[2019 dans le rétro] Des films LGBT : une belle quantité et surtout une bonne qualité

Posté par wyzman, le 3 janvier 2020

Après une année 2018 marquée par des avancées majeures dans la représentation de la communauté LGBT au cinéma, l’année 2019 aura été celle des explorations (plus ou moins) réussies.

Une compétition cannoise très queer

Une fois n’est pas coutume, c’est sur la Croisette que l’on a vu d'excellents films autour de personnages LGBT. A commencer par Douleur et Gloire, le dernier film de Pedro Almodóvar. Pendant près de deux heures, le cinéaste espagnol propose une analyse poussée de ses propres traumas grâce à  l'histoire d’un réalisateur, à la sexualité jamais cachée, qui a connu le succès avant d’être dans l’incapacité physique de tourner des films. L’occasion pour Pedro Almodóvar d’offrir un rôle de premier plan à Antonio Banderas qui a décroché un prix d’interprétation. On se souviendra longtemps de cette scène où le personnage de Banderas enfant tombe dans les pommes en voyant le bel artisan se laver devant lui. Egalement en compétition à Cannes, Roubaix, une lumière était la plus atypique des déclarations d’amour d’Arnaud Desplechin. Cela étant, à l'aide de Léa Seydoux et Sara Forestier, il y dépeint une relation amoureuse lesbienne toxique particulièrement intrigante.

Les véritables moments marquants de la compétition nous ont été offerts par Xavier Dolan et Céline Sciamma. Avec Matthias et Maxime, celui que l’on a très tôt considéré comme un prodige prouve qu’il n’a rien perdu de sa superbe. Après deux films internationaux qui n’ont pas autant convaincus que prévu, Xavier Dolan signe un film personnel sur deux amis d’enfance bouleversés par un baiser effectué pour les besoins d’un film. Véritable drame sur l’éclosion des sentiments, Matthias et Maxime fait partie des films les plus touchants de la filmographie du Québécois.

De son côté, Céline Sciamma n’a pas démérité. Avec Portrait de la jeune fille en feu, elle a complètement retourné la Croisette, offrant aux spectateurs et aux critiques le drame lesbien dans la Bretagne de 1770 qu’ils méritaient. Aussi sentimental et cérébral que Carol de Todd Haynes, Portrait de la jeune fille en feu fait la part belle aux jeux de regards et captive par les performances très authentiques de Noémie Merlant et Adèle Haenel.

La Queer Palm, un gage de qualité ?

Toujours à Cannes, mais hors compétition, il ne fallait pas manquer Rocketman de Dexter Fletcher. Ce biopic consacré au génie créatif d’Elton John donne lieu à de jolies séquences musicales tout en ayant l’allure d’un couteux album souvenir validé par l’artiste lui-même. Loin d’être aussi queer et flamboyant que prévu, malgré quelques allusions sexuelles, Rocketman a bénéficié d’une tournée promotionnelle parfaitement assurée par ses (très beaux) acteurs principaux : Taron Egerton, Jamie Bell et Richard Madden. Du côté d’Un Certain Regard, le drame Port Authority aura fait parler de lui grâce à Leyna Bloom, la première actrice transcengenre et de couleur à être la tête d’affiche d’un film cannois. Centré sur la rencontre entre un jeune homme blanc (Paul joué par Fionn Whitehead) et une danseuse trans noire (Wye), Port Authority vaut le détour pour ce qu’il dit de la masculinité et de la notion de « famille ».

Mais c’est sans l’ombre d’un doute Et puis nous danserons (présenté à la Quinzaine des réalisateurs) que l’on ne cessera jamais de vous recommander. Premier long-métrage LGBT en Géorgie, le film de Levan Akin raconte comment Merab, un danseur de l’Ensemble national géorgien est troublé par l’arrivée dans sa classe d’Irakli, un rival plein de surprises. En s’éloignant du très basique film d’apprentissage sur le coming out, Et puis nous danserons montre avec beaucoup de sérieux la prise d’indépendance un jeune homme rejeté de toutes parts et pourtant loin d’être aussi fragile qu’on ne le pense. Grâce à des séquences dansées hypnotiques et terrifiantes et un acteur principal charismatique, le superbe Levan Gelbakhiani, Levan Akin signe ici le meilleur drame gay de l’année. Rien que ça !


Des pépites trop vite oubliées ?

Disponible sur Netflix depuis le 1 février, Velvet Buzzsaw de Dan Gilroy n’a pas fait couler autant d’encre que prévu. Thriller horrifique de bonne facture, le film s’est révélé un peu trop prévisible pour que la presse l’applaudisse. Et malgré un teasing généreux autour des scènes de sexe de Jake Gyllenhaal, son rôle de critique d’art bisexuel n’était finalement accompagné que de coïts hétérosexuels. Une déception qui a vite fait tomber le projet dans les abîmes d’Internet...

A l’inverse, Boy Erased de Joel Edgerton a su davantage convaincre. Malheureusement, son sujet (la thérapie de conversion forcée d’un jeune homme gay par son père pasteur) pourrait en avoir rebuter plus d’un. Nécessaire et rigoureusement réalisé, Boy Erased jouit d’un casting quatre étoiles (Lucas Hedges, Russell Crowe, Nicole Kidman, Joe Alwyn, Xavier Dolan, Flea, Troye Sivan)  qui vaut tous les visionnages du monde !

En parallèle, Entre les roseaux est la jolie surprise de l’année. En dépeignant l’histoire d’amour d’un étudiant finlandais et d’un réfugié syrien, Mikko Mäkelä a pris tout le monde de court. Ode à peine déguisée à la libération des corps et de l’esprit, Entre les roseaux peut se vanter de disposer d’une photographie et d’une lumière extraordinaires. Ses acteurs principaux Janne Puustinen et Boodi Kabbani sont des raisons supplémentaires de découvrir cette belle découverte.

Des surprises très engagées

Longtemps critiqués pour leur manque d’intérêt pour le cinéma LGBT, producteurs, scénaristes et cinéastes francophones semblent de plus en plus inspirés par une communauté aux mille facettes. Si la télévision commence tout juste à s'en emparer, le cinéma, cette année, a montré qu'on pouvait être populaire et queer. Il ne fallait donc pas louper Les Crevettes pailletées, la comédie déjantée de Maxime Govare et Cédric Le Gallo. Dans celle-ci, Nicolas Gob joue un vice-champion de natation homophobe qui est contraint d’entraîner une équipe gay de water-polo. L’occasion pour les acteurs Alban Lenoir, Michaël Abiteboul, David Baiot, Roman Lancry, Roland Menou, Geoffrey Couët, Romain Beau, Félix Martinez ou encore Pierre Samuel de nous faire rêver et rire au cours de séquences d’anthologie (l’enterrement, really!)

Du côté de la Belgique, impossible de ne pas évoquer Lola vers la mer ou l’un des meilleurs drames jamais réalisés sur la jeunesse trans. Porté par le duo père fille Mia Bollaers/Benoît Magimel, le film de Laurent Micheli montre comment l’incompréhension est souvent à l’origine des pires situations transphobes dans le cercle familial. Plus sensé et sensible mais sans doute moins maîtrisé que Girl de Lukas Dont, Lola vers la mer est un sacré road-movie sur la différence !

C'est autre chose qu'un simple clin d'oeil aux gays et lesbiennes dans Avengers ou Star Wars. Car du côté d'Hollywood, si les gays, lesbiennes, trans, bi sont de mieux en mieux représentés, notamment dans les séries, ils restent absent des gros blockbusters de l'année. A deux exceptions notables, datant de 2018 mais sorties en 2019: le personnage homosexuel de Mahershala Ali dans Green Book, Oscar du meilleur film et Oscar du meilleur second-rôle masculin. Et la reine aux amours invertis dans La favorite, qui a valu l'Oscar de la meilleure actrice à Olivia Colman.

Evidemment, on reste loin du cas de la série "Elite" où le gender fluid domine et où chacun baise qui il veut, sans se soucier des jugements.

3 bonnes raisons de voir Entre les roseaux de Mikko Makela

Posté par wyzman, le 24 mars 2019

En salle depuis mercredi dernier, Entre les roseaux est le film LGBT à ne pas manquer cette semaine. Voici pourquoi.

Entre les roseaux est un drame politique. De retour en Finlande pour les vacances d’été, Leevi aide son père à restaurer le chalet familial au bord d’un lac. Tareq, un réfugié syrien et demandeur d'asile les aide sur ce chantier. Alors que Leevi s’est réfugié dans la poésie et l’oeuvre de Rimbaud, Tareq, lui, tente de se construire une identité dans un monde fait d’inégalités. La Finlande doit devenir sa terre d’adoption tandis qu’elle est source de mauvais souvenirs pour Leevi. En parallèle de l’amour naissant entre les deux hommes, Mikko Makela offre un cours de tolérance au spectateur par le biais du personnage du père de Leevi. Rustre et peu habitué à voir des étrangers, il fait office de caution xénophobe dans un film centré sur la différence.

Entre les roseaux est un film sur la passion amoureuse. Pendant 1h48, Leevi semble mué par le désir de quitter cette terre qui a vu mourir sa mère pour retrouver un Paris où il a pourtant du mal à étudier depuis une rupture douloureuse. De son côté, Tareq est habité par l’idée que fuir la Syrie était le seul moyen de pouvoir être lui-même, quitte à laisser sa famille en danger. Leur rencontre, soudaine et parfaitement mise en scène par un monteur qui réalise ici son premier long métrage est de toute beauté. Leurs dialogues sont succincts mais emplis de sens. Loin d’être viable sur le long terme, l’idylle d’Entre les roseaux n’est pas sans rappeler le caractère éphémère de Week-end, le premier succès critique d’Andrew Haigh. La romance de vacances d’Entre les roseaux est aussi intense qu’un premier amour et aussi violente qu’une première rupture.

Entre les roseaux est un projet lumineux. Loin des clichés sur la Finlande plongée dans le noir, Entre les roseaux dévoile un nouvel aspect de ce grand pays seulement peuplé par 5,5 millions de personnes. Dans un cadre à la fois champêtre et estival, Mikko Makela filme ces deux acteurs principaux (l'éphèbe Janne Puustinen et l'envoutant Boodi Kabbani) avec une sensualité fascinante. A coups de gros plans et de jeux de regards et aidé d’une photographie lumineuse et signée Iikka Salminen, l’homme que l’on a vu dans How to Talk to Girls at Parties signe un film convenu mais cohérent. Dans la lignée de Seule la terre et Mario, Entre les roseaux est une petite pépite de cinéma indépendant.