Michel Piccoli (1925-2020), son dernier saut dans le vide

Posté par vincy, le 18 mai 2020

Michel Piccoli est mort le 12 mai a-t-on appris ce lundi 18 mai à l'âge de 94 ans. Né le 27 décembre 1925, l'un des plus grands comédiens français s'est éteint des suites d'un accident cérébral.

Prix d'interprétation à Cannes en 1980 pour Le Saut dans le vide, Ours d'argent du meilleur acteur à la Berlinale en 1982 pour Une étrange affaire, Léopard de la meilleure interprétation masculine à Locarno en 2007 pour Les Toits de Paris et prix David di Donatello du meilleur acteur en 2012 pour Habemus papam, il a derrière lui une carrière vertigineuse au cinéma comme au théâtre. Avec aucun César dans son escarcelle, scandale perpétuel.

Il a tourné avec les plus grands: Jean Renoir, René Clair, Luis Bunuel, Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Jacques Demy, Costa-Gavras, Michel Deville, Heanri-Georges Clouzot, Alfred Hitchcock, Marco Ferreri, Claude Sautet, Claude Chabrol, Louis Malle, Marco Bellocchio, Ettore Scola, Leos Carax, Jacques Rivette, Youssef Chahine, Manoel de Oliveira, Bertrand Blier, Elia Suleiman, Raoul Ruiz, Claude Miller, Theo Angelopoulos, Nanni Moretti, Alain Resnais...

De 1945 à 2015, il a traversé tout le cinéma, avec des rôles variés, où sa justesse en faisait un artiste de la précision. Un parcours éclectique mû par la curiosité et l'amour de son art. Il était un géant du cinéma européen.

Lire notre portrait: Piccoli, Alors voilà.


C’est finalement Gilles Jacob qui en parle le mieux. L’ancien président du Festival de Cannes avait écrit un livre d’entretiens avec le comédien il y a cinq ans : «Michel, c'était l'art du comédien : la classe, l'élégance et la pudeur, la tendresse et l'extravagance, la fraîcheur de ceux qui ont gardé leur âme d'enfant. Il représentait aussi la cocasserie. L'envie de surprendre et de laisser germer ce grain de folie qui font les très très grands. C'est pour cela que les plus grands cinéastes comme Marco Ferreri, Claude Sautet et Jean-Luc Godard l'ont utilisé magnifiquement. On ne dirigeait pas Piccoli. On le filmait. C'était inutile de lui donner des explications. Le personnage qu'il interprétait le guidait, et l'imprégnation du personnage. Il accueillait l'évidence des... choses de la vie. La France est orpheline d'un fils. Il nous laisse son œuvre et notre chagrin.»


C'est entendu, Michel Piccoli est un monstre sacré. Qu’il admire le corps de Bardot, qu’il séduise Deneuve, qu’il tombe amoureux de Schneider, qu’il se gave avec Ferreol ou qu’il cabotine avec Miou-Miou, Piccoli a toujours su trouver le ton juste, précis, modulant parfaitement sa voix, maîtrisant à merveille son regard.

Le sortilège du destin

Michel Piccoli naît à Paris le 27 décembre 1925 dans une famille musicienne : une mère pianiste, issue d'une famille bourgeoise, et un père violoniste venant d'un milieu modeste. Son enfance se partage entre la capitale et la Corrèze. A 20 ans, il s'affranchit de la bourgeoisie familiale et fait ses débuts au cinéma avec une figuration dans le film de Christian Jaque, Sortilèges. Après quelques rôles de cinéma et quelques pièces de théâtre, il fait la rencontre de Luis Buñuel. "J'ai écrit, moi acteur obscur, à ce metteur en scène connu pour qu'il vienne me voir dans un spectacle. Il est venu. Nous sommes devenus amis. C'est un culot de jeune homme formidable, non ?". C'est le début d'une longue complicité : Michel Piccoli jouera dans six de ses films dont les fameux Journal d'une femme de chambre, Belle de jour et Le charme discret de la bourgeoisie.
Amoureux des livres, des idées, de cette effervescence intellectuelle de l’après guerre, Piccoli croise le tout Saint-Germain-des-Prés et connaît Boris Vian (il reprendra son Déserteur dans un disque hommage à Reggiani), Jean-Paul Sartre et Juliette Gréco qui sera sa compagne pendant onze ans.

Séducteur ou gouailleur, grossier ou élégant, mystérieux ou rêveur, Piccoli a traversé l’histoire du cinéma. Il tourne beaucoup, dès les années 1950. On le croise ainsi dans French cancan, Les grandes manœuvres, Marie-Antoinette… Des seconds-rôles qui aboutiront à celui qui déclenchera tout, dans Le doulos, avec Belmondo, de Jean-Pierre Melville en 1962. Le chapeau lui va bien. Il ne le quittera pas l’année suivante dans Le Mépris, de Godard, où il s’impose comme un grand de sa génération. Dès lors, il trouve sa place dans des univers variés. La jeune génération française avec Jacques Rozier, Paul Vecchiali, Agnès Varda, Alain Cavalier, Michel Deville, Alain Resnais, Nadine Trintignant, les cinéastes de l’exil, comme Bunuel et Costa-Gavras, les grands noms du 7e art français (René Clément, Henri-Georges Clouzot) ou le cinéma italien, puisqu’il parle couramment la langue.

De cette époque on retient alors Compartiments, La Guerre est finie, Les Demoiselles de Rochefort, Benjamin ou les mémoires d'un puceau, La chamade, et bien sur son passage chez Hitchcock dans L’étau. S’il n’a pas le statut de star d’un Belmondo ou d’un Delon, il est, à l’instar de Noiret, un de ces acteurs qui compte rapidement dans le cinéma européen.

Le grand saut

Fidèle avec ses cinéastes fétiches - Bunuel, Ferreri, Sautet -, c’est justement avec ce dernier que sa stature va évoluer. En 1970, il est à l’affiche des Choses de la vie (enchaînant ensuite un grand écart avec Philippe de Broca, les très belles Noces rouges de Claude Chabrol et Yves Boisset). Un drame intime et existentialiste bouleversant, qui amorce un tournant dans la carrière du réalisateur et relance celle de Romy Schneider. C’est aussi le plus grand succès au box office du comédien. Il a alors ce charme discret de la bourgeoisie, qu’il se délectera à transformer en décadence totale dans La grande bouffe de Marco Ferreri, grand pamphlet d’une civilisation sur-consommatrice et autodestructrice.

Car pour lui, le cinéma doit refléter le chaos et la folie du monde, quitte à se confiner et s’isoler dans Themroc de Claude Garaldo, 47 ans avant notre confinement actuel. Il peut jouer aussi bien un homme de loi qu’un escroc, un ministre qu’un médecin, un ami qu’un roi. Après Vincent, François, Paul et les autres, de Sautet, il doit cependant patienter jusqu’en 1979 pour retrouver un grand personnage, celui du juge Mauro dans Le saut dans le vide de Marco Bellocchio, sublime mélo noir, qui lui fait décrocher un prix d’interprétation à Cannes. Deux ans avant son prix d’interprétation à Berlin, dans Une étrange affaire, en patron prédateur.

Insatiable curiosité

Dès les années 1980, il oscille entre fidélité (Boisset, Ferreri, Demy, Bellocchio, Godard) et découvertes, entre quelques succès comme la Passante du Sans-Souci, toujours avec Schneider, ou Que les gros salaires lèvent le doigt ! de Denys Granier-Deferre. Il passe ainsi du Prix du danger à La nuit de Varennes, d’Ettore Scola, de La Diagonale du fou, en champion d’échecs, à des films de Jacques Doillon ou de Claude Lelouch.  Dans ces années-là, il croise Youssef Chahine (Adieu Bonaparte), Leos Carax (Mauvais sang), Maroun Bagdadi (L’homme voilé), autant de films audacieux et sélectionnés dans les festivals. Mais il tourne aussi Le paltoquet et Milou en mai, beau succès public de Louis Malle.

Piccoli est insaisissable. Il n’est jamais là où on l’attend. Il peut-être doux ou colérique, las ou vivifiant, dans des œuvres exigeantes ou des films plus consensuels. Surtout, il sait vieillir au cinéma. Et alors que Delon et Belmondo s’éclipsent progressivement, piégés par leur image de superstar, lui s’amuse à être peintre voyeur dans La belle noiseuse de Rivette ou emmerdeur homosexuel dans Le bal des Casse-pieds de Robert. Il ose tourner dans des courts métrages de débutants comme Guillaume Nicloux, s’’amuse à être monsieur cinéma chez Varda, à être en costume princier pour Molinaro, à jouer son propre personnage chez Bertrand Blier, à se lancer dans la réalisation (Alors voilà, en 1998). Il découvre aussi les univers d’Enki Bilal (dans un film SF) ou de Raoul Ruiz (dans une psychanalyse surréaliste). Et puis il rencontre Manoel de Oliveira, qui lui offre l’un de ses plus beaux personnages, dans Je rentre à la maison. Toute la sensibilité et la subtilité de Piccoli transpercent l’image.

Habemus Maestro

Piccoli est insaisissable, atemporel et sans étiquette. Il n’est jamais là où on l’attend. Il peut-être doux ou colérique, las ou vivifiant, dans des œuvres exigeantes ou des films plus consensuels. Surtout, il sait vieillir au cinéma. Et alors que Delon et Belmondo s’éclipsent progressivement, piégés par leur image de superstar, lui s’amuse à être peintre voyeur dans La belle noiseuse de Rivette ou emmerdeur homosexuel dans Le bal des Casse-pieds de Robert. Il ose tourner dans des courts métrages de débutants comme Guillaume Nicloux, s’’amuse à être monsieur cinéma chez Varda, à être en costume princier pour Molinaro, à jouer son propre personnage chez Bertrand Blier, à se lancer dans la réalisation (Alors voilà, en 1998). Il découvre aussi les univers d’Enki Bilal (dans un film SF) ou de Raoul Ruiz (dans une psychanalyse surréaliste). Et puis il rencontre Manoel de Oliveira, qui lui offre l’un de ses plus beaux personnages, dans Je rentre à la maison. Toute la sensibilité et la subtilité de son jeu transpercent l’image. « L’acteur n’existe que dans le regard des autres » selon lui. Là on redécouvrait aussi bien Piccoli qu’on s’émerveillait de la jeunesse d’Oliveira.

« Je ne veux pas être élitiste, mais je sais que je serais incapable de réaliser quelque chose qui plairait au plus grand nombre » explique-t-il alors qu’il vient « d'entrer sur le marché du travail dans les rôles de grands-pères. Les carottes sont cuites ». Sans agent, sans César, narrateur permanent de documentaires, fictions (Intervention divine d’Elia Suleiman) ou films d’animation (La prophétie des grenouilles de Jacques-Rémy Girerd), il poursuit ses rêves sans trop d’efforts. Que ce soit au théâtre jusqu’à la fin des années 2000 avec un rôle-sacre, le Roi Lear, ou au cinéma. Il continue à tourner pour les cinéastes d’avant mais s’aventure aussi chez Bertrand Bonello, Theo Angelopoulos, ou même Bertrand Mandico. C’est évidemment en pape dans Habemus Papam de Nanni Moretti en 2011 qu’il semble signer sa performance crépusculaire, loin de toute noirceur, et proche  d’un hédonisme lumineux. « Le bonheur est toujours une quête à renouveler » disait-il. Durant 70 ans de métier, il a su appliquer cet idéal.

[We miss Cannes] 1968, la dernière fois que Cannes n’a pas eu lieu (ou presque)

Posté par vincy, le 13 mai 2020

Cannes a tout évité sauf la seconde guerre mondiale, l'après guerre et mai 68. 1968: Nixon est élu président des Etats-Unis, papa Trudeau est devenu Premier Ministre du Canada, le printemps est sanglant à Prague, Bobby Kennedy est assassiné, la France de De Gaulle gronde et cherche la plage sous les pavés. Les facs sont occupées. L'essence se raréfie.

Le Festival de Cannes va en faire les frais. Cette année-là, il débute le 10 mai. Après cinq jours de bronca estudiantine, de séances malmenées, de cinéastes accrochés aux rideaux, de réalisateurs devenus tribuns politiques dans des meetings improvisés, il s'interrompt le 19 mai. 8 films de la compétition - seulement - ont été projetés. En 68, on projetait Autant en emporte le vent (en 70mm stereo). Ce fut autant en emporte les films. Une vraie guerre de sécession.

Tous se révoltent contre la décision de Malraux, ministre de la culture, de démettre Henri Langlois de son poste de directeur de la Cinémathèque. En plein tournage de Baisers volés, François Truffaut débarque le 18 mai. Redoutable, Godard est déjà vent debout. Louis Malle, Monica Vitti et Roman Polanski démissionnent du jury, Resnais, Saura, Forman retirent leurs films. Pendant ce temps, le public local conspue le cirque de ces artistes d'ailleurs. On en vient aux mains. Enervement général. Fin de party. Cannes se vide cinq jours avant son palmarès.

Lire le récit de Cannes 1968, l’autre festival qui n’a pas eu lieu

Le 21e festival international du film était un champ de bataille où les films ont été les premières victimes. De là naitra la Quinzaine des réalisateurs, l'année suivante. On redécouvrira au fil des années, à Cannes Classics, certains des films en version restaurée dont Peppermint frappé de Carlos Saura et Un jour parmi tant d'autres de Peter Collinson.

De cette sélection, peu de films ont traversé les décennies. Comme s'ils avaient été oubliés. Il y avait une réalisation du comédien Albert Finney, Charlie Bubbles, un Fellini, Il ne faut jamais parier sa tête avec de Diable, un Resnais, Je t'aime je t'aime, un Malle, William Wilson... C'est finalement celui au titre prémonitoire, Au feu les pompiers, de Milos Forman, qui reste le plus connu encore aujourd'hui.

Mais sinon, les grands films de cette année là - 2001 L’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick), Rosemary’s baby (Roman Polanski), Butch Cassidy et le kid (George Roy Hill), Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone), The Party (Blake Edwards), La mariée était en noir (François Truffaut) - étaient absents de la sélection.

Une compétition dans l'air du temps

Cependant, Cannes était une belle vitrine du cinéma de l'époque. Parmi les cinéastes marquants étaient sélectionnés Valerio Zurlini, Lion d'or six ans plus tôt, Carlo Lizzani, à qui l'on doit Riz amer, Miklos Jancso, doublement sélectionné et prix de la mise en scène quatre ans plus tard, Jiri Menzel, oscarisé en 66 et futur Ours d'or en 1990, Menahem Golan, toujours réalisateur israélien à l'époque avant de devenir producteur de blockbusters hollywoodiens, Jack Cardiff, immense chef opérateur, Kaneto Shinto, scénariste de Kenji Mizoguchi entre autres.

Cannes avait aussi sélectionné des films populaires comme Anna Karenine d'Alexandre Zarkhi, Trois petits tours et puis s'en vont de Clive Donner, Petulia de Richard Lester, Grand prix cannois (pas encore nommé Palme d'or), trois ans auparavant.

Gilles Jacob expliquait sur cette édition si particulière : "La France s'arrêtait, c'était normal que le Festival s'arrête. J'étais jeune journaliste et sur le moment on voulait que le Festival se termine parce que ça faisait bizarre d'arrêter tout. Des films étaient projetés, d'autres pas, pas de palmarès... c'était une année boiteuse. Mais il s'était passé tellement de choses cette année-là, historiquement, que l'on pardonne."

Quatre mois plus tard, Venise frappait quand même très fort avec Faces de John Cassavetes, L'enfance nue de Maurice Pialat, Partner de Bernardo Bertolucci, Sept jours ailleurs de Marin Karmitz, Théorème de Pier Paolo Pasolini et un autre film de Carlos Saura, Stress es tres, tres.

Hommage : Anna Karina au Reflet-Médicis et sur Arte

Posté par vincy, le 17 décembre 2019

Anna Karina en 7 films. C'est le programme hommage qui aura lieu dès demain, le 18 décembre, au Reflet Médicis, 3/7, rue Champollion à Paris et organisé par le cinéma, Carlotta, Les écrans de Paris et Les Acacias distribution.

A l'occasion du décès de l'actrice, la télévision n'a pas daigné repassé l'un de ses films, hormis Arte qui a déprogrammé sa soirée de mercredi, le 18 décembre. La chaîne diffusera Pierrot le fou de Jean-Luc Godard (1965) avec Jean-Paul Belmondo, à 22h45, suivi du documentaire Anna Karina, souviens-toi, signé par son époux Dennis Berry (2017), avec en bonus un Blow up spécial Anna Karina sur arte.tv.

Au Reflet Médicis, on pourra voir son premier film de réalisatrice Vivre ensemble [Mercredi, vendredi, lundi à 15h40. Jeudi, samedi à 21h20, Mardi à 11h30] ; La religieuse de Jacques Rivette [Mercredi, vendredi, lundi à 17h30, Dimanche à 15h40] ; et 5 films de Godard: Alphaville de Jean-Luc Godard [Mardi à 19h30, Samedi à 11h40], Pierrot le fou, sous-titré en anglais [Mercredi, vendredi, lundi à 20h10, Jeudi, samedi, mardi à 15h40, Dimanche à 18h15], Une femme est une femme, sous-titré en anglais [Jeudi, samedi, à 19h30, Dimanche à 20h20, Lundi à 11h40], Le petit soldat, autrefois censuré [Jeudi, samedi, mardi à 17h40, Dimanche à à 22h10], et Made in USA [Mercredi, vendredi, lundi à 22h10]

Anna Karina, aventurière et icône (1940-2019)

Posté par vincy, le 15 décembre 2019

Son visage était inoubliable. La pâleur nordique de sa peau? La finesse de ses traits renforcée par sa chevelure brune? Ses yeux bleus-gris dans lesquels on se perdait? Anna Karina est née plusieurs fois. Le 22 septembre 1940 à Solbjerg, au Danemark, sous le nom de Hanne Karin Bayer. Coco Chanel l'a rebaptisée, quand elle était mannequin, en 1957. Jean-Luc Godard l'a révélée dès leur premier film ensemble, Petit soldat, film censuré, en 1960. Et en 1968, elle est la voix d'une chanson de Serge Gainsbourg, "Sous le soleil exactement".

Un itinéraire fulgurent. Muse, égérie, épouse de Godard, elle incarne la Nouvelle Vague, cette France révolutionnaire et intellectuelle des années 1960. Elle a été immortalisée dans Pierrot le fou, avec Belmondo, où elle balançait "Qu'est-ce que j'peux faire? J'sais pas quoi faire...". Le symbole de l'ennui, à répétition. Ils ont tourné sept films ensemble, dont Alphaville, Vivre sa vie, Bande à part et Une femme est une femme, qui lui faut un Ours d'argent de la meilleure actrice à Berlin en 1962.

Entrevue avec Anna Karina

Godard-Karina, c'est une histoire d'A qui finit mal. Elle perd leur enfant et ce deuil enterre leur mariage. Il était compliqué, souvent absent. Ils ne se sont plus parlés depuis 20 ans.

Mais résumer Anna Karina à Godard serait injuste. Elle tourne pour d'autres cinéastes en France et à l'étranger, et pas des moindres: Michel Deville (Ce soir ou jamais, Tendres requins), Agnès Varda (Cléo de 5 à 7), Chris Marker (Le Joli Mai), Roger Vadim (La Ronde), Jacques Rivette (Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot), Luchino Visconti (L'Étranger), Volker Schlöndorff (Michael Kohlhaas), George Cukor (Justine), Tony Richardson (La Chambre obscure)...

En 1973, elle réalise son premier film, Vivre ensemble, histoire d'amour sur fond de drogue et d'alcool, avec Michel Lancelot et Jean Aurel, et qui ressort en 2017, avec un événement hommage à Anna Karina au Festival Lumière. "C'est un portrait de l'époque de ma jeunesse. J'ai vu des gens autour de moi sombrer et mourir", avait-elle dit à l'AFP. Surtout, dans un milieu cinématographique encore machiste, elle s'affranchit des hommes, devenant la première comédienne à réaliser un long-métrage. Elle avait d'ailleurs utilisé un pseudonyme masculin pour déposer une demande d'aide au CNC.

"Tous les comédiens qui veulent comprendre le travail de metteur en scène devraient en effet essayer de tourner leur propre film, ne serait-ce qu’un court métrage, pour se rendre compte de ce que c’est. De la même manière, tous les metteurs en scène devraient jouer la comédie au moins une fois pour voir que ce n’est pas si simple. Ca leur permettrait de comprendre les difficultés du métier, et l’angoisse de l’acteur. Ils verraient qu’il faut être toujours tendre avec un acteur, car cela ne sert à rien de l’engueuler, à part empirer les choses…" confiait-elle à Ecran Noir.

A partir de cette époque, sa carrière devient plus iconoclaste, voire erratique. Elle tourne toujours, sans pause jusqu'au milieu des années 1990: Pain et Chocolat de Franco Brusati, Roulette chinoise de Rainer Werner Fassbinder, L'Ami de Vincent de Pierre Granier-Deferre, L'Île au trésor de Raoul Ruiz, Dernier Été à Tanger d'Alexandre Arcady, Cayenne Palace d'Alain Maline, qui lui vaut sa seule nomination aux César, Haut bas fragile de Jacques Rivette... Elle croise aussi Benoît Jacquot à ses débuts, en 1976 pour lequel elle tourne un court-métrage (Misère musique) et son premier long, L'Assassin musicien. Elle co-écrit également le scénario de Last Song de Dennis Berry, son ultime époux. Elle fait l'une de ses dernières apparitions en 2003 dans Moi César, 10 ans ½, 1m39 de Richard Berry.

Anna Karina tourne aussi pour la télévision - La Dame des dunes de Joyce Buñuel, Chloé de Dennis Berry -, joue au théâtre - Il fait beau jour et nuit de Françoise Sagan, Après la répétition d'Ingmar Bergman -, écrit des romans et des contes musicaux pour enfants...

En 2008, elle revient derrière la caméra. Victoria est un road-movie musical sur des airs de Philippe Katerine. Ils ne se quittent plus. le plus punk des chanteurs français trouve dans la folie et la fragilité de l'ex héroïne des sixties une sorte de double magique. Il lui écrit un album, Une histoire d'amour en 2000, avec un duo, "Qu'est-ce que je peux faire", qui fait écho à Pierrot le fou. En 2018, c'est une compilation de ses chansons pour le cinéma, Je suis une aventurière, qui la met de nouveau en lumière.

On y retrouve évidemment son plus gros tube, Sous le soleil exactement, écrite pour elle par Serge Gainsbourg. C'est d'ailleurs cette chanson que l'on entend dans La Vérité sur Charlie (The truth about Charlie) de Jonathan Demme, remake de Charade, où elle fait une belle apparition. La vérité sur Anna est sans doute dans ce mystère qu'elle savait conserver tout en étant franche et sincère, attachante et vulnérable. Insaisissable, mais inoubliable. Une aventurière libre, qui n'a jamais flanché malgré les coups du sort du destin.

Anna Karina était belle. Mais cela ne suffit pas à expliquer l'effet qu'elle produisait en apparaissant à l'écran. Il y avait une vitalité, une profondeur qui nous faisaient chavirer. Elle savait poser, et elle posait souvent, suspendant notre regard fixé sur le sien. Elle était un corps, un geste, un visage en gros plan qui envahissaient l'image.

Dans Alphaville on entend ainsi Éluard : "Tes yeux sont revenus d'un pays arbitraire, Où nul n'a jamais su ce que c'est qu'un regard". L'aventure, la vie et l'amour comme un tripode la définissant.

« Le Livre d’image » de Jean-Luc Godard sur Arte (mais pas au cinéma)

Posté par vincy, le 3 avril 2019

On entend beaucoup hurler contre Netflix, coupable de ne pas présenter ses films en salles. Ce qui a entraîné un divorce avec le Festival de Cannes et une crise juridique actuellement autour des Oscars. Mais quid des films cannois qui, finalement, ne sortent pas au cinéma et sont directement diffusés à la télévision (en streaming ou sur une chaîne de télé)?

Ce sera le cas du dernier film de Jean-Luc Godard, Le Livre d'image. En compétition à Cannes l'an dernier, le film expérimental du Maître ne passera pas par les cinémas. Il sera diffusé sur Arte le mercredi 24 avril à 22h25, et en replay du 17 avril jusqu’au 22 juin.

Palme d’or spéciale du Festival de Cannes 2018, le film accompagnera le multi-diffuséA bout de souffle, avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg, diffusé, lui, en première partie de soirée.

La pionnière Mag Bodard (1916-2019), productrice de Demy, Godard, Deville, Varda et Bresson, nous quitte

Posté par vincy, le 1 mars 2019

La productrice Mag Bodard est décédée mardi à l'âge de 103 ans, a annoncé jeudi son associé Alain Bessaudou. Pionnière, elle était la première femme productrice française. Née en 1916 en Italie, Marguerite Bodard, communément appelée Maguy, tait plutôt destinée au journalisme, où elle fait ses débuts.

Elle avait commencé sa carrière un échec en 1962 avec La Gamberge de Norbert Carbonnaux (avec son amie) Françoise Dorléac son amie. Quand elle voit Lola de Jacques Demy, elle s'embarque dans le projet fou du jeune réalisateur: un drame musical. Les parapluies de Cherbourg obtient la Palme d'Or et lance la jeune Catherine Deneuve, sœur de la vedette Françoise Dorléac, consacre le musicien Michel Legrand et panthéonise Jacques Demy dans le cinéma français. Avec eux trois, elle produit ensuite Les Demoiselles de Rochefort en 1967 et Peau d’Âne en 1970.

La fondatrice de Parc Films Mag Bodard c'est aussi la productrice de la Nouvelle vague: elle accompagne Agnès Varda avec Le Bonheur en 1965 et Les Créatures en 1966, Robert Bresson avec Au hasard Balthazar en 1966, Mouchette en 1967 et Une femme douce en 1969, Jean-Luc Godard avec Deux ou trois choses que je sais d’elle et La chinoise en 1967, Alain Resnais avec Je t’aime, je t’aime en 1968 ou encore Maurice Pialat avec L’Enfance nue en 1968, Michel Deville avec Benjamin ou les mémoires d'un puceau en 1967, Bye-bye Barbara en 1968, L'ours et la poupée en 1969 et Raphaël ou le débauché en 1970.

Elle suit aussi fidèlement Nina Companez (Faustine et le bel été, L’histoire très bonne et très joyeuse de Colinot Trousse Chemise, Comme sur des roulettes, Je t’aime quand même pour le cinéma ; Les dames de la Côte, La grande cabriole et L’allée du roi pour le petit écran). Jusqu'en 2006, elle n'a cessé de faire ce métier avec passion.

"Persévérante, déterminée et moderne, Mag Bodard se vouait intégralement à chaque projet et à son réalisateur, l’aidant par tous les moyens à mener à bien son projet, tel que celui-ci l’avait imaginé. Telle était sa plus grande force, savoir magnifier les artistes et leur donner les moyens d’exprimer tout leur talent" rappelle l'Académie des César en lui rendant hommage.

Agnès Varda lui a dédié un texte, diffusé sur le site de la Cinémathèque française: "Cette petite femme avec sa silhouette de jeune fille et sa tête d'oiseau a pesé lourd dans nos vies de cinéastes." Elle se souvient: "Elle venait peu aux tournages, mais elle faisait impression, toujours accompagnée par un chauffeur, élégante, coiffée, manucurée (elle avait des mains particulièrement jolies). C'est curieux que son apparence délicate soit si présente dans mon souvenir, alors qu'elle avait et qu'elle a toujours une énergie farouche mise au service de ses projets, une obstination à les faire vivre et une énorme capacité de travail."

Un palmarès parfait pour le Syndicat français de la critique de cinéma

Posté par vincy, le 29 janvier 2019

Loin des oublis des César, le Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de Télévision a dévoilé hier soir son palmarès réjouissant pour les cinéphiles.

Mektoub my love, canto uno d'Abdellatif Kechiche a reçu le prix Cinéma. Le réalisateur a annoncé une suite, Mektoub my love, intermezzo, qui sous-entend une trilogie et non plus un diptyque. Le film a été snobé par les César et avait été un échec au box office.

Dans la catégorie cinéma, les critiques français ont également récompensé Phantom Thread de Paul Thomas Anderson (film étranger), Jusqu'à la garde de Xavier Legrand (premier film), Girl de Lukas Dhont (premier film étranger) et Guy d'Alex Lutz (film singulier francophone). Ces quatre films sont en lice pour les César, soit dans la catégorie meilleur film soit dans la catégorie meilleur film étranger. Jusqu'à la garde avait déjà remporté deux prix majeurs à Venise en 2017. Girl avait été distingué à Cannes par quatre prix (Queer Palm, Caméra d'or, prix de la critique internationale, prix du meilleur acteur dans la sélection Un Certain regard).

Dans la catégorie court-métrage, le prix a été remis à La nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel, qui faisait partie de nos 15 courts français préférés de l'année.

Côté télévision, Un homme est mort d'Olivier Cossu (Arte) a été distingué par le prix de la meilleure fiction, Histoire d'une nation de Yann Coquart (France 2) par le prix du meilleur documentaire, l'excellent Hippocrate de Thomas Lilti (Canal +) par le prix de la meilleure série française.

Le SFCC décerne aussi des prix pour les supports vidéos et les livres de cinéma. L'insulte de Ziad Doueri (meilleur DVD/Blu-ray), L'intégrale Jean Vigo (meilleur coffret), Memories of Murder de Bong Joon-ho (meilleur patrimoine) et Cinq et la peau de feu Pierre Rissient (prix curiosité) forment la liste des primés en DVD/Blu-ray.

Pour la littérature, les Critiques ont choisi Godard, inventions d'un cinéma politique de David Faroult (éd. Amsterdam), meilleur livre français sur le cinéma, Federico Fellini, le métier de cinéaste de Rita Cirio (éd. du Seuil), meilleur livre étranger sur le cinéma, et Conversations avec Darius Khondji de Jordan Mintzer (éd. Synecdoche), meilleur album sur le cinéma.

A voir à lire menacé, Chaos Reigns s’arrête

Posté par redaction, le 8 juillet 2018

aVoir-aLire.com, webzine culturel, a lancé l'alerte: une menace apocalyptique risque de s'abattre sur les magazines en ligne culturels. Ces "parasites" qui osent défier la critique officielle, éparpiller le lectorat sur d'autres sites que ceux des "grandes marques", et se sont installés comme des références pour leurs lecteurs, las du "dogme" critique de la presse écrite des ancêtres.

Le site a 18 ans d'existence. Il est composé de bénévoles. Il est indépendant.

"Aujourd'hui, nous sommes condamnés en justice pour avoir publié en illustration de notre critique du film A Bout de Souffle, deux photographies que nous pensions issues du film et destinées à la presse mais ce n'était pas le cas et l'auteur des photographies s'est fait connaître et a exigé le retrait immédiat de ses oeuvres. C'est ce que nous avons fait en nous excusant mais malgré cela, le photographe nous a assigné en réparation de son préjudice tiré de la violation de ses droits d'auteur. Malgré nos excuses, notre retrait immédiat des photographies litigieuses, le Tribunal de Grande Instance de Paris nous a condamné à verser 11 000 €, sans compter les sommes que nous avons déjà exposées pour nous défendre. Même si la somme est inférieure à ce que l'auteur des photographies demandait, pour nous le coup est dur et nous n'avons tout simplement pas les réserves financières pour régler cette somme qui est exigible immédiatement" explique aVoir-aLire dans un appel à soutien (et à moyens).

Ce n'est pas le seul. Chaos Reigns, dans un message de soutien, a décidé de tout foutre en l'air: "Les nouvelles ne sont pas bonnes. Tout d'abord, nous exprimons notre soutien le plus total à nos confrères de AVoir ALire. Leur site est clairement menacé, une décision de justice a lourdement sanctionné l'équipe pour l’utilisation de deux clichés issus du film "A bout de souffle". Et ce n'est pas le seul site dans le collimateur, manifestement (d'autres ont reçu des courriers d'avocat il y a peu). Face à cette envie de fouiller et de s'attaquer à tous les sites culturels, nous fermons (pour l'instant) le site, histoire de ne pas être à notre tour menacé d'extinction. Merci de votre compréhension et bisous chaos." L'accès est désormais impossible à ce webzine décoiffant, décapant, impertinent, et là encore indépendant, coécrit par de formidables plumes.

Un pluralisme en danger

Ce sont deux mauvaises nouvelles, qui ne raviront que ceux qui veulent transformer internet en un agglomérat de "marques" industrielles et "officielles". Le web a toujours été un espace de liberté permettant à chacun de créer son espace d'expression. A cause de cette industrialisation des médias et de la dépendance à Facebook et Google, le marché publicitaire s'est réduit pour la plupart des webzines indépendants. Aussi, l'économie n'a jamais été au rendez-vous de ces "petits" sites (qui malgré tout, cumulés, font une sacrée fréquentation), qui se permettent encore de faire de la critique, de choisir librement les films, livres, spectacles dont ils parlent, et qui se produisent avec des moyens associatifs ou coopératifs. Cela donne de la visibilité à des journalistes comme cela permet un débat (virtuel) sur des œuvres culturelles alors même que la culture se réduit dans la presse écrite et à la télévision. Autrefois une référence, Les Cahiers du cinéma ne se vendent plus qu'à 16000 exemplaires en moyenne quand un Sens Critique compte quelques centaines de milliers d'utilisateurs.

aVoir-aLire ne menaçait pas grand monde, Chaos Reigns non plus. Mais ils sont utiles. Comme tous les autres. Leur économie est fragile (moins d'aides d'Etat, beaucoup moins, moins de publicité, largement moins) mais leur visibilité était indéniable et leurs contenus respectés.

Sanctions judiciaires disproportionnées

Bien sûr, un photographe mérite d'être rémunéré. Les photographes aussi deviennent précaires. Eux-mêmes se lancent d'ailleurs dans l'autopublication (sur les réseaux, dans des livres, sur le web). Généralement d'ailleurs ce sont plutôt "les vieux de la vieille" qui portent plainte. Ceux qui avaient des clichés exclusifs d'avant les années Internet. Ceux qui croient encore vivre dans une époque où le photographe était partie prenante des rédactions. L'arrivée de la diffusion numérique a bouleversé leur modèle économique, leur profession, leur statut.

En l'occurrence, ici la justice est-elle juste? Pourquoi tuer un site éditorial et 18 ans d'existence pour deux photos? Une photo, au tarif actuel, ne dépasse pas les 100-200 euros. Pourquoi réclamer à un site de bénévoles une somme astronomique (que même beaucoup de pigistes ne gagnent pas en une année, les obligeant à travailler à côté) ? Pourquoi cette cupidité meurtrière ? D'autant, que ces photos sont propagées sur Google Images. C'est Google qu'il faudrait attaquer pour la diffusion publique de ces images. Ce ne sont que des reprises, dont le copyright n'était pas mentionné. Des agences ont pris l'habitude de bien "marquer" leurs photos pour identifier la provenance et la propriété.

Si le plaignant était un réel amoureux du cinéma, et un artiste défendant la culture pour tous, il aurait du demander une somme normale, hors justice, contractualisée pour la diffusion de ses œuvres, avec mention du droit d'auteur. Là, on a juste l'impression qu'il veut encore toucher "un pognon de dingue" avec un travail effectué il y a près de 60 ans. Au final il aura tué quelques sites culturels par égoïsme. A bout de souffle ne sera connu qu'à travers des extraits et son affiche. Bref, il aurait pu voir et pu lire que ce ne sont pas les petits webzines qui le spolient, puisqu'ils contribuent, au contraire, à la perpétuation de son travail.

On peut le dire: le chaos règne désormais. L'apocalypse c'est now. Un jour plus personne ne saura à quoi ressemblait Jean Seberg faisant la bise à Jean-Paul Belmondo sur les Champs-Elysées. Ni pourquoi ce film en noir et blanc de Godard fascinait encore des jeunes critiques 50 ans après sa sortie.

L'extinction des magazines culturels indépendants a commencé. Google s'en fout. Les grands journaux seront ravis.

Cannes 2018: Kore-eda et Spike Lee sacrés par le jury de Cate Blanchett

Posté par vincy, le 19 mai 2018

Le 71e Festival de Cannes s'achève ce samedi avec son palmarès dont voici les lauréats. Il est forcément différent du notre (lire notre palmarès). Mais on y retrouve quelques films communs pour notre plus grand plaisir... Il y a des évidences (le prix d'interprétation féminine par exemple et dans une certaine mesure le prix du jury), des facilités un peu contestables (prix de la mise en scène, prix d'interprétation masculine), un drôle de partage (prix du scénario), une audace salutaire (une Palme d'or spéciale).

Mais on ne peut que se féliciter le jury pour le grand doublé Spike Lee (Grand prix du jury) / Kore-eda Hirokazu (Palme d'or), deux de nos films favoris à Cannes. C'est la cinquième Palme d'or japonaise (et la première depuis 1997).

Notons que la Caméra d'or a été décernée à Girl, déjà lauréat d'un prix d'interprétation par le jury Un certain regard, du prix Fipresci Un certain regard et de la Queer Palm. Un carré d'as.

Compétition

Palme d'or: Une affaire de famille de Kore-eda Hirokazu
Palme d'or spéciale: Jean-Luc Godard (Le livre d'image)
Grand prix du jury: BlacKkKlansman de Spike Lee
Mise en scène: Pawel Pawlikowski pour Cold War
Interprétation féminine: Samal Yeslyamova (Ayka)
Interprétation masculine: Marcello Fonte (Dogman)
Scénario: Alice Rohrwacher (Heureux comme Lazzaro) et Jafar Panahi & Nader Saeivar (Trois visages)
Prix du jury: Capharnaüm de Nadine Labacki

Court métrage
Palme d'or du court métrage: Toutes ces créatures de Charles William
Mention spéciale Court métrage: On the border de Wei Shujun

Caméra d'or (meilleur premier film toutes sélections confondues)
Girl de Lukas Dhont, "qui a su allier une immense délicatesse et une puissance."

Cannes 2018 : Nos retrouvailles avec Jean-Luc Godard

Posté par MpM, le 10 mai 2018

La 71e édition du Festival de Cannes sera godardienne ou ne sera pas. Cinquante ans après le fameux festival 1968 qu’il contribua à faire arrêter, le doyen des cinéastes de la Nouvelle vague est de retour sur la Croisette, avec à la fois une affiche tirée d’un de ses films (Pierrot le fou) et un long métrage en compétition, Le livre d'image.

Si l’on sait qu’il ne sera pas personnellement présent à Cannes (il s’en était clairement expliqué lors de sa dernière sélection en 2014), son ombre planant sur le tapis rouge a quelque chose de forcément ultra symbolique, surtout en cette année anniversaire des révoltes étudiantes et ouvrières de Mai 68.

D’autant que Jean-Luc Godard et Cannes, c’est une histoire longue et mouvementée qui court elle-aussi sur un demi-siècle. Le Festival est totalement passé à côté des chefs d'œuvre du cinéaste et, c’est difficile à croire, n’avait remarqué ni A bout de souffle (Ours d’argent du meilleur réalisateur à Berlin), ni Pierrot le fou (sélectionné à Venise), ni Le mépris, ni Alphaville (Ours d’or à Berlin), ni La Chinoise (sélectionné à Venise)… ni aucun des films de la prolifique période 1960-1968.

Alors, c’est vrai, le réalisateur avait fait sa première incursion dans la course à la palme d’or en 1962, grâce à Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, dans lequel il apparaît. Mais en réalité, il aura fallu attendre 1970, et un film relativement mineur, Vent d’Est, pour que Godard soit sélectionné à Cannes avec l’une de ses œuvres. Et encore : pas en compétition officielle, mais à la Quinzaine. C'est un début.

Les années suivantes, on le retrouve dans la section « Perspectives du cinéma français » (qui n’existe plus aujourd'hui) : en 1976 avec Comment ça va et en 1977 avec Ici et ailleurs. Enfin, Gilles Jacob répare « l’oubli » (le manque absolu de discernement ?) dont il avait été victime en invitant enfin Godard en sélection officielle en 1980 avec Sauve qui peut (la vie). Suivront Lettre à Freddy Buache (Un Certain regard, 1982), Passion (Compétition, 1982), Détective (Compétition, 1985), Aria (Compétition, 1987), Histoires du Cinéma (Séance spéciale, 1988), Nouvelle vague (Compétition, 1990), Histoire(s) du cinéma (Un Certain regard, 1997), Eloge de l’amour (Compétition, 2001) ou encore Notre musique (Hors Compétition, 2004).

Au milieu des années 2000, il devient un habitué de la sélection Cannes Classics, où sont montrés Moments choisis des Histoire(s) du cinéma (2005), Loin du Vietnam (2009), Pierrot le fou (2009), Masculin féminin (2016) et même Paparazzi de Jacques Rozier en 2017, un court métrage qui relate le tournage du Mépris.

Comme pour se rattraper de l’indifférence des premières années, Cannes semble ne plus pouvoir se passer de Godard, et continue en parallèle des classiques à inviter méticuleusement chacun de ses nouveaux films : en 2010, Film socialisme est à Certain Regard, en 2014, Les ponts de Sarajevo est montré en séance spéciale et Adieu au langage en compétition (il rafle un prix du jury ex-aequo avec Xavier Dolan, tout un symbole).

Et même quand il n’a pas de longs métrages à présenter, Godard réussit à s’inviter dans la grand messe cannoise : en 2013, son court métrage The three disasters est en clôture de la Semaine de la Critique dans le cadre du programme 3X3D aux côtés de Peter Greenaway & Edgar Pêra. En 2016, l’affiche de la sélection officielle est tirée du Mépris. En 2017, il est carrément le personnage principal du Redoutable de Michel Hazanavicius.

Certains fustigent d’ailleurs l’image comico-ridicule que donne de lui le film, et s’insurgent de cette pochade qui s’attaque à leur idole. Le livre d'image sera-t-il une forme de droit de réponse ? Un nouveau virage dans la carrière du réalisateur ? La poursuite de ses expérimentations des dix dernières années ? Peu de choses ont transpiré sur le film, mais il figure probablement parmi les plus attendus de ces dix jours. Parce que Cannes s’essouffle, le cinéma s’étiole, la critique se meurt, mais l’effet Godard, lui, n’a rien perdu de son pouvoir d’attraction.