Bo Widerberg à l’honneur dans les salles et en DVD

Posté par redaction, le 13 juillet 2020

Après la ressortie de La Beauté des choses en février dernier, Bo Widerberg occupe à nouveau le devant de l'affiche. Le cinéaste suédois prolixe, habitué du Festival de Cannes, des récompenses internationales et des nominations aux Oscar, inaugure les "Collector Malavida", une nouvelle série d'éditions DVD consacrées aux titres qui ont marqué l'histoire de la société de distribution et d'édition.

C'est ainsi Joe Hill, road movie social primé à Cannes en 1971 qui ouvre le bal le 15 juillet dans une version restaurée, avec des bonus inédits et un livret de 20 pages. En parallèle, il est en salles depuis fin juin aux côtés de cinq autres films du réalisateur : Le Péché suédois, Le Quartier du corbeau, Amour 65 et Adalen 31, dans le cadre d'une rétrospective d'envergure également orchestrée par Malavida.

Conscience politique individuelle et grands combats collectifs


Joe Hill s'inspire d'un personnage réel, Joel Hagglund alias Joseph Hillstrom ou Joe Hill, émigrant suédois qui arrive à New York au début du XXe siècle, puis devient un hobo (travailleur qui se déplace de ville en ville, souvent en se cachant dans les trains) et sillonne les Etats-Unis. Prenant rapidement conscience du fossé qui sépare les travailleurs des classes dirigeantes, il milite pour le droit des ouvriers et rejoint les rangs des Industrial Workers of the World. Sa mort tragique en 1915, suite à un procès tendancieux, fait de lui un martyr, et un symbole de la lutte anticapitaliste. Une chanson, immortalisée par Joan Baez, et qui ouvre le film, est même écrite en son honneur.

Fidèle à son style à la fois naturaliste et léger, Bo Widerberg réalise un film romanesque, foisonnant et bourré d'humour, qui raconte la construction d'une conscience politique individuelle, dresse un portrait sans concession de la misère et de l'injustice régnant aux Etats-Unis au début du XXe, et propose un éclairage fascinant sur les prémisses des grands combats sociaux collectifs de l'époque. Comme toujours avec le réalisateur, tout cela est brossé par petites touches, au fil d'un récit vif et entraînant qui privilégie l'ellipse et le non-dit.

On peut même être étonné de voir à quel point le récit évacue le discours politique en s'appuyant sur des situations qui parlent d'elles-mêmes, et une mise en scène qui vient sans cesse apporter du sens aux images sans avoir besoin de recourir à de longs dialogues explicatifs. Bo Widerberg laisse beaucoup de place au spectateur, qui tisse lui-même les fils logiques du récit : la découverte décevante de l'Amérique tant rêvée à travers les quartiers tristes et pauvres de l'East Side, l'apprentissage de l'injustice avec l'arrestation du petit garçon, le refus des conditions de travail déplorables avec le chantier du chemin de fer... Chaque séquence semble apporter un degré de compréhension supplémentaire à la trajectoire du personnage comme à l'Histoire en train de se faire.

Un être éminemment humain, aux fragilités assumées


La dernière partie, plus sombre, évite l'hagiographie, et n'hésite pas à souligner l'ambivalence des propres amis de Joe Hill, pour lesquels un nouveau martyr était utile à la cause. Le récit, qui semblait jusque-là s'égrener à toute vitesse, prend d'ailleurs le temps de montrer les temps forts du procès (en utilisant les verbatim de l'époque), puis les recours tentés pour sauver le personnage. On le voit en prison, tantôt plein de vitalité, inventant de nouvelles compositions, et tantôt abattu, terrifié par la proximité de la mort. Bo Widerberg n'en fait ainsi pas un héros flamboyant, mais un être éminemment humain qui, s'il est sûr de ses convictions, n'en a pas moins de fragilités assumées.

Si Joe Hill est évidemment un incontournable dans l'oeuvre de Bo Widerberg, toute son oeuvre est hantée par une observation sociale réaliste mais lumineuse à laquelle s'ajoutent au gré des films une vision gourmande de l'existence, un amour de l'art en général et de la peinture en particulier ainsi qu'un regard moderne sur la condition féminine. Influencé par la Nouvelle vague française, le réalisateur a inventé un cinéma au ton extrêmement naturel qui repose sur une méthode de travail particulièrement libre. Cherchant à capter la vie de la manière la plus anti-théâtrale possible, il laisse une grande marge de manœuvre à ses comédiens, donnant l'impression au spectateur d'assister à de vrais moments de vie volés à la réalité. Démonstration rapide avec ses cinq autres longs métrages actuellement en salle, en attendant la suite de la rétrospective.

Le péché suédois (1963)


Il s'agit du premier long métrage de Bo Widerberg, celui qui porte probablement le plus l'influence de la Nouvelle Vague. Le réalisateur s'essaye à des audaces formelles (caméra qui tourne sur elle-même ou choisit des angles de vues atypiques, récit ultra elliptique, images qui se figent, zooms...) qui donnent d'emblée un ton extrêmement libre au récit.

On y suit le parcours d'une jeune fille qui choisit la voie de l'émancipation et décide, au final, d'élever seule son enfant mais de garder le géniteur comme "sex friend". Accompagnée par une bande son qui privilégie un jazz sautillant, la jeune héroïne déambule dans les rues de sa ville, travaille, drague, tombe amoureuse et prend sa vie en mains comme dans un seul mouvement. Un film étonnamment moderne dans son propos comme dans son désir de capter le flux de la vie plutôt que de l'expliquer.

Le quartier du corbeau (1963)


Tourné dans la foulée du premier, le deuxième long métrage de Widerberg est sélectionné en compétition officielle à Cannes et connaît un grand succès public. Il représentera même la Suède à l'Oscar du meilleur film étranger.

Son héros, Anders, a 18 ans. Il vit dans un quartier ouvrier de Malmö et rêve de devenir écrivain afin de pouvoir dénoncer l'injustice sociale dont il est témoin, mais aussi échapper à son milieu. L'occasion d'une plongée bouleversante dans les milieux défavorisés de la Suède des années 30, filmée dans un très beau noir et blanc, et portée par Thommy Berggren, l'acteur fétiche de Widerberg, qu'il retrouvera dans Elvira Madigan et surtout dans Joe Hill.

Amour 65 (1965)


Un réalisateur, marié et père, est séduit par la femme d'un conférencier. Une liaison adultère commence alors. Elle sera brève, mais pas tout à fait secrète. Le héros étant cinéaste (un double du réalisateur ?) on assiste à la fois à plusieurs scènes de tournage et à des séquences de vie de famille au foyer. L'histoire se déroule sur une longue période et montre l'histoire d'amour illégitime autant que ses conséquences. « Mais si on aime vraiment, on préfère être utilisé que le contraire, non ? »

C'est le troisième film de Bo Widerberg, toujours sous une certaine influence Nouvelle Vague : une séquence qui montre des visages comporte en voix-off le dialogue d'une autre séquence, l'histoire de la romance des personnages principaux est agrémentée de diverses réflexion sur le cinéma et sur l'art... La liaison amoureuse passée sera ensuite commentée avec le point de vue de l'épouse et du mari ayant été trompé avec une redéfinition du couple et de l'amitié. Et puis c'est dans ce film que figure l'une des plus magnifiques scènes de cinéma d'un baiser exalté.

Elvira Madigan (1967)


Un lieutenant de l'armée suédoise déserte son régiment pour une artiste de cirque danoise qui elle aussi a tout quitté pour lui. Les deux amants sont très amoureux, mais leur histoire est scandaleuse pour les autres : il y a un avis de recherche dans le journal, lui en tant que déserteur risque la prison...

Le film débute sur leur fuite très romantique, avec batifolages dans les champs à la campagne et dans une petite auberge : « emprunter le regard de l'autre, on a envie de voir et de sentir le monde comme la personne aimée, c'est ça l'amour, non ? » Mais ils ont été reconnus, il faut partir à nouveau, et les deux amants se retrouvent peu à peu sans aucune ressource.

Vivre d'amour et d'eau fraîche, de framboise et de champignons, ça ne dure qu'un temps et des scrupules surviennent. Faute d'argent et face aux difficultés de se cacher longtemps, il va falloir faire des choix... Le film Eliva Madigan est en compétition au Festival de Cannes 1967 où il vaut le Prix d'interprétation féminine à son actrice Pia Degermark.

Adalen 31 (1969)


Là encore, comme dans Joe Hill auquel il s'apparente, le ton léger et presque sensuel de la première partie du film contraste avec le sujet historique qu'il aborde : la répression dans le sang d'une grève d'ouvriers dans la région d'Andalen en 1931. C'est que le cinéaste, loin de réaliser un film social à suspense, choisit au contraire de s'attacher aux pas de ceux dont on sait dès le départ qu'ils seront confrontés à la tragédie finale.

Presque conçu comme une chronique estivale adolescente, Adalen 31 parle donc d'amitié, d'éveil des sens et d'insouciance joyeuse. Les jeunes héros du film aiment le jazz et la peinture (Renoir, à nouveau), le cinéma de genre et la simplicité d'un bon repas entre amis. On sent encore poindre dans les petits détails du récit le désir qu'avait Bo Widerberg de communiquer au public sa vision hédoniste des plaisir de la vie.

Mais la seconde partie prouve que le réalisateur sait aussi filmer des séquences monumentales mettant en scènes des centaines de figurants. Le propos politique, bien présent, reste irrémédiablement lié à une vision humaniste de la société et du monde. L'émotion et la révolte ont leur place dans Adalen 31, mais dans les derniers plans, c'est bien la vie (et donc l'espoir) qui reprend le dessus, comme une métaphore du travail et de la philosophie personnelle de Bo Widerberg. Le film recevra d'ailleurs le Grand Prix du jury à Cannes et de nouvelles nominations aux Oscar et aux Golden Globes.

Kristofy & MpM

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Bo Widerberg, Cinéaste rebelle - Rétrospective partie 1
Actuellement au cinéma

Joe Hill en DVD chez Malavida dès le 15 juillet
A noter : un dossier spécial consacré au film sera publié dans le prochain numéro de notre confrère L'Avant-Scène Cinéma

Le pêché suédois, Elvira Madigan et Adalen 31 : trois films pour redécouvrir Bo Widerberg

Posté par MpM, le 28 janvier 2014

Bo WiderbergLa ressortie en salles ce mercredi 29 janvier de trois films de Bo Widerberg, Le pêché suédois (1962), Elvira Madigan (1967) et Adalen 31 (1969), jette un formidable coup de projecteur sur ce cinéaste suédois prolixe, habitué du Festival de Cannes, des récompenses internationales et des nominations aux Oscar, mais bien moins connu des jeunes générations de cinéphiles français que son célèbre compatriote Bergman.

Né en 1930 à Malmö (la troisième ville du pays), Bo Widerberg se passionne jeune pour l'art, le cinéma et la littérature française, et se tourne presque naturellement vers une carrière de journaliste et d'écrivain.

Ses débuts derrière la caméra ont des airs de jolie légende. Lorsqu'en 1962, il publie Une vision du cinéma suédois (anthologie de son travail de critique pour le journal Expressen de Stokholm), dans lequel il fustige un cinéma suédois jugé "rigide, provincial et arriéré" et ne montrant pas la vie quotidienne et la réalité des temps modernes, le propriétaire de la maison de production Europa Films lui aurait en effet envoyé un télégramme disant : "Voilà 250 000 couronnes. Filmez donc la vérité."

Premier film, premier succès

Le résultat sera Le péché suédois, sélectionné à la Semaine de la Critique en 1963, qui propulse Widerberg sur le devant de la scène suédoise comme internationale. Il tourne dans la foulée son deuxième long métrage, Le quartier du corbeau, qui est sélectionné en compétition officielle à Cannes et connaît un grand succès public. Le film représentera même la Suède à l'Oscar du meilleur film  étranger.  Suivent Amour 65 et Heja Roland! puis, en 1967, Elvira Madigan qui marque le retour de Bo Widerberg à Cannes et son triomphe dans les salles. Le film remporte le prix d'interprétation féminine cannois pour la jeune Pia Degermark qui interprète le rôle titre, puis reçoit deux nominations aux Golden Globes.

La carrière du cinéaste se poursuit en dents de scie : à la fin des années 60, il tourne Adalen 31 qui reçoit le Grand Prix du jury à Cannes et de nouvelles nominations aux Oscar et aux Golden Globes, et Joe Hill qui est récompensé d'un Prix spécial du Jury à Cannes. Puis suivent Un flic sur le toit qui est considéré comme "le premier film policier suédois de niveau international", Victoria qui est un cuisant échec, ou encore La beauté des choses qui rappelle les meilleures œuvres du cinéaste, et lui vaut une nouvelle nomination aux Oscar. Ce sera aussi malheureusement son dernier long métrage : Bo Widerberg meurt soudainement en mai 1997, à nouveau au sommet de sa gloire, et laissant derrière lui une filmographie éclectique et singulière qui a quelque peu renouvelé le paysage cinématographique suédois.

Tournage en toute liberté

Influencé par la Nouvelle vague française, Bo Widerberg a inventé un cinéma au ton extrêmement naturel qui repose sur une méthode de travail particulièrement libre. Le réalisateur cherchait en effet à capter la vie de la manière la plus anti-théâtrale possible en laissant une grande marge de manœuvre à ses comédiens. Le scénario devait juste servir de base à l'action et leur permettre d'arriver (par leurs propres moyens) aux répliques ou situations attendues par le cinéaste. Pour ce faire, il avait pris l'habitude de tourner énormément en attendant le moment où "les acteurs ne pensaient plus à jouer mais faisaient vivre leurs répliques" comme l'explique Marten Blomkvist, biographe de Bo Widerberg. Cette manière de travailler, extrêmement consommatrice en pellicule, lui valut beaucoup de critiques de la part des producteurs et journalistes suédois. Elle lui permit toutefois d'instaurer un style très particulier qui donne l'impression au spectateur d'assister à de vrais moments de vie volés à la réalité.

Les trois longs métrages qui ressortent en salles en ce début d'année (après que le Festival Premiers plans d'Angers lui ait consacré une rétrospective) donnent un premier aperçu du style propre à Bo Widerberg. Tournés tous les trois dans les années 60, mais dans des genres et sur des sujets très différents, ils mettent chacun à sa manière l'accent sur le réalisme lumineux du cinéaste, mais également sur sa vision gourmande de l'existence, son amour de la peinture et son regard moderne sur la condition féminine.

Le péché suédois (1963)

Il s'agit du film qui porte le plus l'influence de la Nouvelle Vague. Bo Widerberg s'essaye à des audaces formelles (caméra qui tourne sur elle-même ou choisit des angles de vues atypiques, récit ultra elliptique, images qui se figent, zooms...) qui donnent d'emblée un ton extrêmement libre au récit.

Le film raconte le parcours d'une jeune fille qui choisit la voie de l'émancipation et décide, au final, d'élever seule son enfant mais de garder le géniteur comme "sex friend". Accompagnée par une bande son qui privilégie un jazz sautillant, la jeune héroïne déambule dans les rues de sa ville, travaille, drague, tombe amoureuse et prend sa vie en mains comme dans un seul mouvement. Un film étonnamment moderne dans son propos comme dans son désir de capter le flux de la vie plutôt que de l'expliquer.

Elvira Madigan (1967)

Le premier film en couleurs de Bo Widerberg utilise une pellicule très sensible qui vient de faire son apparition sur le marché. Elle permet de filmer en lumière naturelle et d'obtenir des tons plus nuancés que sur les films couleurs habituels. La douceur des belles journées d'été donnent ainsi le ton à la première partie du film, qui conte l'idylle romantique entre le lieutenant Sixten Sparre et la funambule Hedvig Jensen. Les deux amoureux se sont enfuis de leurs familles respectives pour donner libre cours à leur amour.

On les voit en pleine nature, éclairés par un soleil radieux qui rend le monde flou tout autour d'eux. L'insouciance de la passion amoureuse mêlée à l'amour des choses simples mais bonnes irradient le film qui est construit comme une juxtaposition de scènes champêtres, de repas frugaux mangés sur l'herbe et de scènes d'amour sensuelles. L'influence de la peinture est flagrante dans la composition de certains plans, où surgit tout à coup le fantôme de Renoir, ou celui de Monet. Curieusement, l'histoire vraie et tragique de ces deux amants conduits au suicide par leur amour interdit respire la vie, la simplicité et la joie de vivre. Car ce qui semble intéresser Widerberg, au-delà du mythe éternel, c'est bien de saisir la vie dans ce qu'elle a de plus précieux, et non les rouages cruels du drame.

Adalen 31 (1969)

Là encore, le ton léger et presque sensuel de la première partie du film contraste avec le sujet historique qu'il aborde : la répression dans le sang d'une grève d 'ouvriers dans la région d'Andalen en 1931. C'est que le cinéaste, loin de réaliser un film social à suspense, choisit au contraire de s'attacher aux pas de ceux dont on sait dès le départ qu'ils seront confrontés à la tragédie finale.

Presque conçu comme une chronique estivale adolescente, Adalen 31 parle donc d'amitié, d'éveil des sens et d'insouciance joyeuse. Les jeunes héros du film aiment le jazz et la peinture (Renoir, à nouveau), le cinéma de genre et la simplicité d'un bon repas entre amis. On sent encore poindre dans les petits détails du récit le désir qu'avait Bo Widerberg de communiquer au public sa vision hédoniste des plaisir de la vie. Mais la seconde partie prouve que le réalisateur sait aussi filmer des séquences monumentales mettant en scènes des centaines de figurants. Le propos politique, bien présent, reste irrémédiablement lié à une vision humaniste de la société et du monde. L'émotion et la révolte ont leur place dans Adalen 31, mais dans les derniers plans, c'est bien la vie (et donc l'espoir) qui reprend le dessus. Comme une métaphore du travail et de la philosophie personnelle de Bo Widerberg.

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Le pêché suédois (1962), Elvira Madigan (1967) et Adalen 31 (1969) de Bo Widerberg
En salles le 29 janvier 2014
En DVD sur le site de Maladiva Films