Cet été, le polar était coréen. The Strangers (à Cannes), Man on High Heels et cette semaine Dernier train pour Busan (lui aussi à Cannes). Et il n'y a aucun doute: les cinéastes sud-coréens ont le savoir-faire nécessaire pour nous emballer, avec une technicité impressionnante, mais ils ont surtout une audace qui manque dans la plupart des autres productions américaines ou d'ailleurs. Il y a toujours une envie de subversion, un désir de film noir, un goût pour la métaphore ou la double lecture qui enrichissent leurs histoires.
Désormais, les réalisateurs de la péninsule sont courtisés par Hollywood, de Netflix aux studios. Ou s'embarquent dans des productions somptueuses comme Mademoiselle de Park Chan-wook, qui sortira en octobre. De tous les cinémas asiatiques, c'est assurément celui qui se porte le mieux. Grâce à une politique de quotas dans les salles et une diversité de sa production, le cinéma sud-coréen est prospère et domine son box office. Dernier train pour Busan est le leader annuel (78M$) loin devant Captain America. Sur les 10 plus grands succès de l'année, 7 sont des films nationaux (dont Mademoiselle, 6e, 32M$). Pour donner une idée, Suicide Squad ne dépassera pas les 15M$ et Deadpool n'a récolté que 24M$. Semaine après semaine, un film coréen est en tête (cette semaine c'est The Tunnel, sorti sur 1000 écrans).
Dernière chance pour Busan
Le tableau serait parfait si. La Corée du Sud est doté du plus grand festival et du plus grand marché du film en Asie, à Pusan (Busan) durant l'automne. Or, ce rendez-vous est au cœur d'un énorme baroufle depuis quelques mois. Les producteurs et réalisateurs du pays ont menacé de boycotter la 21e édition, début octobre, qui va devoir réduire la voilure. Ils sont en train d'obtenir gain de cause. Soucieux que le festival garde son indépendance, les nouvelles règles qui étaient prêtes à être appliquées mettaient en danger, selon eux, l'identité du festival.
Cela fait deux ans que le combat est engagé. Tout est parti de la programmation d'un documentaire controversé et très politique, The Truth Shall Not Sink with Sewol, sur le naufrage du Sewol, causant la mort de 476 personnes. Ce documentaire sans concessions fustigeait l'inefficacité des secours. Face à cette violente charge anti-gouvernementale, le pouvoir a répliqué: L'ancien directeur du festival international du film de Busan (Biff), Lee Yong-Kwan, a été inculpé de détournements de fonds en Corée du Sud, accusations, motivées selon ses soutiens par des considérations politiques. Suite à la projection du docu, le comité organisateur du festival avait en effet été l'objet de toute une série d'enquêtes et d'audits, tandis que ses subventions avaient été considérablement réduites.
Crise nationale
Depuis, c'est la pagaille. A l'étranger, tout le monde a soutenu les dirigeants du festival. En Corée du sud, la profession a décidé de faire pression sur le pouvoir en censurant l'événement. Face aux enjeux économiques et diplomatiques, le pouvoir sud-coréen n'a pas eu d'autres choix que de revoir sa copie et de promettre des garanties sur l'indépendance et l'autonomie du festival dans un pays où la liberté d'expression n'est pas acquise. Et désormais, tant que les accusations contre Lee Yong-kwan sont maintenues, producteurs et réalisateurs veulent continuer le bras de fer.
Pour l'instant, on compte les morts. Le Festival manque d'argent, les sponsors ont détourné les regards (et le porte monnaie), le centre de recherche va être fermé et le marché du film fortement réduit. Et tout ça, alors que le géant chinois cherche à bâtir deux ou trois grands festivals de cinéma...