Les reprises de l’été: Le Destin de Madame Yuki de Kenji Mizogushi

Posté par vincy, le 19 juillet 2017

Ce qu'il faut savoir: Kenji Mizogushi (1898-1956) est l'un des plus grands cinéastes asiatiques de sa génération. A la sortie du film Le Destin de Madame Yuki, adaptation d'un roman de Seiichi Funabashi, il n'a pas encore connu la notoriété internationale acquise avec ses multiples sélections et prix au Festival de Venise entre 1952 et 1956 et sa place en compétition à Cannes en 1954 avec Les amants crucifiés. Cinéaste prolifique (il tournait parfois deux à trois films par an). Films sans Frontières le ressort au cinéma le 19 juillet en version restaurée.

Le pitch: Unique rejeton d'une maison noble, Madame Yuki a épousé un homme égoïste et vil qui non seulement la bat mais la trompe ouvertement. Masaya, son ami de longue date, est épris d'elle. Mais, respectueuse des traditions, Madame Yuki n'ose rendre à son mari la monnaie de sa pièce. Elle commence à envisager le divorce lorsque son mari l'offense cruellement...

Pourquoi il faut le voir? Le film n'a jamais été montré en salles depuis plus de 30 ans et est inédit en vidéo. Œuvre méconnue du cinéaste, Le Destin de Madame Yuki est l'un de ces portraits de femmes magnifiques, sur fond de mélodrame, piégées par leur condition sociale et leurs aspirations amoureuses. Ici, Mizogushi s'intéresse à deux classes différentes: l'aristocratie d'avant-guerre et la bourgeoisie cupide et arriviste née de la reconstruction nippone. La femme souffre ainsi de cette déchéance inéluctable et d'un mari vulgaire et infidèle. En quête d'émancipation, elle va vouloir faire fructifier son seul bien en héritage, en transformant sa maison de campagne, symbole de son passé, en auberge. Mais éperdument soumise et incapable de se défaire de son mari, elle se fera spolier par lui. Ce qui est passionnant dans ce film pudique, magnifique et distant est cependant ailleurs: le réalisateur nous interroge sur la liaison entre amour et désir charnel. Le démon intérieur qui brûle en elle l'empêche finalement de s'affranchir tant elle est dépendante sexuellement. Ainsi, son mari la répugne mais il est le seul à la satisfaire sexuellement, tandis que son amant, raffiné et cultivé, est impuissant. Yuki ne peut qu'être désillusionnée et constater sa lâcheté. Habituellement poignants, les films du cinéastes abordent la passion avec une forme de mélancolie, tout en nous mettant au centre d'un duel où le féminin et le masculin s'opposent. Clairement, le cinéaste avait à cœur de sublimer le monde féminin, imaginatif, contemplateur et doux. Cela s'illustre parfaitement avec les mouvements de caméra majestueux et fluides. Chez Mizogushi, il y a toujours une maîtrise du récit, des fulgurances poétiques, et une sensibilité à fleur de peau. Comme le dit Martin Scorsese: "Mizoguchi est l'un des plus grands maîtres à avoir travaillé sur le medium qu'est le cinéma; je le place juste après Renoir, Murnau et Ford."

Le saviez-vous? Mizogushi n'aimait pas son film, l'estomant trop mélodramatique et presque trop beau. Pourtant, le plan-séquence funèbre où Yuki dans la brume matinale s'éloigne jusqu'à disparaître près d'un lac est splendide et figure parmi les plus belles scènes du 7e art. Ce lac, le Lac Biwa, métaphore du vague à l'âme et de la perte de soi, est une immense étendue d'eau au centre du Japon, entre les Alpes et Kyoto. On le retrouve notamment dans un autre film de Mizogushi, Les contes de la lune vague après la pluie (1953). Notons aussi que l'actrice incarnant Yuki, Michiyo Kogure, a aussi joué pour Akira Kurosawa, Yasujiro Ozu, Mikio Naruse et Tomotaka Tasaka. Le destin de Madame Yuki a été sa première collaboration avec Mizogushi. Ils ont tourné 4 films ensemble, dont le dernier film du cinéaste, La rue de la honte.

Rideau pour le cinéma La Bastille

Posté par vincy, le 12 juillet 2016

Le 7 juillet, le ciné Metro Art Bastille, dit La Bastille a fermé son rideau de fer pour une période indéterminée. Les trois salles situées à deux pas de la Place de la Bastille ont été fermées précipitamment. Le cinéma a été contraint de fermer par un huissier, faute de loyers impayés. C'est le deuxième cinéma qui ferme cette année à Paris, après le Saint-Lazare Pasquier en janvier. Les deux sites ont le même propriétaire, le compositeur-peintre-producteur-distributeur-exploitant Galeshka Moravioff, par ailleurs directeur des Films sans Frontières.

Procédures

Trois mois de loyers impayés et trois salles art et essai qui disparaissent (provisoirement) du paysage. Selon le patron du réseau Ciné Métro Art, la trésorerie est en cause: la subvention destinée à la numérisation des salles n'a pas été versée par le CNC et il a fallu payer avec la trésorerie. Une procédure serait en cours pour récupérer les subventions et surtout obtenir réparation (il réclame 3,5M€ pour le préjudice). Si la Cour administrative donne raison au cinéma, La Bastille pourrait rouvrir rapidement. On veut bien croire à la réouverture du cinéma, mais les mêmes raisons avaient été invoquées pour le Pasquier. "Je comptais sur les aides financières du CNC pour financer les travaux de numérisation et de modernisation de mes 25 salles mais les subventions ont été bloquées en 2012 alors que j'avais déjà engagé les travaux" expliquait-il en janvier. Après s'être pourvu en justice, les tribunaux lui ont donné raison et le CNC a été contraint de lui verser les aides, trop tardivement puisque l'endettement avait déjà explosé.

Un petit empire en déclin

Pour l'instant les sept employés sont au chômage technique. Et les habitants du quartier doivent aller au MK2 ou au Majestic tous proches, ou à l'UGC Lyon-Bastille un peu plus loin.

Le cinéma s'était installé dans un ancien entrepôt de meubles en 1939. A l'époque il n'y avait qu'une seule (grande) salle où l'on diffusait des actualités. Après unee transformation à la fin des années 1950, il devient La Bastille en 1961 (doté d'un salle de 475 places). C'est en 1984 qu'il est divisé en trois salles.

Galeshka Moravioff voit son empire se réduire puisque sa société Cinéma National Populaire à Lyon (trois sites) est en cours de liquidation, tout comme Le Melville à Rouen, fermé depuis 2014. Il lui reste 8 salles à Marseille (le César et les Variétés).