Plus c'est long plus c'est bon ? A Venise beaucoup de films ont une durée de 2h15 ou de 2h30 : First Man de Damien Chazaelle, Roma de Alfonso Cuaron, A Star is born de Bradley Cooper, The Ballad of Buster Scruggs des frères Coen, Sunset de Laszlo Nemes, Peterloo de Mike Leigh, Suspiria de Luca Guadagnino, Dragged across the concrete de S. Craig Zahler, 22 july de Paul Greengrass, The Nightingale de Jennifer Kent... les records étant Nuestro tiempo de Carlos Reygadas (2h53) et Werk ohne Autor (Never look away) de Florian Henkel Von Donnersmark qui s'étend sur 3h08 !
Avec l' abandon des caméras à pellicule (et le temps de leur mise en place) les outils numériques ont permis une réduction des coûts de journées de tournage : on filme davantage de séquences, plus vite et pour moins cher. Difficile parfois de ne pas en utiliser certaines dans le montage final...
Ces 188 minutes de Werk ohne Autor (Never look away pour son titre international, soit "ne jamais détourner le regard", et littéralement "travailler sans auteur") de Florian Henkel Von Donnersmark ne paraissent pas être les plus pesantes : le récit romanesque nous fait suivre une poignée de personnages durant une longue période depuis 1937 jusqu'en 1961, entre Allemagne nazie et Allemagne sous domination soviétique. C'est une autre particularité de la compétition de Venise: beaucoup de films nous renvoient dans le passé.
En 1937, le petit Kurt Barnet est un gamin emmené par sa tante visiter une exposition de peinture. D ans ce musée, il y a toute une partie qui montre des tableaux représentatifs d' exemple d' "art dégénéré'"qui ne doivent plus se peindre en Allemagne (des corps nus ou des abstractions géométriques, comme Kandinsky ou Mondrian). Sa tante est une personne plutôt réfractaire au parti nazi, qu'il faut presque obligatoirement incorporer et saluer. Elle est surprise un jour par sa famille dans un moment de crise exutoire à jouer du piano nue et se frapper la tête : visite chez le médecin, nazi, qui plaide la schizophrénie, et donc le placement dans une institution. C' est précisément ce sujet assez peu évoqué qui hante le film : l'idéologie de race aryenne incitait à la stérilisation contrainte des allemandes diagnostiquées d'un trouble mental ou handicapées. La disparition de cette femme restera un souvenir douloureux pour Kurt, qui après la guerre s'intéresse justement à la peinture. En 1951, Kurt est donc étudiant en art, il rencontre la belle Ellie et c'est le début d'une histoire d'amour dans cette partie Est (aka communiste) de l'Allemagne : pour la peinture, c'est en fait la même doctrine contraignante qu'aux temps des Nazis. Il faut glorifier la famille et l'ouvrier, il faut oublier "l'art décadent". Les médecins nazis qui avaient euthanasié femmes et enfants sont recherchés par le pouvoir, mais il y en a un en particulier qui n'a pas encore été inquiété et qui va de nouveau se retrouver dans l'entourage de Kurt... Il va falloir enfin faire face au passé...
Avec Never Look Away, on finit ému d'avoir partagé un bout de vie avec ces personnages.
Le réalisateur allemand s'est imposé sur la scène internationale avec La vie des autres en 2006 : César du meilleur film étranger en France et Oscar du meilleur film en langue étrangère. Evidemment,il fut alors courtisé par Hollywwod. En 2010 il dirige Angelina Jolie et Johnny Deep dans The Tourist (remake du film français Anthony Zimmer), un honnête ratage, déséquilibré entre suspens, action et romance. Depuis plus rien... Avec ce nouveau Werk ohne Autor (Never look away) il revient à une thématique familière : une évocation de l'Histoire trouble de l'Allemagne. Cette fois il s'intéresse plus particulièrement à la génération qui a grandit durant la Seconde guerre mondiale, ceux dont les parents ont partagé l'idéologie nazie et ceux dont la famille en ont été victime.
Werk ohne Autor (Never look away) parle beaucoup d'art (la pratique, la recherche, la résonance personnelle...) avec en toile de fond l'oppression (la censure, les directives, la précarité...), et surtout l'art face à la douleur de l'intolérable. La créativité pour renaître.
Kurt est joué par l'Allemand Tom Schilling (La femme au tableau, Suite française, Oh Boy). Ellie est incarnée par Paula Beer, dèjà connue en France pour Frantz de François Ozon (d'ailleurs découverte à Venise avec un prix Mastroianni du meilleur espoir en 2016). Et la menace planante sur leur amour est le terrible le professeur Carl Seeband interprété par Sebastian Koch (qui était l'artiste espionné dans La vie des autres, et qu'on a aussi vu dans Amen, Black Book, Die Hard 5, Le pont des espions, Danish Girl...). L'ensemble de casting est impeccable, le scénario joue avec des scènes romantiques et d'autres tragiques : il ne serait pas étonnant que Werk ohne Autor (Never look away) figure au palmarès de ce festival de Venise.
Florian Henkel Von Donnersmark a déjà reçu une bonne nouvelle il y a quelques jours: son film a été choisi comme le candidat allemand pour l'Oscar du film en langue étrangère. Venise, plus que jamais, reste une voie royale vers la statuette dorée d'Hollywood.