Arras 2010 : palmarès et retour sur la compétition

Posté par MpM, le 15 novembre 2010

Dans un festival, l'annonce du palmarès est probablement le moment le plus difficile. Tout le monde a son favori, et les sélectionneurs qui ont choisi les neuf films en compétition les aiment tous, même si c'est pour des raisons différentes. Et puis bien sûr il y a les réalisateurs eux-mêmes, qui ressentent le verdict comme un couperet implacable. Aussi, lorsque le jury s'avance sur scène pour expliquer ses choix, on ressent souvent plus de frustration que de joie.

C'est très largement le cas lors de cette 11e édition, puisque le grand favori d'une partie des professionnels et du public, Zero du Polonnais Pawel Borowski, est reparti bredouille. Peut-être les jurés ont-ils pensé que le film est largement assez bon pour trouver un distributeur sans leur aide ? Ce serait en tout cas une grande perte pour le public français que de ne pas découvrir cette oeuvre extrêmement moderne, parfaitement maîtrisée, qui représente une excitante proposition de cinéma dans un paysage relativement conventionnel.

Mais revenons-en au palmarès. Le jury professionnel présidé par Manuel Poirier a choisi de récompenser A rational solution de Jörgen Bergmark (Suède) une varitation tragi-comique sur le couple, les élans du coeur et ceux de l'esprit. Non sans rappeler Happy few, en moins joyeux, le film suit deux couples qui décident de vivre temporairement en communauté après que deux d'entre eux soient tombés amoureux. Certaines situations sont croquées avec beaucoup d'ironie, mais l'intrigue fait très vite du surplace, et tombe par moments dans le cliché. Comme si le réalisateur n'était pas parvenu à trouver le ton juste entre humour grinçant, sociologie du couple et mélodrame.

Le prix de la mise en scène est quant à lui revenu à Calin Peter Netzer (en photo ci-dessus avec le jury) pour Médaille d'honneur, une fable familiale roumaine où le simple fait de recevoir une décoration militaire transforme la vie du personnage principal. Le film croque avec humour les petits détails de la société roumaine (notamment sa bureaucratie) et dresse au final un portrait assez attachant du (anti-) héros central.

Le jury professionnel a également choisi de décerner une mention spéciale à 80 egunean de Jon Garano et Jose Maria Goenaga (en photo avec Nadia Paschetto, la directrice du festival). C'est un doublé pour ce film espagnol qui a également été distingué par le public. Il raconte avec beaucoup de délicatesse et d'humour une histoire d'amour entre deux anciennes amies d'école désormais septuagénaires.

Enfin, le jury de la presse (en photo ci-dessous) mené par Alex Masson a choisi Comment j'ai passé cet été d'Alekseï Popogrebski, déjà multiprimé à Berlin, soulignant que le film était parvenu à surprendre les jurés, ce qui n'est pas rien lorsque l'on a affaire à des critiques ! Il est vrai que ses qualités de mise en scène, de même que sa manière de distiller progressivement une angoisse sourde et progressive en font une oeuvre à part, étrange, qui interpelle et séduit.

Ainsi, les différents jurés ont finalement laissé de côté le cinéma trop ouvertement social comme Der Albaner de Johannes Naber, plutôt bien accueilli en salles, mais qui laisse une impression de déjà-vu à cause de son sujet (l'immigration clandestine) et de son traitement (mi-réaliste, mi-romanesque) ou encore C'est déjà l'été de Martijn Maria Smits, récit extrêmement sombre du quotidien d'une famille à laquelle rien n'est épargné. On pense à L'humanité de Bruno Dumont, mais en moins bien. Dans un genre entièrement différent, Protektor du Tchèque Marek Najbrt basé sur un fait historique (l'occupation allemande à Prague qui met en danger une séduisante actrice d'origine juive) n'a lui non plus convaincu aucun des deux jurys.

Si l'on se réjouit pour Comment j'ai passé cet été d'Alekseï Popogrebski qui mérite d'être distribué en France,  on a un petit regret pour Rare Exports de Jalmari Helander qui a probablement souffert de son statut de "film de genre". Cette hilarante parodie des films fantastiques américains joue en effet avec l'un des plus grands mythes finlandais... celui du Père Noël, et se révèle tour à tour gore, inquiétante et jouissive. Il rejoint Zero dans la liste des films que l'on aurait adoré défendre lors de sa sortie en salles... Mais comme il n'est jamais trop tard, on garde l'espoir qu'un distributeur dénicheur de nouveaux talents tombe sur ces deux films et leur donne leur chance...

De gauche à droite : Jon Garano (réalisateur de 80 Egunean), Tomas Mechacek (acteur de Protektor), Johannes Naber (réalisateur de Der Albaner), Calin Peter Netzer (réalisateur de Médaille d'honneur), Jose Mari Arano (réalisateur de 80 Egunean) et  Pawel Borowski (réalisateur de Zéro).

Arras 2010 : le jury professionnel et les premiers films en compétition

Posté par MpM, le 12 novembre 2010

Avec l'arrivée du jury professionnel, le Festival entre déjà dans sa dernière phase, celle de la compétition européenne. Manuel Poirier, Tudor Giurgiu, Serge Riaboukine et Hrvoje Hribar (notre photo, en compagnie de Nadia Paschetto, la directrice du Festival, et d'Eric Miot, le délégué général) devront départager neuf longs métrages européens inédits venus de Finlande, de Suède, de Roumanie, d'Espagne, de République tchèque, de Russie, d'Albanie et de Pologne. Le but de la compétition est de permettre aux films récompensés de trouver un distributeur français.

Alors que l'on en est encore à découvrir cette sélection, plusieurs films font déjà parler d'eux. Le russe Comment j'ai passé l'été dernier d'Alekseï Popogrebski, qui avait été récompensé à Berlin, séduit par sa mise en scène et son ambiance de thriller dans un décor désolé. Le finlandais Rare exports (signé Jalmari Helander) détonne grâce à sa parfaite appropriation des codes du film de genre américain et casse sans vergogne le mythe du Père Noël. Enfin, probablement le plus impressionnant de tous, le polonais Zero de Pawel Borowski, qui aligne des plans séquences plus élégants les uns que les autres, et dont l'intrigue indescriptible fait l'effet d'une ronde virtuose suivant  plus d'une trentaine de personnages en parallèle.

Prix ou pas prix, voilà déjà trois propositions de cinéma innovantes et vivifiantes qui prouvent qu'il reste des choses à inventer en matière de réalisation et de thématiques, et qui méritent d'être montrées de toute urgence sur nos écrans.