Berlin 2017: « On Body and Soul » remporte quatre prix dont l’Ours d’or

Posté par vincy, le 18 février 2017

Si l'Ours d'or a échappé à Aki Kaurismäki, qui hérite quand même du prix de la mise en scène, le palmarès de cette 67e Berlinale révèle que les favoris sont tous présents au tableau d'honneur, couronnant toute une palette de cinémas venant d'Asie, d'Amérique latine, d'Afrique ou d'Europe. Il y a peu d'impairs (nos pronostics, dans le désordre hiérarchique certes) étaient assez justes, hormis cet étrange prix Alfred Bauer à un film qui n'ouvre pas tant de perspectives et l'absence de Colo de Teresa Villaverde (qui elle aurait éventuellement mérité le prix Alfred Bauer).

La diversité était là. Mais finalement c'est On Body and Soul, film hongrois de la cinéaste Ildiko Enyedi qui l'a emporté après avoir glané le prix du jury écuménique, le prix de la critique internationale et le prix du jury des lecteurs du Berliner Morgenpost. Un grand chelem en quelque sorte pour ce film sensible qui a fait l'unanimité. Rappelons que la réalisatrice avait remporté la Caméra d'or en 1989 à Cannes pour Mon XXe siècle (Az én XX. szazadom).

Ours d'or du meilleur film: On Body and Soul, de Ildiko Enyedi
Grand prix du jury: Félicité d'Alain Gomis
Ours d'argent de la mise en scène: Aki Kaurismäki pour L'autre côté de l'espoir
Ours d'argent de la meilleure actrice: Kim Minhee dans On the beach at night alone de Hong SangSoo
Ours d'argent du meilleur acteur: Georg Friedrich dans Helle Nächte de Thomas Arslan
Ours d'argent du meilleur scénario: Una mujer fantastica de Sebastian Lelio et Gonzalo Maza
Prix Alfred-Bauer (récompensant un film ouvrant de nouvelles perspectives): Spoor d'Agnieszka Holland
Ours d'argent de la meilleure contribution artistique: Dana Bunescu pour le montage d'Ana, mon amour

Meilleur documentaire:
Istiyad Ashbah (Ghost Hunting) de Raed Andoni

Meilleur premier film:
Estiu 1993 (Summer 1993) de Carla Simon

Ours d'or d'honneur: Milena Canonero
Berlinale Kamera: Nansun Shi, Geoffrey Rush, Samir Farid

Ours d'or du meilleur court métrage:
Cidade Pequena (Small Town) de Diego Costa Amarante
Ours d'argent du meilleur court métrage:
Ensueno en la pradera d'Esteban Arrangoiz Julien

Berlinale Shorts - Audi Short Film Awards:
Street of Death de Karam Ghossein et Jin Zhi Xia Mao (Anchorage Prohibited) de Chiang Wei Liang

Panorama (prix du public)
- Meilleur film: Insyriated de Philippe Van Leeuw (2e place: Karera ga Honki de Amu toki wa (Close-Knit) de Naoko Ogigami, 3e place: 1945 de Ferenc Török)
- Meilleur documentaire: I Am Not Your Negro de Raoul Peck (2e place: Chavela de Catherine Gund et Daresha Kyi ; 3e place: Istiyad Ashbah (Ghost Hunting) de Raed Andoni)

Prix du jury écuménique
- Compétition : On Body and Soul de Ildiko Enyedi
Mention spéciale: Una mujer fantástica de Sebastian Lelio
- Panorama: Tahqiq fel djenna de Merzak Allouache
Mention spéciale: I Am Not Your Negro de Raoul Peck
- Forum: Maman Colonelle de Dieudo Hamadi
Mention spéciale: El mar la mar de Joshua Bonnetta and J.P. Sniadecki

Prix de la FIPRESCI
- Compétition : On Body and Soul de Ildikó Enyedi
- Panorama: Pendular de Julia Murat
- Forum: Shu'our akbar min el hob de Mary Jirmanus Saba

Prix CICAE du cinéma art et essai
- Panorama: Centaur de Aktan Arym Kubat
- Forum: Newton d'Amit V Masurkar

Label Europa Cinema
Insyriated de Philippe Van Leeuw

Prix Caligari
El mar la mar de Joshua Bonnetta et J.P. Sniadecki

Prix Amnesty International
La libertad del diablo d'Everardo González

Prix du jury des lecteurs du Berliner Morgenpost
On Body and Soul de Ildiko Enyedi

Prix des lecteurs du Tagesspiegel
Maman Colonelle de Dieudo Hamadi

Generation Kplus
- Crystal Bear du meilleur film: Piata lo' (Little Harbour) d'Iveta Grofova
- Mention spéciale: Amelie rennt (Mountain Miracle – An Unexpected Friendship) de Tobias Wiemann
- Crystal Bear du meilleur court métrage: Promise de Xie Tian
- Mention spéciale: Hedgehog's Home d'Eva Cvijanovic
- Grand Prix Generation Kplus du meilleur film (ex-aequo): Becoming Who I Was de Chang-Yong Moon et Jin Jeon ; Estiu 1993 (Summer 1993) de Carla Simon
- Prix spécial du jury Generation Kplus pour le meilleur court: Aaba (Grandfather) de Amar Kaushik

Compass Perspektive Award : Die Beste aller Welten d'Adrian Goiginger

Berlin 2017 : Pères et fils

Posté par MpM, le 13 février 2017

Mr Long

Coïncidence de programmation, après avoir mis l'accent sur de beaux personnages féminins, 67e la Berlinale proposait en ce 4e jour de compétition des histoires de relations filiales. De manière particulièrement évidente dans Helle Nachte de Thomas Arslan, et plus symboliquement dans Mr Long de Sabu.

Helle Nacht

Le premier raconte le voyage en Norvège de Michael, un ingénieur d'une quarantaine d’années, pour assister aux funérailles de son père dont il n’était pas proche. Son fils de 14 ans, Luis, accepte de l'accompagner. Rapidement, on comprend qu'il ne s'agit pas tant pour le personnage principal de se pencher sur son passé que de rattraper le temps perdu avec son propre fils.

Si l'on attend à chaque instant une révélation, ou un rebondissement de taille, c'est en réalité cette unique idée de départ qui guide tout le film. Par petites touches, et sans réel ressort dramatique, Thomas Arslan (Gold) observe simplement la relation maladroite qui lie les deux hommes et se contente d'une récit minimaliste, presque relâché, qui confine vite à l'ennui.

Sur une durée resserrée, et avec une vraie finesse d'analyse, la démarche subtile du cinéaste, consistant à en suggérer le plus possible, pourrait fonctionner. Mais le film reste terriblement superficiel sur ce qu'il est censé décortiquer (les relations entre les deux personnages) et, au lieu de portraits sensibles, offre des explications à l’emporte-pièce sur les raisons qui ont conduit le père et le fils à s’éloigner. Visuellement, le film propose des plans superbes sur la nature norvégienne, si magnifique qu'elle donne implacablement envie d'y aller immédiatement en vacances. Malheureusement, certaines séquences virtuoses sont purement gratuites (le très long plan en camera subjective sur la route de plus en plus dissimulée par le brouillard), et d'autres évoquent un clip de l'office du tourisme norvégien. Rien dans tout cela ne révèle réellement ce qui unit au finale les personnages, et lorsque le film veut nous faire croire dans sa conclusion que quelque chose de crucial a changé dans la relation entre Michael et Luis,  c'est une facilite supplémentaire de scénario.

Mr Long

Chez Sabu, au moins, la relation filiale semble plus intéressante car elle est choisie, et non héritée. Le personnage principal, un tueur à gage taïwanais dont le dernier contrat a mal tourné, est sauvé par un jeune garçon qui n'a pas de père, et dont la mère est une junkie (oui, c'est du lourd). Il se tisse entre les deux personnages un lien d'amitié ténu qui passe principalement par la nourriture. Mr Long, le héros, cuisine pour le jeune garçon, et devient peu à peu le cuistot attitré de tout le voisinage. Mutique et réservé, c'est à travers sa cuisine qu'il s'exprime, et c'est ainsi qu'il noue des relations fortes avec son jeune protégé ainsi qu'avec ses voisins.

Même si cette filiation symbolique n'est pas le motif central de l'intrigue, un mélange de polar sanglant, de comédie décalée et de mélodrame sirupeux, elle permet de structurer le récit en justifiant le changement de vie radical du tueur à gages. Contrairement à Helle Nacht, qui parle abstraitement de filiation, sans vraiment en montrer la réalité, Mr Long rend palpable les petits riens qui connectent un père à son fils.

C'est d'ailleurs l'unique fil directeur d'un récit qui part dans tous les sens à force de trop vouloir en raconter, et qui finit par ressembler à un condensé des pires clichés du polar asiatique, entre scènes d'action bâclées (les méchants attaquent sagement un à un, en file indienne, et à coups de bâtons, quand le héros est armé d'un couteau), misérabilisme patenté (il faut voir le personnage de dealer super méchant qui harcèle la mère du petit garçon) et sentimentalisme facile (l'interminable flash-back sur l'histoire de la mère, notamment). La rédemption par la paternité, ce n'est pas franchement subtil, mais il fallait y penser dans le cadre pourtant ultra codifié du film de gangsters.

On s'aperçoit ainsi que la sélection officielle s’avère pour le moment étrangement moins politique que d'habitude. A la place des gros thèmes de société dont raffole généralement la Berlinale, on trouve des films intimistes, très ancrés sur la cellule familiale, entre portrait et étude psychologique. Comme si, avant de se lancer dans des récits plus engagés, il importait de remettre avant tout l'humain au centre des préoccupations. Un projet qui est au fond éminemment politique.