Le producteur Dino de Laurentiis meurt : un dragon s’éteint (1919-2010)

Posté par vincy, le 11 novembre 2010

dino de laurentiis king kong 1976Né en 1919 à Torre Annuziata, à la sortie de la première guerre mondiale, il décidera très tôt de devenir producteur, lors de ses études au Centro sperimentale delle cinematografia. Il produit son premier succès à 19 ans, L'amore canta, juste avant la seconde guerre mondiale. Il travaille alors pour Lux Films, mais entreprend très vite de rouler pour lui-même. Il créé donc la Dino de Laurentiis Cinematografica, qui va contribuer à la reconstruction du cinéma italien post-Mussolini, et mieux que ça, à son essor vers un âge d'or dont on lui doit beaucoup.

Ainsi en 1949, il propulse sur les écrans la jeune Silvana Mangano, sa "muse", aux côtés de Vittorio Gassman, dans Riz amer. Il épousera Mangao ; un mariage qui durera jusqu'à la mort de celle-ci, 40 ans plus tard. Ils auront 4 enfants.

Cinq ans plus tard, il produit le chef d'oeuvre La Strada de Federico Fellini, avec Giuletta Masina et Anthony Quinn. Mangano, Quinn et Kirk Douglas, seront dans sa version d'Ulysse, réalisée par Mario Camerini. Il continuera à alterner les grandes épopées mythiques (La Bible, de John Huston, avec Ava Gardner ou Guerre et paix, de King Vidor, avec Audrey Hepburn) et les néoréalistes italiens (Les nuits de Cabiria, de Fellini, L'or de Naples, de Vittorrio De Sica, Où est la liberté et Europa '51, de Roberto Rossellini, La grande guerre de Mario Monicelli, Une vie difficile et Il giovedi de Dino Risi ou encore L'étranger de Luchino Visconti ). On lui doit aussi le culte Barbarella, de Roger Vadim, avec Jane Fonda, Barrage contre le Pacifique de René Clément, au milieu d'énormément de navets  et séries B des cinquante et soixante.

Cela ne l'empêchera pas de recevoir de multiples honneurs : 5 prix David di Donatello du meilleur film (dont La grande pagaille, de Luigi Comencini, dont il a produit une dizaine de films, Waterloo, de Sergei Bondarchuk et Banditi a Milano, de Carlo Lizzani), deux Donatello d'honneur, un Oscar du meilleur film en langue étrangère (La Strada), un prix Irving G. Thalberg au cours des Oscars 2001 pour l'ensemble de son parcours, et deux prix honorifique à Venise (un Lion d'or pour sa carrière en 2003 notamment).

De la banlieue de Naples à Hollywood

Après la faillite de son studio, réplique de la Cinecitta, la Dinocitta, De Laurentiis migre vers Hollywood :  Terence Young (Cosa Nostra, avec Charles Bronson), Sidney Lumet (Serpico, avec Al Pacino), Sydney Pollack (Les trois jours du Condor, avec Robert Redford et Faye Dunaway), Michael Cimino (L'année du Dragon, avec Mickey Rourke), John Milus (Conan le Barbare, avec Schwarzenegger)  et même le remake de King Kong en 1976 (photo) . Il subit aussi deux cuisants échecs avec l'adaptation de Flash Gordon, le film catastrophe Hurricane et Blue Velvet, le polar poisseux culte de Lynch.

Il obtient les droits d'un livre Red Dragon, qui deviendra un thriller oublié, Le sixième sens, pourtant signé Michael Mann. Mais avec les mêmes droits, il pourra profiter du triomphe du Silence des agneaux, du même auteur, avec les mêmes personnages, pour revenir en haut du box office avec Hannibal de Ridley Scott et ses suites : Red Dragon et Hannibal Lecter : les origines du mal.

Récemment, il avait produit U-571, thriller sous-marin, et La dernière légion, péplum d'un nouveau genre.

De Laurentiis était un producteur à l'ancienne, avec plus de 160 films au compteur : prenant des risques, misant sur des réalisateurs prometteurs, se perdant parfois dans les ambitions de certains projets, mais ayant une foi inébranlable dans le cinéma.

Arras 2010 : focus sur le cinéma roumain

Posté par MpM, le 11 novembre 2010

Le festival d'Arras poursuit son auscultation du cinéma européen en proposant un focus sur le nouveau cinéma roumain. Depuis la palme d'or de Quatre mois, trois semaines, deux jours en 2007, c'est presque devenu un lieu commun que de vanter cette cinématographie radicale et intransigeante capable de regarder en face les contradictions de son pays. Mais le fait est que l'intérêt ne se dément pas. Et si les trois films présentés à Arras (Mardi après Noël de Radu Muntean ; Felicia de Razvan Radulescu et Melissa de Raaf ; If I want to whistle, I whistle de Florin Serban) ne donnent pas une vision exhaustive de ce qu'est la production roumaine actuelle, ils en confirment le dynamisme.

Ainsi, on retrouve dans ce mini-focus quelque chose de la radicalité stylistique observée chez Christian Mungiu, Cristi Puiu ou encore Corneliu Porumboiu. Tout d'abord le choix d'une mise en scène épurée, souvent constituée de plans fixes et de séquences longues, qui donne l'impression de vouloir capter le monde d'un regard neutre et extérieur. Le temps est lui aussi primordial, dans la mesure où les trois films installent leur récit par petites touches, scène après scène, sans précipitation ni raccourci. Il faut accepter d'adopter le rythme lent et parcimonieux de ces intrigues dont on ne saisit parfois la finalité que dans les dernières séquences.

Mardi après Noël s'ouvre par exemple sur un long échange entre un homme et une femme nus dans un lit. Mari et femme ? Amants ? Inconnus qui viennent de se rencontrer ? Le dialogue est quotidien, presque trivial, délivrant de rares bribes d'information sur les personnages. Il faudra un moment pour comprendre où ces deux-là vont nous mener... Exactement comme si le réalisateur avait planté sa caméra dans la chambre à coucher d'un couple pris au hasard et laissait tourner sans savoir ce qui allait se passer.

C'est là une autre caractéristique de ces trois films, et qui peut au-delà s'appliquer à plusieurs autres longs métrages roumains découverts ces dernières années : malgré des intrigues souvent ténues (une rupture, une rencontre, une journée en famille), on ne sait jamais ce qui va arriver dans la scène suivante parce que comme dans la réalité, tout est possible. Paradoxalement, malgré leur banalité, les intrigues ne sont en effet pas formatées et chaque situation sonne excessivement juste. Le personnage principal de Mardi après Noël pourrait très bien quitter sa femme, rester avec elle ou encore choisir de poursuivre sa double vie. La fille de Felicia peut se fâcher définitivement avec ses parents ou au contraire se réconcilier avec eux. Ce qui est sûr, c'est que quelle que soit l'issue du film, on reste dans des actes quotidiens d'où tout événement extraordinaire est gommé. Même le jeune homme de If I want to whistle, I whistle, qui semble basculer dans l'irréparable, ne demande au fond qu'à passer une heure dans un café avec une jolie fille.

De cette simplicité des enjeux et des sujets naît une véritable proximité entre le spectateur et les personnages. Il est possible de se projeter dans ce cinéma intimiste parce qu'il aborde les rapports humains et plus spécifiquement familiaux  dans ce qu'ils ont de plus authentiques et de plus primaires (rapport filiaux dans Felicia, conjugaux dans Mardi après Noël). Et même si le contexte de If I want to whistle, I whistle est clairement à part (un centre de détention pour mineurs), ce sont pourtant bien les rapports entre le héros, sa mère et son petit frère qui servent de fil rouge à l'intrigue.

Ce qui frappe enfin, c'est l'universalité de ces histoires qui sont diversement intégrées dans le contexte roumain spécifique. Les protagonistes de Mardi après Noël sont issus d'une classe aisée pour qui l'argent ou les conditions sociales ne sont jamais un problème. Ils pourraient aussi bien vivre à Paris ou à New York. Chez Felicia, on est dans une classe plus modeste. Mais là non plus les personnages ne manquent de rien. Le poids du passé communiste est malgré tout perceptible, même s'il est très peu abordé. Il n'y a finalement guère que le centre de détention de If I want to whistle, I whistle qui semble une "spécificité" roumaine apportant au film une dimension sociale supplémentaire mais à laquelle on ne peut le résumer.

Hasard ou coïncidence, la plupart des autres films d'Europe de l'Est présentés à Arras dans le cadre des "découvertes européennes" diffèrent de ce cinéma roumain tout en retenue, mais partagent avec lui un certain intérêt pour l'intime. Ainsi, les problèmes personnels des personnages sont globalement plus liés à la réalité sociale et politique de leur pays, en l'occurence le radicalisme religieux pour Le choix de Luna de Na Putu et le faux mirage européen et capitaliste dans Slovenian girl de Damjan Kozole et Just between us de Rajko Grlic. La famille y demeure également la pierre angulaire de l'intrigue, même lorsqu'il s'agit de regarder en arrière à l'image de All that I love de Jacek Borcuch qui évoque l'époque de Solidarnosc en Pologne. Toutefois, différence notable, aucun d'entre eux ne parvient à capter la réalité du quotidien comme le font les trois films roumains du focus.