Plus de 41 ans après son suicide, Marilyn Monroe reste l'icône emblématique du cinéma hollywoodien. Chanel le prouve en la ressuscitant dans sa dernière publicité pour le parfum culte N°5, où des archives de la star et une interview d'elle en voix off suffisent à en faire un spot sublime, quand d'autres déploient des moyens grandiloquents pour des films pompeux.
Mais Marilyn c'est aussi une histoire d'héritage, au sens financier du terme. Et pour que Chanel puisse faire son spot publicitaire, il en a fallu des rebondissements. Pour que Marilyn redevienne une icône légendaire, il en fallu des haines, des batailles juridiques et des histoires de fric.
L'actrice avait rédigé son testament au pire moment de sa carrière, en janvier 1961. Elle vient de divorcer d'Arthur Miller. Elle sort d'un flop au box office (Le milliardaire) et d'un tournage éprouvant (Les désaxés). On évoque déjà son déclin.
Le testament de Marilyn, hors cash (pour ses proches, sa demi-soeur et pour le soutien financier à sa mère, internée), est étrange : 50% de son patrimoine revient à son pygmalion, son professeur, Lee Strasberg. Sans lui, elle ne "travaillerait" plus. 25% de ses biens reviennent à Marianne Kris, sa psy, épouse d'Ernst Kris, amie de Sigmund Freud. Sans la psychanalyse, elle aurait "sombré". Et le reste va à sa secrétaire, May Reys.
Evidemment, le testament sera contesté. Par sa conseillère financière d'abord, oubliée dans le document, et qui estime que Marilyn Monroe était sous l'influence des Strasberg et de sa psy. Par ses cousins ensuite, qui dénoncent une manipulation de la part de ses proches alors qu'elle était en dépression.
Un testament très contesté
D'autant qu'un mois après la rédaction de son testament, Rain, le projet pour la télévision concocté par Lee Strasberg afin de la maintenir "en vie" dans le métier, tombe à l'eau. Surdose de barbituriques. Marianne Kris l'interne alors pour qu'elle ne se suicide pas. Malgré ses appels, Lee Strasberg ne la délivrera pas de cette prison. Découvrant la double trahison de Strasberg-Kris, Marilyn, selon tous ses biographes, souhaitait changer son testament. C'est ironiquement son deuxième mari, le joueur de baseball Joe DiMaggio, qui la fera libérer.
Marilyn Monroe ne reverra plus Marianne Kris, qui est pourtant la bénéficiaire d'un quart de sa fortune. Elle avait donc parlé à son avocat pour pouvoir modifier son testament. C'est là le premier problème de l'héritage de la star. Logiquement DiMaggio, qui était revenu dans sa vie quotidienne, aurait du être parmi la liste des héritiers. Pourquoi léguer sa fortune à des gens qui la manipulaient, selon ses propres mots?
Elle décède en août 1962. Sa fortune s'élève à un peu moins de 93 000$, hors royalties, soit 718 000$ aujourd'hui. Ses effets personnels sont gardés par les Strasberg en vue de les donner un jour à un musée du cinéma.
L'entrée de la cupide Anna Strasberg
Mais il faut attendre 1982 - quand Lee Strasberg meurt - pour que la "marque" Marilyn soit alors exploitée comme un produit de merchandising. La seconde femme de Strasberg, Anna, qui n'a jamais croisé Norma Jean Baker de sa vie, hérite de la marque, de l'image et de tout ce qu'a légué Marilyn à son mentor. Anna Strasberg lance alors une entreprise de licences et de publicité. De quoi faire fortune, de manière posthume, sans avoir un seul lien direct avec la star.
Le droit à l'image, jusque là inexistant, avait permis à de grands artistes (Warhol, Hamilton, Dali...), d'utiliser le visage ou la silhouette de l'actrice sans se soucier des royalties. Désormais, Marilyn devient une égérie aussi contemporaine que les mannequins des années 80. D'après le Wall Street Journal, la marque "Marilyn Monroe" rapporte 7,6 millions de dollars à Anna Strasberg entre 1983 et 1993. Les revenus seront exponentiels : en s'associant à CMG Worldwide, Anna Strasberg se voit garantir 1,1 millions de $ de revenus annuels rien qu'en licences (elle en gagnera 7,5 millions entre 1996 et 2000!). Cupide jusqu'au bout, elle cherche à récupérer les droits qui lui manquent, et notamment les 25 % légués à Marianne Kris, qui les a transmis à l'Anna Freud Centre de Londres, clinique psychiatrique qui a créé l'unité thérapeutique "Marilyn Monroe" pour enfants en difficulté.
Marilyn, produit de grande consommation
Cela n'empêche pas l'héritage de Marilyn de se multiplier en centaines de produits dérivés très variés, y compris du vin ou des vêtements pour animaux! Elle a du se retourner dans sa tombe. L'image est dégradée et l'obscénité commerciale à son summum. Au fil des ans, à force d'être vendue en couteaux, en mugs ou autres accessoires touristiques, Marilyn a subit une forte décote sur le marché publicitaire.
Cela n'empêche pas Anna Strasberg de vendre aux enchères les affaires personnelles de l'actrice, que son défunt mari aurait plutôt vu au musée. 13,4 millions de dollars récoltés par Christie's pour 1 000 objets. Le mythe ne meurt jamais. Mais Strasberg est de plus en contestée. En utilisant des photos à des fins publicitaires, elle viole de droit d'auteur le plus élémentaire en s'octroyant quasiment l'intégralité des dividendes : les photographes de Marilyn se rebiffent, exigent que les images soient créditées et réclament une part du pactole. Cela finit au tribunal, et il y a 5 ans, la cour de district de New York donne raison aux photographes lésés. Les titulaires de licence(s) peuvent négocier en direct avec les auteurs des photos, sans passer par Strasberg et CMG. La perte est si lourde que Starsberg fait appel, et termine la tête dans la boue avec des dépenses d'avocats démesurées et une condamnation à 200 000 dollars d'amende pour "manigances inacceptables".
De la défaite juridique de Strasberg à la renaissance de Marilyn
Anna Strasberg, comédienne ratée, qui a tout fait pour régner sur l'empire de son mari, jusqu'à évincer la première famille de celui-ci, subit depuis 30 ans une réputation terrible. Lorsque le testament de Strasberg est ouvert, on apprend ainsi que ses deux enfants de son premier mariage sont déshérités. Anna a tout récupéré, y compris les archives de l'Actors Studio, une autre mine d'or.
Evidemment, cette femme érudite et élégante n'est pas qu'un monstre : elle a aussi subit cet héritage coûteux (incluant des assurances exorbitantes), ces responsabilités énormes (la formation de dizaines de comédiens), et a tout fait pour le préserver, quitte à pactiser avecc le diable consumériste.
Il y a deux ans Anna Strasberg, alors âgée de 73 ans, rompt son contrat avec CMG et revend presque tous les droits sur Marilyn à Authentic Brand Group pour une somme comprise entre 25 et 50 millions de $. Le choix n'est pas que financier, il est aussi stratégique. Désormais, Marilyn incarnera l'élégance. L'affiche de Cannes en 2012 a marqué les esprits. Joaillerie avec Chopard, Tee-shirts et haute couture avec Dolce & Gabbana, cosmétiques ... Le luxe, rien que le luxe. Et une page Facebook (9,5 millions de fans, un compte Twitter, une présence sur Pinterest et Instagram. Sans oublier les films, les livres, les émissions de télévision... De quoi faire durer longtemps l'héritage de Norma Jean Baker, la plus célèbre blonde du 7e art.