Sortie DVD : La Clepsydre de Wojciech J. Has

Posté par MpM, le 25 novembre 2019

Rendu célèbre par son adaptation du Manuscrit trouvé à Saragosse en 1965, le réalisateur polonais Wojciech J. Has a remporté en 1973 le prix du jury à Cannes pour La Clepsydre (ex-aequo avec L'invitation de Claude Goretta), oeuvre inclassable dont le point de départ est la visite que rend Jozef, le personnage principal, à son père, pensionnaire d'un sanatorium sinistre, et comme à l'abandon. Dans ce lieu hors du temps où les patients traitent un mal incurable, à savoir la mort, le jeune homme se perd dans une déambulation mentale

Ce film détonnant et étrange, qui ressort en DVD dans une copie restaurée, grâce aux bons soins de la société de distribution Malavida, est l'adaptation de deux oeuvres de Bruno Schulz : Le sanatorium au croque-mort et Les Boutiques de cannelle. Cette dualité d'origine ne suffit pourtant pas à expliquer le caractère singulier et déroutant du film, qui semble un voyage aléatoire dans les souvenirs, les fantasmes, les angoisses et les projections psychiques de Jozef. Comme si ce dernier avait soudain la faculté de traverser les temporalités et les réalités mais qu'incapable de maîtriser ce pouvoir, il était condamné à errer entre des passés révolus ou n'ayant jamais existé, et des futurs incertains et flous.

Cela se traduit à l'écran par une succession de séquences que l'on pourrait qualifier d'incohérentes ou de décousues, nous menant sans cesse d'un lieu à un autre (en passant sous une table, le personnage arrive dans un jardin ; en rampant sous un lit, il se retrouve dans un marché sud-américain), ou face à des personnages mythiques ou historiques.

Tour à tour baroque et inquiétante, anxiogène et débridée, poétique et désespérée, l'ambiance du récit oscille au gré de ces découvertes qui ne semblent jamais obéir à la moindre logique, si ce n'est celle de la pensée humaine. Des motifs, d'ailleurs se font écho et se répètent d'une séquence à l'autre, identiques ou travestis, à l'image de la figure du père, tantôt bienveillante ou tyrannique, fragile ou toute-puissante.

Le film fait ainsi l'effet d'un gigantesque jeu de pistes surréaliste, ou plutôt d'un puzzle constitué de sensations, de thèmes, de lieux, de détails infimes qui plongent le spectateur comme le personnage dans un labyrinthe foisonnant et hypnotique. Rêve éveillé, ou plutôt cauchemar dont il est impossible de sortir, La Clepsydre allie la thématique du temps qui passe (et qu'il est impossible de retenir, ou de retrouver) au désir cinématographique de l'expérimentation formelle.

Le spectateur, balloté au gré des circonvolutions de l'esprit de Jozef, n'a pas un instant de répit, immergé dans le fleuve virtuose des longs travellings, des plans-séquences et des raccords vertigineux qui l'emportent dans un tourbillon sans fin ni moments de répit. Extravagant, onirique et d'une incroyable maîtrise de mise en scène, La Clepsydre est une expérience sensorielle qu'il faut vivre pleinement, sans se soucier d'en comprendre à la première vision les innombrables clés de lecture.

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La Clepsydre de Wojciech J. Has, 1973. Malavida.
En DVD, version restaurée.
Visuels © Malavida