Berlin 2020: l’Ours d’or pour l’iranien Mohammad Rasoulof

Posté par vincy, le 29 février 2020

La 70e Berlinale, entre coronavirus menaçant et compétition décevante, s'est achevée. Au moins le public a répondu présent à cette édition, la première de l'ère post-Dieter Kosslick, avec Carlo Chatrian, ex-directeur artistique du Festival de Locarno, qui a transformé la Berlinale en un festival plus pointu (peut-être trop).

Les cinémas latino-américains, italiens et même français (surtout à travers les coproductions ont plutôt brillé dans les différents palmarès qui se sont succédés depuis hier.

C'est un choix politique et courageux d'avoir décerné l'Ours d'or au cinéaste iranien Mohammad Rasoulof. Le réalisateur, primé à Cannes en 2017 pour son film Un homme intègre, a été condamné en Iran le 23 juillet dernier à un an de prison ferme suivi de deux ans d'interdiction de sortie de territoire et d'interdiction de se livrer à une activité sociale et politique. Déjà, en 2011, il avait été condamné à un an de prison et en 2013, l'Iran lui avait déjà confisqué son passeport. Depuis septembre 2017, le cinéaste ne pouvait plus circuler librement, travailler et se rendre à l'étranger.

Malgré les interdictions qui le frappent et à l'instar de son compatriote Jafar Panahi, le réalisateur a pu tourner ce film assez long composé de quatre histoires avec Heshmat, Pouya, Javad et Bahram, quatre personnages face à des doutes et des dilemmes, qui sont incapables de tuer malgré le prix à payer.

10 ans après son Prix d'interprétation masculine au 63e Festival de Cannes pour La nostra vita, Elio Germano est sacré à Berlin. Et 5 ans après son Léopard d'or au Festival international du film de Locarno pour Un jour avec, un jour sans, Hong Sang-soo repart avec l'Ours du meilleur réalisateur. Enfin, la réalisatrice américaine Eliza Hittman, révélée avec Beach rats à Sundance, il y a trois ans, repart avec le Grand prix du jury.

Compétition

Ours d'or: Sheytan vojud nadarad (There Is No Evil) de Mohammad Rasoulof
Grand prix du jury: Never Rarely Sometimes Always d'Eliza Hittman
Ours d'argent du meilleur réalisateur: Hong Sang-soo pour Domangchin yeoja (La femme qui court)
Prix d'interprétation féminine: Paula Beer dans Undine de Christian Petzold
Prix d'interprétation masculine: Elio Germano dans Volevo nascondermi (Hidden Away) de Giorgio Diritti
Prix du scénario: Favolacce (Bad Tales) de Damiano et Fabio D'Innocenzo
Prix du jury : Effacer l’historique de Benoît Delépine et Gustave Kervern
Contribution artistique: Le directeur de la photo Jürgen Jürges pour DAU. Natasha de Ilya Khrzhanovskiy et Jekaterina Oertel

Section Encounters
Meilleur film: The Works and Days (of Tayoko Shiojiri in the Shiotani Basin) de C.W. Winter et Anders Edström
Prix spécial du jury: The Trouble With Being Born de Sandra Wollner
Meilleur réalisateur: Cristi Puiu pour Malmkrog
Mention spéciale pour la réalisation: Matias Piñeiro pour Isabella

Sélection officielle

Prix du meilleur documentaire: Irradiés (Irradiated) de Rithy Panh
Mention spéciale du jury documentaire: Aufzeichnungen aus der Unterwelt (Notes from the Underworld) de Tizza Covi et Rainer Frimmel

Prix du meilleur premier film : Los conductos de Camilo Restrepo
Mention spéciale du jury premier film: Nackte Tiere (Naked Animals) de Melanie Waelde

Audi Short Film Award (court métrage): Genius Loci de Adrien Mérigeau
Ours d'or court métrage: T de Keisha Rae Witherspoon
Ours d'argent court métrage: Filipiñana de Rafael Manuel

Section Panorama
Prix du public fiction: Otac (Father) de Srdan Golubovic
- 2e place: Futur Drei (No Hard Feelings) de Faraz Shariat
- 3e place: Hap (Hope) de Maria Sødahl
Prix du public documentaire: Welcome to Chechnya de David France
- 2e place: Saudi Runaway de Susanne Regina Meures
- 3e place: Petite fille (Little Girl) de Sébastien Lifshitz

Teddy Award
Meilleur film: Futur Drei (No Hard Feelings) de Faraz Shariat
Meilleur documentaire: Si c’etait de l’amour (If it Were Love) de Patric Chiha
Meilleur court métrage: Playback, Ensayode una despedida d'Augustina Comedi
Prix du jury: Rizi (Days) de Tsai Ming-Lang
Prix du public: Futur Drei (No Hard Feelings) de Faraz Shariat

Section Generation Kplus (jeunesse)
Meilleur film: Sweet Thing d'Alexandre Rockwell
Mention spéciale: H Is for Happiness de John Sheedy,
Meilleur court métrage : El nombre del hijo (The Name of the Son) de Martina Matzkin
Mention spéciale: El sghayra (Miss) d'Amira Géhanne Khalfallah

Section Generation Kplus (international)
Meilleur film: Los Lobos (The Wolves) de Samuel Kishi Leopo
Mentions spéciales: Mignonnes (Cuties) de Maïmouna Doucouré ; Mamá, mamá, mamá (Mum, Mum, Mum) de Sol Berruezo Pichon-Rivière
Meilleur court métrage: El nombre del hijo (The Name of the Son) de Martina Matzkin
Mention spéciale: The Kites de Seyed Payam Hosseini

Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof condamné

Posté par vincy, le 25 juillet 2019

Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof, primé à Cannes en 2017 pour son film Un homme intègre, a été condamné en Iran le 23 juillet à un an de prison ferme suivi de deux ans d'interdiction de sortie de territoire et d'interdiction de se livrer à une activité sociale et politique. Son distributeur français, ARP Sélection, a immédiatement exigé sa libération. Le Festival de Cannes a également demandé qu'il soit libéré, rappelant qu' "À travers son travail il ne cesse de conter la réalité de son pays, affrontant ainsi la censure imposée chez lui par les autorités iraniennes."

Déjà, en 2011, il avait été condamné à un an de prison pour "activités contre la sécurité nationale et propagande" et en 2013, l'Iran lui avait déjà confisqué son passeport.

Depuis septembre 2017, le cinéaste ne pouvait plus circuler librement, travailler et se rendre à l'étranger. Son passeport a été confisqué dès son arrivée à l’aéroport de Téhéran. Il a ensuite été soumis à un long interrogatoire par les Renseignements des Gardiens de la Révolution. Ceux-ci l’empêchent alors d’assurer le reste de la promotion de son film à l’étranger. Les acteurs du film subissent aussi une perquisition à l’issue de laquelle leurs passeports et ordinateurs sont saisis.

Cannes 2018: un festival plus politique que jamais

Posté par vincy, le 9 mai 2018

Il y a l'aspect business qui inquiète tant les professionnels (Cannes passe-t-il à côté des mutations technologiques de l'époque?), la résistance au cinéma dominant (blockbusters américains et chinois d'un côté, comédies française de l'autre), et puis il y a ce que dessine la sélection du festival en creux: mettant en lumière un cinéma d'auteur qui a de moins en moins de spectateurs, de plus en plus de difficultés à être projeté (les Avengers et Taxi 5 monopolisent 1650 écrans cette semaine) et qui se bat pour avoir une visibilité correcte dans des médias qui réduisent la place de la culture et qui doivent aussi faire du clic.

Mais cette année encore Cannes joue un rôle politique: la défense des réalisateurs, ceux qui croient encore au grand écran comme ceux qui ne peuvent pas sortir de leur pays. Terry Gilliam a reçu le soutien explicite du festival dans son combat juridique et financier contre le producteur Paulo Branco. Rafiki de Wanuri Kahiu a été censuré dans son pays parce que le film montre la relation amoureuse entre deux femmes. Même sanction pour Les âmes mortes du cinéaste chinois Wang Bing, qui est interdit de diffusion en Chine.

Evidemment les deux grands cas cette année sont metteur en scène et cinéaste russe Kirill Serebrennikov et le réalisateur iranien Jafar Panahi, tous deux en compétition respectivement avec Leto et Three faces. Le premier a été assigné à résidence à Moscou depuis l'été dernier accusé d'avoir détourné de fonds publics dans une affaire très politisée puisqu'il critique ouvertement Vladimir Poutine. Son assignation a été repoussée jusqu'au 19 juillet 2018, il sera donc absent.

Pour Jafar Panahi, l'affaire est encore plus rude. Il est interdit de tournage dans son pays et de voyager. Cela ne l'empêche pas de filmer (clandestinement) et même d'être primé par un Ours d'or à Berlin (Taxi Téhéran). On se doutait bien, avec la crise diplomatique américano-iranienne que l'Iran n'allait pas faire d'exception. Rappelons qu'il avait été incarcéré à la prison d'Evin alors qu'il était invité à faire partie du jury de Cannes en 2010.

On a déjà vu des films cannois censurés a posteriori dans leur pays ou dans d'autres. On a aussi déjà connu des cinéastes en sélection qui étaient en litige avec leurs producteurs ou des réalisateurs qui ne pouvaient pas sortir leurs films. Cannes a une histoire mouvementée.

En 1956, à la demande de l'Allemagne de l'Ouest, Nuit et Brouillard est retiré de la compétition officielle tout en étant projeté. Tels des thrillers, Gilles Jcob fait passer d'Est en Ouest les bobines de L'homme de marbre d'Andrzej Wajda et de Stalker de Andreï Tarkovski, au nez et à la barbe des régimes communistes. A la projection du film-surprise de Tarkovski, la délégation d’URSS reconnait le film dont il ne souhaitait pas la diffusion à Cannes et sort de la salle.

En Chine, ce n'est pas mieux, de Zhang Yuan (East Palace, West Palace, "premier film gay" en Chine) à Lou Ye (Summer Palace, qui parle de sexe sur fond de mouvement prodémocratique de la place Tian’anmen) sont censurés dans leur pays et les cinéastes plus que surveillés.

Rappelons aussi qu'avec Chronique des années de braise, Palme d'or signée de l'algérien Mohammed Lakhdar-Hamina, le réalisateur a été lenacé de mort lors de sa venue à Cannes par des anciens membres de l'OAS. C'était en 1975. En 2010, des élus UMP, des militants FN, des harkis, des pieds-noirs et d'anciens combattants protestent contre la projection du film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. On prend les mêmes et on recommence.

Enfin signalons que l'an dernier, Mohammad Rasoulof, Prix Un Certain regard avec Un homme intègre, à peine rentré dans son pays, se voit confisquer son passeport et convoquer à un interrogatoire par les autorités qui l’accusent d'activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime. En octobre, il disait: "J’ai l’impression que les autorités iraniennes veulent étouffer le cinéma d’auteur en Iran”.

Cannes n'a peut-être pas les films oscarisables. Mais une chose est certaine, le festival tient son rang dans la liberté de création et la défense d'un cinéma opprimé qui déplaît aux régimes les plus autoritaires et à ceux qui veulent museler la liberté d'expression.

Festival Un état du monde : Mohammad Rasoulof et Pablo Larrain invités d’honneur

Posté par MpM, le 17 novembre 2017

Créé par le Forum des images, le festival Un état du monde qui commence ce soir cherche à interroger les évolutions actuelles de la société en confrontant questions géopolitiques et cinéma contemporain. Il réunit ainsi, en présence de nombreux invités, des films récents sur ces questions actuelles, sociales, géopolitiques, culturelles et éminemment humaines.

Pour sa 9e édition, le Festival invite donc deux grands réalisateurs dont le travail s'inscrit évidemment avec beaucoup d'acuité dans la thématique : Pablo Larain, qui présentera notamment No, El Club et Tony Manero, et Mohammad Rasoulof (Au revoir, La vie sur l’eau) qui ne pourra être présent puisqu'il est retenu en Iran par les autorités qui lui ont confisqué son passeport. La soirée d'ouverture, qui propose en avant-première Un homme intègre (prix Un Certain regard au dernier festival de Cannes), sera donc également une soirée de soutien à son égard.

Au programme, de nombreux films en avant-première (Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, La Lune de Jupiter de Kornél Mundruczó, L’Insulte de Ziad Doueiri, Western de Valeska Grisebach, Mariana de Marcela Saïd...), des rétrospectives autour du cinéma libanais et de la représentation de la communauté noire dans le cinéma, une carte blanche à Ariane Ascaride et un coup de projecteur sur le duo Xavier Beauvois / Nathalie Baye, avec notamment la projection de leur dernier film, Les gardiennes.

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Un état du monde
9e édition
Du 17 au 26 novembre 2017
Informations et programme sur le site du Forum des images

Une pétition pour soutenir le cinéaste Mohammad Rasoulof

Posté par vincy, le 16 octobre 2017

Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, Prix Un Certain Regard Cannes 2017 pour son film Un homme intègre (sortie en salles le 6 décembre chez ARP Sélection), a été privé de sa liberté de circuler et de travailler comme nous vous en informions le 20 septembre dernier.

Une pétition a été lancée pour qu'il puisse à nouveau s'exprimer et circuler librement. Le distributeur français du film ARP Sélection a lancé cette pétition, qui cumule déjà 1860 signatures en quelques jours.

Rappelons que son passeport a été confisqué dès son arrivée à l’aéroport de Téhéran le 16 septembre dernier. Il a ensuite été soumis à un long interrogatoire par les Renseignements des Gardiens de la Révolution. "Les interrogatoires se poursuivront dans les semaines à venir. Deux chefs d’accusation lourds de conséquences pèsent contre lui, assortis de six années d’emprisonnement" signale le texte.

Iran: le cinéaste Mohammad Rasoulof privé de passeport et convoqué par la justice

Posté par vincy, le 20 septembre 2017

Grand prix Un certain à Regard à Cannes en mai dernier avec Lerd (Un homme intègre), le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof a reçu une invitation à se présenter devant la justice de son pays après s'être vu confisquer son passeport à l'aéroport de Téhéran, selon une dépêche de l'AFP publiée dans la soirée du mardi 19 septembre.

Depuis ce prix, Mohammad Rasoulof était rentré par deux fois en Iran sans rencontrer de difficultés. Cette fois-ci, il revenait des Etats-Unis.

Vendredi 15 septembre, le réalisateur "a été retenu pendant deux heures à l'aéroport et on lui a confisqué son passeport sans lui fournir la moindre explication", a déclaré à l'AFP Kaveh Farnam, coproducteur d'Un homme intègre. Le film doit sortir le 6 décembre en France, distribué par ARP Sélection. Il vient d'être présenté au festival de Telluride. "On lui a donné une lettre l'invitant à se présenter en personne au parquet chargé des médias et de la culture. Il s'y rendra probablement la semaine prochaine" a ajouté le producteur.

Jamais deux sans trois

On ignore pour l'instant les griefs retenus contre le cinéaste. Déjà, en 2011, il n'avait pas pu quitter le pays pour aller chercher son prix de la mise en scène Un certain Regard pour son film Au revoir, présenté au Festival de Cannes. Quelques mois plus tard, il avait été condamné à un an de prison pour "activités contre la sécurité nationale et propagande", simultanément à la condamnation de Jafar Panahi (six ans de réclusion pour le même motif).

Deux ans plus tard, en 2013, l'Iran avait de nouveau confisqué son passeport alors qu'il devait se rendre dans un festival allemand.

Cette fois-ci, on voit bien ce qui a pu gêner les autorités iraniennes.

Un homme intègre est une histoire dénonçant la corruption et l'injustice dans le pays. Mohammad Rasoulof avait bien reçu l'autorisation de tournage, mais il avait du signer une lettre l'engageant à ne pas faire un film sans espoir. Comme son héros, le cinéaste ne semble pas porter sur le compromis.

Cannes 2017: le palmarès de la sélection Un certain regard

Posté par vincy, le 27 mai 2017

Etrangement, le favori de la critique dans Un Certain Regard (le film russe Une vie étroite) a été oublié du palmarès du jury d'Uma Thurman et de son jury.

Le film iranien Lerd (Un homme intègre) de Mohammad Rasoulof a remporté le Prix Un Certain Regard. Le film sera distribué par ARP. Il s'agit de l'histoire de Reza, installé en pleine nature avec sa femme et son fils. Il mène une vie retirée et se consacre à l’élevage de poissons d’eau douce. Une compagnie privée qui a des visées sur son terrain est prête à tout pour le contraindre à vendre. Mais peut-on lutter contre la corruption sans se salir les mains ?

Le Prix de la mise en scène a été décerné à l'Américain Taylor Sheridan pour son premier film en tant que réalisateur, Wind River, à la fois enquête policière et état des lieux de la situation des Amérindiens. Le film sort le 30 août en France.

Le Prix du jury est revenu au mexicain Michel Franco pour Les filles d'Avril, prévu en salles le 26 juillet. Un autre Prix du jury a distingué une "performance", celle de l'actrice italienne Jasmine Trinca dans Fortunata (qui en effet porte le film avec son rôle de mère seule et combative dans un environnement pas forcément bienveillant).

Enfin, saluons le drôle de prix récompensant Barbara de Mathieu Amalric, film d'ouverture la section, qui reçoit le Prix spécial de la poésie du cinéma.

Vesoul 2015 : Wang Chao président du jury

Posté par MpM, le 13 janvier 2015

fica2015C'est donc Wang Chao qui succèdera à Brillante Mendoza en tant que président du jury international du 21e Festival international des Cinémas d'Asie de Vesoul.

Le cinéaste chinois, qui est un habitué de Cannes (L’orphelin d’Anyang, Voiture de luxe...), présentera en avant-première son dernier long métrage, Fantasia. C'est par ailleurs son très beau thriller amoureux, Memory of love, qui clôturera cette 21e édition.

Pour décerner le Cyclo d"or, Wang Chao sera accompagné de Laurice Guillen (actrice et réalisatrice philippine, actuellement présidente du Festival Cinemalaya de Manille), Mohammad Rasoulof (réalisateur iranien) et  Prasanna Vithanage (réalisateur sri lankais).

Le FICA 2015, dont on connaîtra bientôt la programmation complète, se tiendra du 10 au 17 février.

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 11

Posté par MpM, le 25 mai 2013

l'image manquante de Rithy PanhCher Jafar,

Tu étais le grand absent de ce festival 2013, et pourtant tu n'as pas été oublié. En recevant le grand prix Un Certain Regard pour son magnifique film L'image manquante, le cinéaste Rithy Panh te l'a dédié, dans un geste d'une élégance folle.

Si Asghar Farhadi reçoit lui aussi un prix pour le Passé, aura-t-il à son tour une pensée pour toi ? Jusqu'à présent, il n'a guère mentionné ton nom, mais avoue que ça aurait de la gueule en plein théâtre lumière, devant les médias du monde entier...

Ton autre compatriote Mohammad Rassoulof, qui a reçu le prix Fipresci pour Les manuscrits ne brûlent pas, a quant à lui rendu hommage à tous ceux qui ont pris le risque de travailler avec lui. En accord avec les membres de l'équipe restés en Iran, il n'a cité aucun nom. Toutefois, on a senti que cela lui pesait de récolter seul tous les honneurs pour un film qui, plus que tout autre, n'aurait pu se faire sans l'engagement, l'abnégation et la loyauté d'un groupe soudé de personnes prêtes à prendre tous les risques pour qu'il existe.

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 10

Posté par MpM, le 24 mai 2013

Cher Jafar,

Les manuscrits ne brûlent pas. Tu connais cette phrase de Mikhaïl Boulgakov ? Dans Le maître et Marguerite, elle est prononcée par le Diable, mais peut être interprétée comme l'affirmation de la liberté d'expression face à l'autorité totalitaire.

Ton compatriote Mohammad Rasoulof, en choisissant cette citation comme titre de son nouveau long métrage, annonce donc la couleur avant même le générique de début.

Et de fait, le film est un brûlant pamphlet sur les atteintes à la liberté d'expression commises par le gouvernement iranien. Le coeur du film est une histoire vraie : en 1995, Téhéran avait ordonné au chauffeur du bus conduisant 21 poètes à un festival en Arménie de précipiter le véhicule dans le vide. Les artistes avaient été sauvés par les hasards du destin, et s'étaient vus ordonner de ne rien révéler. Le cinéaste Mohammad Rasoulof imagine que l'un de ces artistes décide de raconter la tentative de meurtre dans un roman.

S'ensuit un film construit comme un thriller qui raconte comment l'émissaire du pouvoir met tout en oeuvre pour retrouver les différentes versions du manuscrit et empêcher la fuite de l'information. On y assiste tour à tout à des scènes d'intimidation, de menace, de torture et de meurtre, le tout avec l'aval de l'état.

Tu l'auras compris, Les manuscrits ne brûlent pas est un film choc et révoltant qui dénonce sans fard les exactions commises à l'encontre des artistes et de tous ceux qui, plus généralement, veulent exprimer une opinion critique à l'égard de leur gouvernement. Par peur d'éventuelles représailles, aucun membre de l'équipe de tournage n'est crédité au générique. Mohammad Rasoulof assume seul la paternité du film et se dresse tel David contre Goliath face aux autorités de son pays.

Bien sûr, le cinéaste a tourné dans la plus parfaite clandestinité et sans la moindre autorisation. C'est aussi en secret que le film a été envoyé au festival de Cannes qui a décidé de le montrer dans sa section Un certain regard.

Plus frontalement que tu ne le faisais dans Closed curtain, mais avec la même force narrative, Mohammad Rasoulof porte un regard ultra critique sur les méthodes iniques des représentants de la loi en Iran et notamment sur le "programme de répression des intellectuels" qui justifie toutes les exactions.

Il garde malgré tout une petite note d'espoir : il n'est jamais possible pour un gouvernement de verrouiller à 100% les informations qui le dérangent. Dans le film, l'un des meurtres se fait ainsi sous le regard d'un témoin anonyme qui pourra à son tour raconter ce qu'il a vu. Dans la réalité, chaque spectateur ayant regardé Les manuscrits ne brûlent pas peut témoigner de l'absence de liberté d'expression en Iran et de la volonté secrète de l'état de bâillonner, si ce n'est d'éliminer, les artistes qui lui déplaisent.

Tu es mieux placé que quiconque pour le savoir, mais lorsque le cinéma permet de dénoncer les injustices et de porter à la connaissance du public les dysfonctionnements d'une société, contrecarrant de fait la volonté d'opacité et de secret de l'état, il ne fait au fond rien d'autre que ce pour quoi il a été créé : témoigner, partager et faire réfléchir.