Cannes 2011 (bilan) : une Quinzaine des réalisateurs en crise

Posté par vincy, le 21 juin 2011, dans Business, Cannes, Festivals, Personnalités, célébrités, stars.

La rumeur courait depuis les derniers jours du Festival de Cannes. Il aura fallut attendre samedi, date du conseil d'administration de la Société des Réalisateurs de Films, organisatrice de la Quinzaine des Réalisateurs, pour en avoir la confirmation : Frédéric Boyer, directeur général depuis 2010 en remplacement d'Olivier Père, parti diriger le Festival de Locarno, a été désavoué et démis de ses fonctions.

Le communiqué est laconique : "(La SRF) le remercie du travail qu’il a accompli comme directeur artistique de la Quinzaine des réalisateurs.  La SRF recrute pour l’édition 2012 le (ou la) délégué(e) général(e) de la Quinzaine des Réalisateurs. Les candidatures sont à adresser par courriel jusqu’au 8 juillet 2011 (CV ou parcours professionnel ainsi qu’une lettre de projet). Les entretiens auront lieu impérativement dans la semaine du 18 au 22 juillet 2011."

C'était attendu pour ne pas dire souhaitable tant Frédéric Boyer ne semblait pas à l'aise dans son costume. La Quinzaine est artistiquement en crise depuis le départ d'Olivier Père. Cette année, hormis La Fée et Les Géants, respectivement deux films qui ont fait l'ouverture et la clôture, aucun des films d esa sélection n'a réellement emballé la critique et le public. Certaines projections étaient à moitié vide. La faute à une programmation trop austère, avec peu de noms connus (à part André Téchiné avec l'un de ses moins bons films) qui auraient pu faire le relais pour séduire son public vers des oeuvres plus risquées. Déjà, l'an dernier, seul un quart de la sélection avait réellement séduit les cinéphiles. L'échec patent du sélectionneur s'ajoute à un manque de charisme sur scène quand il présente les films, une faiblesse dans les négociations pour obtenir des films forts face au festival de Cannes et même à la Semaine de la critique, et une rigidité d'esprit, pour ne pas dire une radicalité cinématographique, qui s'est illustrée il y a  deux mois lors de sa conférence de presse (voir article du 22 avril). Reconnaissons qu'il avait le mérite de la franchise. Mais le cinéma ne cesse de se métisser et de s'ouvrir à de nouveaux styles et Boyer semblait ne choisir que des films qui lui plaisaient et qui caricaturaient le cinéma d'auteur.

Résultat, la Quinzaine a perdu en prestige, en intérêt, en désir en très peu de temps. Sélection trop obscure, pour initiés, et qui, une fois distribuée en salles, se plantait au box office (à deux trois exceptions près). Où sont les Jarmusch, Scorsese et autres Dardenne ? Certes, les files d'attente sont mieux gérées, les séances davantage à l'heure... Mais une fois la lumière éteinte, les toiles n'ont pas enchantées grand monde.

Une Semaine de la Critique au top

A l'inverse, la Semaine de la Critique emporte les suffrages malgré son bordel ambiant et une salle désespérément trop petite. Année après année, elle choisit des films français qui ont leur marque, entre engagement et générosité. Le grand public ne s'y trompe pas. Le nom des gens l'an dernier, La guerre est déclarée cette année, ... Ces films de la Semaine s'ajoutent à quelques coups comme le court métrage de Spike Jonze, Isabelle Huppert chez Ionesco ou Biolay et Devos en clôture, ou encore l'an dernier des films aussi différents que Sound of Noise et Armadillo. Nul ne doute que Take Shelter et Les Acacias, en compétition cette année, trouveront leur public avec des critiques déjà très élogieuses.

La Quinzaine décline par étroitesse de vue sur le cinéma actuel, excluant des films parfois légers, l'animation, Bollywood, la Semaine s'épanouit grâce à une fraîcheur de ton. Soyons justes, avec Benda Bilili, Cleveland vs Wall Street et Un poison violent, le premier crû de Boyer paraissait au moins varié à défaut d'être d'une qualité extraordinaire. Année bissextile avait même remporté la caméra d'or, de justesse devant Armadillo (Semaine de la critique). Mais voilà, cette fameuse Caméra d'or, prix trans-sélection par excellence, a davantage la Semaine de la Critique, avec, depuis dix ans, cinq prix sur les 11 remis.

Une sélection "médiocre", "passable", "sinistre"

Une révolution dans la hiérarchie qui impacte les distributeurs, les médias, les artistes. La Quinzaine représentait l'audace et une contre-programmation au Festival, servant souvent de laboratoire et de dénicheurs de talents (nombreux sont ceux qui ont finit en Compétition). Ce temps là est (provisoirement terminé). On prend davantage de plaisir à l'Espace Miramar, QG de la semaine. Le Monde définissait la Quinzaine 2011 ainsi : "Au regard de cette réussite, la Quinzaine 2011 fait pâle figure. Les vingt-cinq longs-métrages programmés y vont du médiocre au passable, en passant par le sinistre - à quelques exceptions près." La Quinzaine a échoué parce qu'elle refuse d'intégrer le potentiel commercial d'un film dans son processus de sélection. Dans un marché si concurrentiel - rien qu'à Cannes il y a cinq sélections - la Quinzaine n'a pas réussi à retenir La guerre est déclarée ou Les bien-aimés, tous deux très bien accueillis et promis à un joli succès. La Quinzaine apparaît comme un sous-Sundance trop "underground".

La pression est d'autant plus forte que certains soupçonnent un pacte tacite entre le Festival et la Semaine, au détriment de la Quinzaine. Thierry Frémaux a réussit depuis quelques années à faire d'Un certain regard une compétition bis très forte et très attrayante, tuant du même coup les possibilités de la Quinzaine d'avoir des films signés de grands cinéastes. Un Certain Regard est devenu "hype" et rivalise de prestige et d'intérêt cinéphilique avec la Compétition. De même en accueillant le 50e anniversaire de la Semaine avec le film d'Eva Ionesco dans le Palais des Festivals, il a montré une certaine préférence.

Sur Le monde.fr, en mai dernier, la Quinzaine lui inspirait ce commentaire : « Elle cultive depuis sa naissance le désir de montrer un «autre cinéma», a-t-il dit. On atteint là certaines limites, la Quinzaine a été créée en 1968, quand existait vraiment un «autre cinéma». C'est moins le cas maintenant que, si j'ose dire, tous les cinémas sont dans la nature. »

La SRF doit maintenant fixer les bonnes orientations pour que la Quinzaine redevienne séduisante. Un nouveau programmateur, davantage homme/femme à poigne et ouvert aux nouvelles expériences de cinéma, sans préjugés aucun pour des films pouvant plaire à un public qui s'abonne pour les voir, avec l'audace de découvrir les grands cinéastes de demain. Cela passera peut-être par un grand chambardement, mais il sera salutaire alors que le Festival de Cannes, dans son futur nouveau Palais, avec une équipe en grande forme, et la Semaine qui est au 7e ciel, ne lui feront pas de cadeaux.

Encore faut-il que cette sélection sache quelle est sa mission, quels sont ses critères de sélection, quelle est sa vision du cinéma de demain...

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