Vesoul 2018 : un bilan positif et un Cyclo d’or pour « Bagage »

Posté par kristofy, le 7 février 2018

Le 24ème Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul s'est terminée avec des bouquets de compliments à l'équipe de l'organisation guidée par Martine et Jean-Marc Thérouanne : durant une semaine il y a eu environ 90 films présentés en provenance de 20 pays asiatiques, certains en première européenne voire mondiale, en plus de  l'initiative de retrouver et restaurer des films jusqu'alors invisibles même dans leur pays d'origine...

Cette édition a été marquée par une thématique "Paroles de Femmes" en écho avec l'actualité, un fabuleux travail pour réunir 17 films symboliques de la Mongolie et la venue du cinéaste Jigjidsuren Gombojav et de la réalisatrice Byambasuren Davaa, une rétrospective des films de Mohamad Malas et de Wang Xiaoshuai qui ont reçu tous deux un hommage du festival.

Le FICA de Vesoul est non seulement le plus ancien festival d'Europe consacré aux cinémas asiatiques mais il est aussi 'lun des dix festivals français les plus fréquentés. Cette année ses multiples séances de projection ont fait venir environ 32 500 spectateurs : certains sont venus de loin pour voir jusqu'à 7 films par jour. Les différents artistes asiatiques invités ont été surpris de voir beaucoup de séances complètes pour leurs films, qui ne sont parfois toujours pas distribués dans leurs propres pays. L'un d' entre eux, séduit par la ville de Vesoul, chercherait même à y revenir en vacances... Une nouvelle réussite qui promet un beau 25ème anniversaire pour 2019.

Avec cette volonté d'éveiller une plus grande curiosité au monde et une ouverture vers les autres, la section des films en compétition proposait la découverte de 9 titres, principalement signés de jeunes talents (des premiers ou seconds films pour la plupart). Deux vétérans étaient quand même dans la course du Cyclo d'or : Leaf Of Life de Ebrahim Mokhtari (son 3ème film de fiction en 25 ans) et River's Edge du célèbre Wang Chao (déjà venu à Vesoul et qui tenait à y revenir).

Wang Xiaoshuai © ecrannoirLe Jury International avait comme président Wang Xiaoshuai, entouré de Mohamad Malas, Mai Masri et de l’actrice philippine Liza Dino. Avec leurs délibérations et celle des autres jurys, deux films se retrouvent plusieurs fois cités au palmarès : A Letter To The President de Roya Sadat qui retrace le combat d'une femme contre l'injustice et qui va se retrouver en prison pour avoir voulu en sauver une autre (4 prix au total), et The Taste of Rice Flower de Pengfei, qui raconte la relation d'une mère de retour dans son village pour s'occuper de sa fille, un village aux anciennes croyances, loin des villes modernes. Soit un drame tragique qui appelle à plus de progrès et un mélodrame émouvant qui s'attache à des traditions du passé, qui repart également avec quatre prix. D'ailleurs beaucoup de films du FICA (en compétition ou non) allaient dans l'une ou l'autre direction, une soif d'avenir meilleur ou un ancrage de ses racines.

Certains films étaient centrés sur des chroniques familiales : renouer des liens comme dans Shuttle Life avec la mort d'une petite fille ou comme dans Mothers (cité au palmarès) avec différentes mères et enfant adopté qui se cherchent. Dans ce film sud-coréen, une femme devient tutrice d'un adolescent et une adolescente enceinte va confier son futur bébé à un autre couple. Et dans Goodbye Grandpa venu du Japon, une joyeuse comédie durant l'organisation de funérailles, et qui remporte un Grand Prix mérité : « Le premier film de Yukihiro Morigaki est teinté d’humour et réussit le fragile équilibre entre moments de douceur et de drame grâce à son formidable casting ».

Il y a un film qui se détachait des autres car il aborde avec sensibilité le trauma d'une femme tout en évoquant une certaine brutalité de la mondialisation : c'est Bagage du philippin Zig Dulay, qui nous a fait une vive impression, tout comme au Jury ensuite qui a choisi de lui attribué le Cyclo d'or. Pour le président Wang Xiaoshuai le jury a été sensible à « une douce intensité combinée à la représentation brute de la partie sombre du monde où vivent les travailleuses domestiques philippines. Son cadre et son approche cinéma vérité forcent le public à goûter, à ressentir et à entendre chaque combat et chaque nuance ». Bagage avait d'ailleurs reçu déjà un prix de meilleur scénario au festival Cinemalya et il sera aussi au prochain festival de Londres : on lui souhaite une distribution prochaine dans les salles.

grandpaLe Palmarès du Fica de Vesoul 2018 :

-  Cyclo d'Or : Bagage de Zig Dulay (Philippines)
- Grand prix : Goodbye Grandpa de Morigaki Yukihiro (Japon)
- Prix du Jury : The Taste of Rice Flower de Pengfei (Chine)
- Mention spéciale du Jury : A Letter To The President de Roya Sadat (Afghanistan)

- Prix de la critique : The Taste of Rice Flower de Pengfei ( Chine)
- Prix du Jury NETPAC : The Taste of Rice Flower de Pengfei ( Chine) ex-aequo avec Mothers de Lee Dong-eun (Corée du Sud)
- Mention spéciale du Jury NETPAC : A Letter To The President de Roya Sadat (Afghanistan)
- Prix INALCO : Leaf Of Life de Ebrahim Mokhtari (Iran)
- Coup de coeur INALCO : The Taste of Rice Flower de Pengfei ( Chine)
- Prix du public du film de fiction : A Letter To The President de Roya Sadat (Afghanistan)
- Prix du Jury Lycéen : A Letter To The President de Roya Sadat (Afghanistan)
- Prix du Public du film documentaire : Au Fil Du Monde : Laos de Jill Coulon & Isabelle Dupuy Chavanat (Laos/France)
- Prix du Jury Jeune : The Wait de Emil Langballe & Andrea Storm Henriksen (Afghanistan/Danemark)
- Prix des Exploitants : Dakini de Dechen Roder (Bhoutan)

Vesoul 2018 : Paroles (et actes) de femmes

Posté par kristofy, le 6 février 2018

Le mouvement #MeToo popularisé par des actrices américaines depuis octobre continue de s'étendre : à propos de diverses violences aux femmes (harcèlement, agression...), depuis octobre, les révélations et autres bad buzz, tribunes et contre-tribunes féministes s'enchaînent. Il est beaucoup question partout de 'libération' de la parole de la femme, mais pas assez encore de questions à propos d'égalité salariale ou d'une meilleure représentation au sein de plusieurs instances dirigeantes (en politique tout comme dans des entreprises, mais aussi dans les structures de financement de films).

#MeToo n'est pas un phénomène uniquement occidental. Par exemple, depuis début janvier, il y a de plus en plus de #YeWoShi en Chine. Le Festival des Cinémas d'Asie de Vesoul avait prévu depuis plusieurs mois une sélection thématique "Paroles de femmes" avec plus d'une vingtaine de films à (re)découvrir dont plusieurs en avant-première. Si depuis quelques mois on parle de plus en plus aux Etats-Unis, ça fait plusieurs années qu'en Asie, non seulement on parle, mais en plus on agit comme par exemple en Inde, au Népal ou en Iran. Les problématiques sont bien plus complexes que le comportements de prédateur de quelques hommes : l'oppression est subie par l'organisation du pouvoir politique et religieux, les notions de liberté ou d'égalité sont encore à conquérir...

En 2011 la star asiatique Michelle Yeoh est dirigée par Luc Besson pour The Lady, un film biographique en hommage au combat de Aung San Suu Kyi assignée à résidence (emprisonnée chez elle, et isolée de sa famille) durant plusieurs années pour la tenir à l'écart des élections en Birmanie. On y entend cette phrase-clé : "Vous ne pensez peut-être pas à la politique, mais la politique elle pense à vous". Depuis, la Prix Nobel est au centre des critiques pour son ambiguïté sur le génocide et l'exil des Rohingyas.

La réalisatrice israélienne Elite Zexer s'est fait connaître avec un premier film passé au festival de Berlin en 2016 après avoir gagné un Grand prix du jury à Sundance pour Tempête de sable.

Des traditions patriarcales permettent à un homme de prendre une seconde épouse, de répudier la première s'il le désire, et surtout d'interdire à sa fille de fréquenter l'élu de son cœur pour la marier à un autre homme qu'il aura lui-même choisi. Le "tu ne peux pas me garder enfermée ici" de la jeune fille sera bien faible par rapport au "tu épouseras qui je te dirais" de son père. Le rôle du père est plus subtil qu'il n'y parait car il est 'obligé de' et 'forcé de' suivre les traditions, et son ainée qui souhaite autre chose finira par s'y plier pour l'honneur de sa famille, avec l'illusion (vaine) que ça ne se reproduira pas pour sa petite sœur...

Cette liberté refusée de se marier librement est d'ailleurs le sujet de biens d'autres films, comme le récent Noces de Stephan Streker en Belgique à propos d'une famille originaire du Pakistan.

Une lycéenne est déjà enceinte, sans l'avoir dit à sa famille. Pourtant, on lui a choisi trois jeunes hommes du Pakistan comme potentiel futur mari : "elle ne rentre pas, elle a dit que si on ne l’obligeait pas à se marier alors elle rentrait, elle ne veut pas se marier, et tant qu’on veut la marier elle ne rentre pas". Son frère la comprend un peu tout en suivant davantage le point de vue de son père. Sa grande soeur qui a vécu la même situation l'incite à obéir à ce mariage prévu avec un inconnu approuvé par les parents : "évidement que c’est injuste, on est des femmes qu’est ce que tu crois, on ne peut se révolter que si on peut changer les choses, sinon il n’y a qu’une seule chose a faire, c’est accepter". Là encore un renoncement. A noter que Noces est nommé pour le César du meilleur film étranger et qu'il vient de recevoir en Belgique le Magritte de la meilleure actrice dans un second-rôle pour Aurora Marion. A Angoulême, il avait réussit un doublé : meilleure actrice pour Lina el Arabi et meilleur acteur pour Sebastien Houbani.

En avant-première au FICA (après être passé par Cannes) et en attente d'une future date de sortie, Marlina la tueuse en quatre actes serait en Indonésie une version de western féministe, et filmé par une femme Mouly Surya (d'après une histoire inspirée par Garin Nugroho , venu à Vesoul en 2013).

Une jeune veuve dans sa maison isolée voit arriver chez elle un gang de sept hommes, leurs intentions sont claires : lui voler tout son bétail pour le revendre, et chacun va la violer. Ils ont l'habitude de faire ça, mais cette femme-là va se défendre: elle va d'ailleurs couper la tête du chef avec un sabre ! Marlina est en route en emportant sous le bras la tête coupée pour porter plainte à un service de police. Parmi le gang, cinq hommes sont morts tandis que les deux autres seront à sa poursuite...

Enfin, finissons avec un film symbolique de paroles de femmes (et de l'actualité de ces dernières semaines): le documentaire No land's song de Ayat Najafi est à (re)voir.

En Iran, les femmes ont interdiction de chanter seules. Entre 2010 et 2013, la caméra suit les démarches entreprises par la musicienne Sara Najafi qui voudrait contrer cette censure en organisant un concert où plusieurs femmes chanteraient devant un public : début du projet, rencontres avec différentes chanteuses à Téhéran et à Paris (avec Jeanne Cherhal, Elise Caron), répétitions, difficultés diplomatiques, arrivée en Iran du groupe, ... Le concert est interdit avant d'être tout de même toléré: "dans ce pays pour beaucoup de choses, on ne donne pas de raisons à un refus"... La loi en vigueur veut qu'une femme ne doit pas parler avec un homme non-intime, ni chanter seule en public, et que la voix chantée d’une femme ne doit pas dépasser une certaine limite dans le cadre du travail et ne pas provoquer de désir. Bref, une femme ne peut plus chanter comme soliste sur une scène depuis des dizaines d'années et le documentaire aborde en parallèle la vie culturelle du pays d'avant 1979. Des femmes voudraient chanter, d'autres (avec le récent mouvement du 'mercredi blanc') voudraient ne plus avoir l'obligation de porter un voile. C'est d'autant plus courageux qu'elles mettent leur vie en péril. Ne l'oublions pas.

Vesoul 2018: Bagage de Zig Dulay, une histoire de bébés abandonnés

Posté par kristofy, le 2 février 2018

zig dulay ©ecrannoirLe Festival des Cinémas d'Asie de Vesoul c'est la découverte de films en provenance d' Iran, Afghanistan, Malaisie, Chine, Corée du Sud, Philippines, ou du Japon. Recevoir un prix à Vesoul est d'ailleurs un coup de projecteur pour favoriser ensuite une sortie en salles en France, comme par exemple Les lauriers roses-rouges (Under construction) le 7 juin 2017, Tharlo, le berger tibétain ce 3 janvier dernier ou Hotel Salvation le 21 mars prochain.

Aujourd'hui on s'envole vers les Philippines dont on connait surtout les films de Brillante Mendoza. On se demande pourquoi les distributeurs n'ont pas fait sortir par exemple les films de Lawrence Fajardo (Invisible) ou de Edouardo Roy Jr, passé à Vesoul mais aussi par Berlin (Baby factory, le quotidien d’une maternité à travers différentes mamans, infirmières, bébés ou Quick change, histoire de transsexuels avec un trafic illégal de produits de chirurgie esthétique).

Un nouveau nom est à suivre : le réalisateur Zig Dulay (qui est aussi scénariste, monteur, producteur), venu à Vesoul présenter Bagage avec comme héroïne l'actrice Angeli Bayani (que l'on connaît depuis Ilo Ilo qui avait eu le prix Caméra d'or à Cannes en 2013).

Le pitch: Alors que toute la famille célèbre le retour au pays de Mercy Agbunag, des agents du Bureau National des Investigations viennent la chercher Mercy pour enquêter sur la découverte d’un nouveau-né qui a été jeté dans la poubelle d'un avion. Mercy était à bord de cet avion, elle va devoir passer entre les mains de divers organismes : police, hôpital, refuge des services sociaux, médias avides de sensationnalisme...

Le style du film et son esthétique visant au réalisme nous sont déjà familiers: la caméra est presque toujours tournée vers le personnage principal dont on suit autant la trajectoire géographique dans différents lieux que son parcours émotionnel. Ici c'est une femme, déjà mère de famille, qui est accusée d'avoir donner naissance à un bébé et de l'avoir abandonné dans un avion. L'enquête va d'abord viser son corps avec divers examens médicaux puis sa conscience avec une demande d'aveux qu'elle ne fait pas : est-elle vraiment coupable, que s'est-il passé ?

Inspiré de faits divers

Zig Dulay a donné cet éclairage : « Le film est inspirés de différents faits-divers de femmes ayant dû accoucher dans les toilettes d'aéroport et qui y ont abandonné le bébé. Il y a aussi eu un cas d'un bébé oublié dans les toilettes d'un avion. C'était à chaque fois des avions qui venaient de pays du Moyen-Orient. Il y avait d'ailleurs une histoire où le bébé trouvé avait été appelé Rosario. J'ai gardé ce prénom. Tout ça m'a inspiré l'écriture de ce film Bagage. Ce titre a une double signification, à la fois la charge trop lourde que représente ce bébé pour sa mère, et aussi le fait que ce type d'histoire représente un poids social pour le pays car ce qui est raconté se produit encore et toujours. Aux Philippines on traite ce genre d'affaire presque comme quelque chose de quotidien, il y a des réactions quand ça arrive mais on ne fait pas grand chose pour éviter ce type de problème. La justice est limitée à sa juridiction sans pouvoir enquêter en direction de criminels d'un autre pays étranger et essaie de savoir qui est la mère qui a abandonné le bébé. Avec Bagage j'ai voulu montrer ce cercle vicieux où des femmes sont d'abord coupables avant d'être éventuellement ensuite comprise comme étant victimes.»

Vesoul 2018 : Wang Xiaoshuai, Mohamad Malas et la Mongolie à l’honneur

Posté par kristofy, le 30 janvier 2018

C’est LE festival asiatique majeur et pour sa 24e édition, les regards vont de nouveau se tourner vers l’est en région Bourgogne-Franche-Comté : le Festival des Cinémas d'Asie de Vesoul va rendre hommage au chinois Wang Xiaoshuai (avec 11 films dont certains inédits) et au syrien Mohamad Malas (avec l'intégrale de ses films), et faire découvrir un large panorama du cinéma de Mongolie !

« Si l’une des missions du FICA de Vesoul est de mettre à l’honneur les films totalement inédits de futurs talents de demain dans les sections compétitives, elle est aussi de faire connaître et reconnaître des cinématographies peu ou mal connues. Proposer une rétrospective implique pendant plusieurs années l’étude de l’histoire du cinéma et de l’histoire du pays souvent intimement mêlées, le visionnement de centaines de films, des déplacements et des contacts sur place, l’aide à la restauration de certaines copies, la traduction et la création de sous-titres en français… » C’est cela le Festival de Vesoul, aller dénicher des films inédits en France ou en Europe, voire des films devenus invisibles (l’année dernière, c’était le Skri Lanka et la Georgie qui étaient à l'honneur). On y verra donc plus d’une quinzaine de films en provenance de Mongolie, dont des trésors qui datent de 1936, 1938, 1954 et d’autres plus récents.

Avec une sélection thématique "Paroles de femmes" (rattrapée par l’actualité), ses différents films en avant-première, et ses films en compétition pour un Cyclo d’or, le FICA de Vesoul va proposer de découvrir presque une centaine d’œuvres asiatiques du proche à l’extrême orient. Le jury international pour les fictions en compétition sera présidé par Wang Xiaoshuai (qui a déjà été récompensé à Cannes comme à Berlin), avec à ses côtés Mohamad Malas, Mai Masri et l’actrice philippine Liza Dino.

Au fil des multiples séances toute la journée, ce sont environ 30 000 spectateurs qui vont être accueillis sur une semaine, beaucoup de projections sont suivies d’ailleurs par un débat : cette année sont invités par exemple Byambasuren Davana, Zig Dulay, Lee Dong-eun, Lee Kwang-kuk, Ebrahim Mokhtari, Morigaki Yukihiro, Pengfei, Roya Sadat, Tan Seng Kiat, et aussi Wang Chao.

C’est Hotel salvation qui fait l’ouverture du festival (avant sa sortie en salles le 21 mars), et pour la clôture c’est Centaure (qui sera sur les écrans à partir de ce 31 janvier).


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24e Festival des Cinémas d'Asie de Vesoul
Du 30 janvier au 6 février 2018
Informations pratiques sur le site de la manifestation