Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 11

Posté par MpM, le 25 mai 2013

l'image manquante de Rithy PanhCher Jafar,

Tu étais le grand absent de ce festival 2013, et pourtant tu n'as pas été oublié. En recevant le grand prix Un Certain Regard pour son magnifique film L'image manquante, le cinéaste Rithy Panh te l'a dédié, dans un geste d'une élégance folle.

Si Asghar Farhadi reçoit lui aussi un prix pour le Passé, aura-t-il à son tour une pensée pour toi ? Jusqu'à présent, il n'a guère mentionné ton nom, mais avoue que ça aurait de la gueule en plein théâtre lumière, devant les médias du monde entier...

Ton autre compatriote Mohammad Rassoulof, qui a reçu le prix Fipresci pour Les manuscrits ne brûlent pas, a quant à lui rendu hommage à tous ceux qui ont pris le risque de travailler avec lui. En accord avec les membres de l'équipe restés en Iran, il n'a cité aucun nom. Toutefois, on a senti que cela lui pesait de récolter seul tous les honneurs pour un film qui, plus que tout autre, n'aurait pu se faire sans l'engagement, l'abnégation et la loyauté d'un groupe soudé de personnes prêtes à prendre tous les risques pour qu'il existe.

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 10

Posté par MpM, le 24 mai 2013

Cher Jafar,

Les manuscrits ne brûlent pas. Tu connais cette phrase de Mikhaïl Boulgakov ? Dans Le maître et Marguerite, elle est prononcée par le Diable, mais peut être interprétée comme l'affirmation de la liberté d'expression face à l'autorité totalitaire.

Ton compatriote Mohammad Rasoulof, en choisissant cette citation comme titre de son nouveau long métrage, annonce donc la couleur avant même le générique de début.

Et de fait, le film est un brûlant pamphlet sur les atteintes à la liberté d'expression commises par le gouvernement iranien. Le coeur du film est une histoire vraie : en 1995, Téhéran avait ordonné au chauffeur du bus conduisant 21 poètes à un festival en Arménie de précipiter le véhicule dans le vide. Les artistes avaient été sauvés par les hasards du destin, et s'étaient vus ordonner de ne rien révéler. Le cinéaste Mohammad Rasoulof imagine que l'un de ces artistes décide de raconter la tentative de meurtre dans un roman.

S'ensuit un film construit comme un thriller qui raconte comment l'émissaire du pouvoir met tout en oeuvre pour retrouver les différentes versions du manuscrit et empêcher la fuite de l'information. On y assiste tour à tout à des scènes d'intimidation, de menace, de torture et de meurtre, le tout avec l'aval de l'état.

Tu l'auras compris, Les manuscrits ne brûlent pas est un film choc et révoltant qui dénonce sans fard les exactions commises à l'encontre des artistes et de tous ceux qui, plus généralement, veulent exprimer une opinion critique à l'égard de leur gouvernement. Par peur d'éventuelles représailles, aucun membre de l'équipe de tournage n'est crédité au générique. Mohammad Rasoulof assume seul la paternité du film et se dresse tel David contre Goliath face aux autorités de son pays.

Bien sûr, le cinéaste a tourné dans la plus parfaite clandestinité et sans la moindre autorisation. C'est aussi en secret que le film a été envoyé au festival de Cannes qui a décidé de le montrer dans sa section Un certain regard.

Plus frontalement que tu ne le faisais dans Closed curtain, mais avec la même force narrative, Mohammad Rasoulof porte un regard ultra critique sur les méthodes iniques des représentants de la loi en Iran et notamment sur le "programme de répression des intellectuels" qui justifie toutes les exactions.

Il garde malgré tout une petite note d'espoir : il n'est jamais possible pour un gouvernement de verrouiller à 100% les informations qui le dérangent. Dans le film, l'un des meurtres se fait ainsi sous le regard d'un témoin anonyme qui pourra à son tour raconter ce qu'il a vu. Dans la réalité, chaque spectateur ayant regardé Les manuscrits ne brûlent pas peut témoigner de l'absence de liberté d'expression en Iran et de la volonté secrète de l'état de bâillonner, si ce n'est d'éliminer, les artistes qui lui déplaisent.

Tu es mieux placé que quiconque pour le savoir, mais lorsque le cinéma permet de dénoncer les injustices et de porter à la connaissance du public les dysfonctionnements d'une société, contrecarrant de fait la volonté d'opacité et de secret de l'état, il ne fait au fond rien d'autre que ce pour quoi il a été créé : témoigner, partager et faire réfléchir.