"Je me suis mariée avant Olivia, j'ai remporté l'Oscar avant elle, et, si je meurs la première, elle sera sans aucun doute furieuse que je l'aie battue!", lança un jour Joan Fontaine à propos de sa soeur Olivia de Havilland. Et de fait, Joan Fontaine, née à Tokyo en 1917, s'est éteinte dimanche à l'âge de 96 ans, naturellement, en Californie du nord.
Olivia de Havilland est toujours vivante. Elle n'assistera vraisemblablement pas aux funérailles de sa cadette. Actrices rivales, elles sont brouillées depuis des décennies et ne se parlent plus depuis 1975. Leur relation pourrait être un film en soi. Les encyclopédistes retiendront qu'elles ont été les deux seules soeurs à avoir reçu un Oscar.
Joan Fontaine, gracieuse et fragile, beauté glacée comme les aimait Hitchcock et belle tragédienne dans les drames des plus grands cinéastes, n'avait pas l'ambition d'être actrice. Pourtant, quelle sacrée comédienne!
Fontaine débute modestement avant la seconde guerre mondiale, dans des drames et des romances sans éclat. Son premier "bon" film, date de 1937. Demoiselle en détresse met en vedette Fred Astaire, sous l'oeil de George Stevens. Mais elle alterne les genres - comédies, aventures, musicals - avec des séries B qui ne la distinguent pas de l'âpre concurrence durant cet âge d'or hollywoodien.
En 1939, elle obtient son premier grand rôle marquant dans Gunga Din, avec Cary Grant et Douglas Fairbanks Jr. Dans ce décor de guerre, ce film aventurier, signé une fois de plus George Stevens, fut le plus gros budget du studio de la RKO cette année là. Ce fut aussi le 2e plus gros succès au box office de l'année, derrière Autant en emporte le vent, qui révéla mondialement une certaine Olivia de Havilland.
La même année, elle entre dans le casting de la comédie culte The Women de George Cukor. Jusqu'à aujourd'hui, elle était la seule survivante du casting de stars. Mais c'est en 1940 que sa carrière bascule. Alfred Hitchcock l'engage pour être l'inquiète Madame de Winter dans Rebecca, sans aucun doute l'un de ses plus grands films. Elle donne la réplique à Laurence Olivier. Première nomination à l'Oscar pas volée tant son partenaire lui a fait la misère sur le tournage, non content que sa compagne Vivien Leigh n'ait pas obtenu le rôle. "Hitch" joua d'ailleurs malicieusement de cette haine sur le plateau pour créer l'atmosphère de tension qu'il souhaitait donner à son film.
Hitchcock, qui restera son réalisateur favori, lui offre un deuxième film sur un plateau d'argent (avec un verre de lait en bonus) : Soupçons, avec Cary Grant. Sommet du film à suspens (psychologique) comme savait les concocter le Maître, il la baigne de lumière dans ce jeu d'ombres qui la rendent presque folle. Elle décroche l'Oscar. Statuette d'autant plus historique qu'elle sera la seule interprète d'un film d'Hitchcock à être ainsi honorée pour un film du Maître. De cette soirée, Fontaine ne retient qu'une seule chose : la rage de sa soeur, également nommée cette année là. "Toute l'animosité que nous avions ressentie l'une envers l'autre quand nous étions enfants, tout est revenu dans des images kaléidoscopiques... J'ai cru qu'Olivia allait sauter par dessus la table et m'attraper par les cheveux", raconta-t-elle.
De là, Fontaine devient la tête d'affiche dans des films variés (historiques, légers, dramatiques, noirs) avec les plus grands : Tyrone Power, Charles Boyer (sa meilleure expérience avec un partenaire), Orson Welles (dans Jane Eyre), James Stewart, Burt Lancaster, Joseph Cotten...
En 1948, Max Ophüls la dirige dans Lettre d'une inconnue, avec Louis Jourdan. Son film préféré. D'autres grands réalisateurs la subliment comme Billy Wilder (La valse de l'empereur), Nicholas Ray (le magnifique Born to be Bad), Richard Thorpe (Ivanhoé, avec la jeune Elizabeth Taylor, l'un des plus gros hits de 1952).
Mais ses choix se font plus hasardeux, et les rôles moins audacieux. Elle qui pouvait tout jouer, y compris une comédienne alcoolique ou une femme frivole et capricieuse, voit son étoile décliner dans les années 50 avec des films moins intéressants. Elle commence à travailler pour la télévision. Il y a bien sûr quelques personnages qui maintiennent son statut de star sur le grand écran, comme celui d'Invraisemblable vérité, film noir de Fritz Lang. Joan Fontaine amorce cependant la dernière partie de sa filmographie assez rapidement avec des films inégaux comme Un certain sourire, Une île au soleil (avec le jeune Paul Newman), Tendre est la nuit... Son nom est toujours en grosses lettres sur les affiches, mais elle n'est plus le personnage central des films. Son dernier acte, Pacte avec le diable, en 1966, met fin à sa carrière sur le grand écran.
Elle tourne beaucoup pour le petit écran, fait quelques dîners spectacles, se lance dans des shows à Broadway, s'amuse avec ses avions - elle était pilote -, se détend au golf, s'oriente vers une retraite entre cuisine et décoration intérieure. Femme libre, Joan Fontaine continuera de répondre à ses fans jusqu'à la fin de ses jours. Mais pas à sa soeur. Irréconciliables.
Tandis qu'Olivia de Havilland vit recluse à Paris, Joan Fontaine s'imaginait mourir sur scène à l'âge de 105 ans en train de jouer Peter Pan. Deux tempéraments radicalement opposés qui auront gâché leurs vies.
Pourtant, les deux femmes n'avaient pas leur pareil pour jouer les saintes.