Egalement appelée « la Quinzaine », cette section parallèle du Festival de Cannes créée par la Société des réalisateurs de films a véritablement brillé cette année. Après le traditionnel magnéto sur les réalisateurs qui ont été découverts à la Quinzaine (George Lucas, Ken Loach, Spike Lee, Céline Sciamma, Xavier Dolan), les festivaliers ont cette année pu découvrir les nouvelles réalisations de Bertrand Bonello, Quentin Dupieux, Takashi Miike ou encore Rebecca Zlotowski. Incroyablement riche durant les premiers jours du Festival, la Quinzaine faisait la part belle aux films politiques et aux comédies absurdes cette année.
Le politique entre en jeu
Premier constat de taille, les films de la Quinzaine se font de plus en souvent le reflet de la société dans laquelle nous évoluons. Voilà pourquoi les projets ambitieux et qui dénoncent des vérités ce sont faits récurrents dans la sélection de cette année. Cela commence avec Alice et le Maire, la nouvelle comédie politique de Nicolas Pariser qui suit les mésaventures du maire PS de Lyon. Après avoir montré de quel bois il se chauffait avec Le Grand Jeu, le cinéaste utilise un ton plus léger pour dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas : le Parti socialiste français est mort par manque d’ambition.
L’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron a complètement bouleversé le paysage politique français et ce n’est pas On va tout péter de Lech Kowalski qui nous prouvera le contraire. Le film qui retrace la lutte pour leurs emplois d’ouvriers d’une usine GM&S met l’accent sur les promesses non tenues de l’actuel Président et les tensions qui règnent entre la population et les forces de l’ordre. Par le biais de son héros conducteur de minibus pour personnes handicapées, Give Me Liberty de Kirill Mikhanovsky prend le temps de montrer toutes les minorités que le gouvernement américain rechigne à épauler, financièrement et psychologiquement. Avec Oleg, Juri Kursietis pose un regard particulièrement dur sur les réseaux qui exploitent la misère et la détresse des migrants européens. Une oeuvre majeure de la Quinzaine qui pousse le spectateur à s’interroger sur la manière dont il perçoit les étrangers qui l’entourent.
De son côté, Halte rassure avec son univers dystopique et apocalyptique. Si l’on en croit Lav Diaz, le pire peut encore être évité à condition que populations et politiques prennent conscience dès maintenant de leurs responsabilités. Qu’il s’agisse de l’environnement, du partage des richesses ou de la sécurité, de vrais débats doivent avoir lieu. Car ce sont ces mêmes débats qui viennent bouleverser le quotidien des héros de The Orphanage, le musical historique qui montre comment l’Afghanistan est devenu un état islamique dans la violence.
La relève de la comédie absurde
Dans un ton plus léger, on notera que les cinéastes français ont repris le pouvoir à la Quinzaine en faisant rire le public. Si les années précédentes ont été marquées par Un beau soleil intérieur de Claire Denis, En liberté ! De Pierre Salvadori et Le Monde est à toi de Romain Gavras, le cru 2019 est loin d’avoir démérité. Projeté en ouverture, Le Daim de Quentin Dupieux n’a laissé personne indifférent. Porté par le duo Jean Dujardin-Adèle Haenel, le film qui raconte le grand projet qu’un homme de 44 ans a avec sa blouson 100% daim a fait mourir de rire les spectateurs. Dialogues proches du ridicule et twist de haute volée ont fait de ce film un incontournable.
A l’instar d’Yves de Benoit Forgeard ! Le film qui traite de la complicité entre un rappeur raté et un réfrigérateur intelligent a marqué les esprits par ses productions musicales et les réparties hilarantes dudit réfrigérateur. Malgré un scénario en creux, le film est assuré de faire un carton au box-office. Ce que l’on souhaite également à Perdrix. Le film d’Erwan Le Duc joue avec des situations absurdes (mais comiques) pour démontrer qu’il n’y a pas d’âge pour tomber amoureux et être heureux. Bien moins réussi, Por El Dinero d’Alejo Moguillansky aussi enchaîne les situations cocasses et frôle le ridicule de très près. Tour à tour, ces films ont permis aux festivaliers de s’évader et de rire entre deux drames.
Des femmes fortes en formation
Ne pas évoquer les femmes de la Quinzaine serait une grave erreur. Moins manipulatrices que les hommes des films sélectionnés cette année, elles ont réussi à reprendre le pouvoir de manière bien plus subtile. Dans Zombi Child de Bertrand Bonello et de Sick, Sick, Sick d’Alice Furtado, des adolescentes en proie à un chagrin amoureux se tournent vers le vaudou haïtien. Preuve s’il en fallait une que les héroïnes d’aujourd’hui n’ont peur de rien et sont prêtes à tout pour ceux qu’elles aiment. Qu’elles soient issues de bonne famille ou particulièrement introverties, ces femmes ont beaucoup de caractère et ne sont pas les seules.
Dans Une Fille facile, Rebecca Zlotowski propose une confrontation culturelle très attendue dans laquelle l’ancienne escort-girl Zahia Dehar dévoile les codes de la séduction à sa cousine fictive incarnée par la débutante Mina Farid. Entre révélations et manipulations, les deux femmes tentent de garder la tête hors de l’eau. Un peu comme Mona, la dominatrice SM de Dogs Don’t Wear Pants. Le film de J.-P. Valkeapää qui s’intéresse au deuil particulièrement morbide d’un cardiologue a permis une révélation, celle de l’actrice Krista Kosonen.
Enfin, dans un autre registre, Andreas Horvath modernise le mythe de la femme aventurière avec Lillian. Son presque-biopic d’une femme qui décide de traverser les Etats-Unis pour rentrer en Russie est un vrai mélange de road movie et de survival movie. Enfin, impossible de mentionner The Staggering Girl. L'oeuvre la moins aboutie de Luca Guadagnino nous offre à voir une Julianne Moore en proie à des souvenirs particulièrement porteurs de sens qui la mènent jusqu'à la résidence familiale en Italie. Un film énigmatique signé Valentino.