouissant film expérimental qui joue sur les textures et les matières, et How to disappear de Robin Klengel, Leonhard Müllner et Michael Stumpf, déjà découvert à Berlin, et qui nous entraîne dans le jeu vidéo Battlefield V pour interroger le concept de guerre et poser une réflexion sur ce que signifie l'acte de déserter.

Le choix du jury, qui réunissait les réalisatrices Reka Bucsi et Martina Scarpelli, la journaliste Nancy Denney-Phelps, la programmatrice du festival national d'animation de Rennes Clémence Bragard et le réalisateur Vladislav Kneževic, s'est finalement porté sur Just a guy de Shoko Hara, documentaire sur la fascination exercée par le serial killer Ricardo Ramirez sur trois jeunes femmes qui ont correspondu avec lui lorsqu'il était dans le couloir de la mort. Basé sur leurs témoignages puissants, le film joue beaucoup la carte de l'émotion, mais aussi celle de l'humour, pour tenter de comprendre ces relations atypiques sans jamais porter de jugement. Même si l'on aurait voulu que le propos aille plus loin, impossible de nier la force qui se dégage de ces récits presque hallucinants et traités comme tels par une esthétique survoltée.

Côté étudiants, Naked de Kirill Khachaturov fait le doublé après son cristal à Annecy, malgré la concurrence du gros succès de 2019, Daughter de Daria Kashcheeva, qui repart tout de même avec le prix du jeune public. Le premier revisite le film de super-héros dans un style radical et minimaliste servi par une esthétique singulière et immédiatement reconnaissable qui met en scène des personnages presque difformes (longs cous, gros ventres, têtes minuscules) modélisés en 3D. Nous avons déjà eu l'occasion de présenter le second, un récit plutôt sombre aux accents réalistes, réalisé avec des marionnettes ultra expressives, qui met en scène la communication impossible entre une fille et son père, et simule à l’écran les effets chaotiques d’une prise de vue “caméra à l’épaule”.

Et le cinéma croate dans tout ça ?


La compétition croate, qui était jugée par le même jury que la compétition étudiante, à savoir la réalisatrice Hefang Wei, le réalisateur Mladen ?ukic et le réalisateur et programmateur Laurent Crouzeix, a vu le triomphe de Arka de Natko Stipanicev qui met en scène un gigantesque paquebot sur le point de faire naufrage tandis que ses passagers poursuivent leurs routines absurdes et dénuées de sens. Une parabole satirique et ultra-distanciée sur la condition humaine, dont une des lectures les plus évidentes est notre obstination collective à ne pas regarder en face les conséquences prévisibles de la crise environnementale en cours.

A noter également la présence en compétition de Natural selection de Aleta Rajic, étrange récit sur une biche qui se comporte comme un être humain, mais est peu à peu rattrapée par sa nature sauvage,  de Toomas beneath the valley of the wild wolves de Chintis Lundgren, la suite de la comédie surréaliste Manivald, qui interroge avec tout autant de malice et de liberté les questions de genre, ou encore du clip musical étudiant I'm not feeling very well de Suncana Brkulj, dans lequel des squelettes montés sur épingle se trémoussent sur une chanson du groupe Cawander.

On a aussi pu découvrir un programme de courts métrages réalisés à Zagreb au cours de l'année 1972, parmi lesquels Tup-Tup de Nedeljiko Dragic, nommé à l'Oscar, qui montre comment un homme apparemment éduqué et poli se transforme en fou furieux lorsqu'un bruit non identifié l'empêche de lire son journal en paix. Sorte de cartoon délirant et obsessionnel, le film multiplie les situations plus absurdes, violentes et évidemment bruyantes les unes que les autres, jusqu'au chaos presque total.

Dans un genre plus introspectif, Astralis de Rudolph Borosak s'intéresse à un personnage minuscule enfermé dans un cube géant dont il ne peut s'extraire, et à l'intérieur duquel se déroulent des scènes inquiétantes. Lorsqu'enfin l'un de ses semblables apparaît, il demeure hors de portée. Et pour cause, un dernier plan large nous laissant deviner des dizaines de cubes isolés les uns des autres, métaphore de l'inextricable solitude de l'être humain et des difficultés à entrer en connexion avec les autres.

Cinéma hongrois, école de Lodz et un avenir que l'on espère radieux

On pourrait encore citer le focus sur le cinéma hongrois, représenté notamment par le très beau Symbiosis de Nadja Andrasev, qui est reparti avec le prix du premier court métrage professionnel, et une carte blanche à l'école de Lodz en Pologne, à laquelle on doit notamment Such a beautiful town de Marta Koch, Bless you! de Paulina Ziolkowska et Pussy de Renata Gasiorowska.

De quoi faire le plein de (bons) films sur grand écran, en espérant que la prochaine édition du festival, prévue en juin 2021, puisse elle-aussi se tenir dans les meilleures conditions ! Mais quand on voit les prouesses de convivialité dont l'équipe d'Animafest a été capable en pleine crise sanitaire, sans parler de la qualité des sélections et des rencontres, on ne se fait aucun souci pour l'avenir.

[2019 dans le rétro] Nos courts métrages étrangers préférés

Posté par MpM, le 8 janvier 2020

Si depuis des semaines, les classements des films sortis en 2019 fleurissent un peu partout dans la presse et les réseaux sociaux, le format court n'y est que trop rarement représenté. D'où l'envie de proposer un tour d'horizon forcément hyper subjectif des courts métrages qu’il fallait absolument voir l'année passée. Pour commencer, voici donc nos courts métrages étrangers préférés !

Acid Rain de Tomek Popakul (Pologne)


En 26 minutes, le réalisateur polonais Tomek Popakul nous fait vivre une immersion effectivement sous acide dans le monde de la nuit, à travers la rencontre entre une jeune fille qui fait la route et un homme étrange au volant d'un mini-bus. Tour à tour peuplée de cauchemars et d’hallucinations, la fuite en avant des deux personnages s’accompagne de vues en caméra subjectives, de couleurs psychédéliques, et d’un travail particulier sur le son pour que tout semble sans cesse faux et inquiétant. Le meilleur bad trip de l'année.

A noter : le film est actuellement visible en ligne.

Are you listening, mother ? de Tuna Kaptan (Turquie)


Une vieille dame est assignée à résidence, obligée de porter un bracelet électronique, mais ne cesse de s'éloigner au-delà de la distance autorisée, provoquant la venue de la police et la multiplication de lourdes amendes à payer. La force du film est de laisser le drame à la porte, latent mais hors champ, pour se concentrer sur les personnages et notamment la très belle relation de complicité qui unit le fils et sa mère. Inattendue, une séquence de danse improvisée vient par exemple éclairer de l’intérieur cette maison dans laquelle les absents occupent une place gigantesque. Un simple carton, à la fin, vient expliquer que l’intrigue est basée sur une histoire vraie, et explique la nature du délit commis par le personnage. Bien sûr cette fin apporte un éclairage tout à fait différent sur le récit, qui se teinte alors d’un discours politique et engagé, et y gagne une profondeur supplémentaire, même si l'on peut déplorer qu’il n’ait pas été possible d’incorporer ces éléments directement à l’intrigue, sans avoir recours à l’effet un peu artificiel de ce texte presque pédagogique.

Daughter de Daria Kashcheeva (République tchèque)


Doublement récompensée au dernier festival d'Annecy, la réalisatrice tchèque Daria Kashcheeva anime elle-même ses marionnettes dans un récit plutôt sombre aux accents réalistes qui met en scène la communication impossible entre une fille et son père. En simulant à l’écran les effets chaotiques d’une prise de vue “caméra à l’épaule”, parfois même en vue subjective, elle place le spectateur au centre de l’action, témoin direct de la relation ratée entre les deux personnages dont les regards peints semblent exprimer toute la douleur du monde.

La Distance entre le ciel et nous de Vasilis Kekatos (Grèce)


Une rencontre impromptue dans la nuit. Des visages cadrés en gros plan qui envahissent l'écran. Des dialogues ironiques et décalés. Et l'un des plus beaux plans de fin que l'on ait vu cette année. La Palme d'or 2019 est un film ténu et intimiste à la simplicité désarmante, à la sensibilité à fleur de peau et au minimalisme assumé, entre provocation, humour et séduction.

A noter : le film est actuellement visible sur le site d'Arte

The Little Soul de Barbara Rupik (Pologne)


Un voyage éblouissant de beauté, d'onirisme et de mélancolie au pays des morts en compagnie d'une petite âme tout juste échappée du corps qui l'abritait. Barbara Rupik travaille sur la texture de ses personnages et de ses décors jusqu'à recréer un univers organique saisissant et sublime, cadre dantesque édifiant pour le récit poétique et bouleversant d'une indéfectible amitié post-mortem.

No History in a room filled with people with funny names 5 de Korakrit Arunanondchai et Alex Gvojic (Thaïlande)


Voilà une oeuvre dense, foisonnante et complexe qui aborde la notion de collectif dans la Thaïlande contemporaine. Dans une esthétique très soignée où se mêlent éclairages au néon et magnifique lumière naturelle, il réunit des séquences qui ressemblent à des performances (à l'image de ces "fantômes" qui assistent à une projection nocturne), des passages plus documentaires et même des images d'actualité, dont le fil rouge est un fait divers médiatisé à travers toute la planète, le sauvetage de treize personnes qui étaient coincés dans une grotte inondée par les pluies. Interrogeant cet événement et ses répercussions, le film dérive sur des croyances ancestrales mettant en scène les nagas, ces créatures mythiques de l'hindouisme, et entame une réflexion plus générale sur le monde animal, tel un poème visuel ultra-contemporain et allégorique.

Nuit chérie de Lia Bertels (Belgique)


Par une belle nuit bleutée d’hiver, une poignée d’animaux insomniaques se croisent. Il y a le Ouistiti qui a peur du yéti, l’ours mélancolique, le loup musicien. Tous veillent sous l’éclat majestueux d’un ciel couvert d’étoiles filantes. Avec son esthétique ronde et douce et son camaïeu de bleus, le récit est plus contemplatif qu’initiatique. À la fois plein de spleen et de douceur. À destination des plus jeunes, mais pas uniquement, il rappelle l’inanité des préjugés et l’importance de ne pas passer à côté des belles choses de la vie : une croisière au clair de lune à dos de baleine, la surprise de surmonter ses peurs, la rencontre avec de nouveaux amis. On est conquis par la simplicité, l'intelligence et la justesse de ce conte jamais mièvre, dans lesquels les personnages sont immédiatement attachants, et les dialogues profonds. Sans oublier une mention spéciale pour la musique déchirante jouée par le loup, et la chanson finale du poète maudit.

Past perfect de Jorge Jacome (Portugal)


Dans un dialogue imaginaire et non dénué d’humour, le réalisateur Jorge Jacome (Flores) interroge le mythe de l’âge d’or et la douleur lancinante de la nostalgie. Past perfect remonte ainsi le temps au gré des souvenirs de son personnage, égrenés dans des sous-titres affichés sur l'image mais privés de voix, tandis que défilent à l’écran des images diverses et foisonnantes : une main qui fouille la terre, un palmier flou, une cassette audio qui prend l'eau...

Adapté de la pièce Play de Pedro Penim, que Jorge Jacome a retravaillée en fonction de ses propres questionnements, le film est également une réflexion sur la difficulté de traduire, en mots, mais aussi en images, la sensation très personnelle que l’on appelle nostalgie.

Physique de la tristesse de Theodore Ushev (Canada)


C'est l'un de nos grands coups de coeur de l'année, dont la critique intégrale se trouve ici. Ce film-somme intime et introspectif, qui frôle les 30 minutes de plaisir cinématographique pur, est réalisé dans une technique d'animation unique que le cinéaste est le premier à mettre au point, celle de la peinture à l'encaustique. Jouant sur la perpétuelle métamorphose de l'image et sur la dualité lumière-obscurité, ce récit poignant raconté à la première personne nous entraîne dans les souvenirs d'un narrateur qui se remémore son enfance et sa jeunesse, tout en évoquant le déracinement et la mélancolie prégnante de ceux qui ne se sentent chez eux nulle part.

Screen de Christoph Girardet et Matthias Müller (Allemagne)



La pluie qui s'abat sur le sol, la neige qui tombe en flocons légers, le sable qui s'écoule inlassablement... Des voix qui se succèdent, impérieuses ou autoritaires : "ouvrez les yeux, écoutez ma voix, vos paupières sont lourdes..." Stimuli lumineux, bruit blanc d'une télé qui ne capte plus de programmes. Les réalisateurs Christoph Girardet et Matthias Müller utilisent des extraits d'images de films qu'ils mêlent aux extraits sonores d'autres films pour réfléchir sensoriellement, par le biais d'une recherche formelle et expérimentale, à l'impact des images sur le corps et l'esprit de celui qui les reçoit. Ils inventent ainsi une forme de séance d'hypnose cinématographique collective forcément hallucinée. Sans trop savoir à quelle expérience on participe (est-on le sujet hypnotisé auquel s'adressent les voix de fiction ou le spectateur réel, incapable de détacher son regard de l'écran ? - l'analogie est aussi forte qu'évidente), on est fasciné au sens le plus fort du terme par cette succession de plans qui nous entraînent toujours plus loin dans la force incommensurable de l'image. On voudrait littéralement que l'écran ne s'éteigne plus jamais, nous permettant de baigner pour toujours dans cette alternance de lumière et d'obscurité capable de nous faire quitter notre corps et voyager bien au-delà des mondes connus sans jamais quitter notre fauteuil.

She runs de Qiu Yang (Chine)


Qiu Yang (Under the sun et A gentle night, Palme d’or du meilleur court métrage en 2017) continue à creuser efficacement le sillon de son cinéma esthétique au classicisme discret. Son film à la beauté formelle édifiante a d'ailleurs sans surprise remporté le Prix du meilleur court métrage lors de la dernière Semaine de la Critique cannoise. On y voit dans des plans composés comme des tableaux à la profondeur de champ quasi inexistante, et où se multiplient les cadres intérieurs à l'image, une jeune gymnaste lutter pour quitter l'équipe à laquelle elle appartient. Visuellement éblouissant.

Volcano : what does a lake dream ? de Diana Vidrascu (Portugal)


L'artiste Diana Vidrascu s'appuie sur des récits et des images de l'archipel des Açores pour interroger les réalités d'un lieu situé sur une zone tectonique en mouvement. A quoi rêve le lac au-dessus du volcan momentanément endormi ? Il se dérobe aux yeux des spectateurs, emporté au son d'une musique lancinante dans des jeux de surimpressions et de projections qui mettent en perspective la géographique et l'histoire de ce petit coin du monde où se manifeste plus qu'ailleurs la volonté toute puissante de la nature. On est comme à l'écoute de ce mystère insondable, yeux écarquillés et sens en alerte.

Wild will d'Alan King (Australie)



Un policier rencontre l’une de ses connaissances dans la rue, trouve son comportement étrange (il est désorienté et ne semble pas le reconnaître), le ramène au poste. C’est là que l’homme révèle sa vraie nature, dans une scène d’une violence inouïe dont on ne voit pourtant rien à l’écran, si ce n’est un reflet flou dans une paire de lunettes posée sur la table. Tout ou presque se joue au niveau sonore, avec des cris et des grognements qui glacent le sang. Mais ce qui est le plus effrayant, c’est probablement le plan qui revient au visage privé de réaction de l'homme, absent à lui-même. Alan King  nous emmène au confins de la monstruosité, dans une dimension parallèle où se révèle brutalement le vrai visage de l’être humain, et réaffirme le cinéma comme art du hors champ.