La Carioca à Cannes?

Posté par vincy, le 12 mars 2019

Sens critique a lancé une pétition déjà signée par plus de 5000 personnes [update: 13000 le mercredi 13 mars, ndlr]. La défense d'un cinéaste opprimé? Le scandale d'un film censuré? Que nenni. La pétition demande qu'Alain Chabat et Gérard Darmon montent sur la scène du Palais des festivals de Cannes pour danser la Carioca.

Point vintage. Il y a 25 ans, les Nuls (Alain Chabat, Chantal Lauby et Dominique Farrugia) arrivaient sur les grands écrans français avec un film délirant (et culte), La Cité de la peur. 2,2 millions de spectateurs ont suivi cette enquête foutraque pour retrouver le tueur de projectionnistes, en plein festival de Cannes. Chabat, garde du corps, et Darmon, super flic, dansent cette Carioca sur la scène du Palais des festivals pour faire diversion.

Pas sûr que le clin d'oeil, si la Carioca était dansée le jour de la clôture de Cannes, soit comprise des téléspectateurs et des invités étrangers. La pétition, adressée à Thierry Frémaux et à Pierre Lescure, rencontre cependant un vif succès. Et, après tout, Canal +, où sont nés les Nuls et que Lescure a dirigé aussi, est le diffuseur de la soirée.

Dans un tweet énigmatique posté en milieu d'après-midi, le compte officiel du festival de Cannes a posté un gif de cette fameuse Carioca avec ce commentaire : "Patience...".

Cartoon movie 2019 – Florence Miailhe, Alain Ughetto et Simone Massi : l’animation pour adultes au firmament

Posté par MpM, le 12 mars 2019

© CARTOON
© CARTOON

Dans les travées du Cartoon Movie 2019, carrefour professionnel du long métrage d’animation, la question de l’animation adulte a comme toujours occupé les conversations. Si tout le monde est d’accord pour vanter la richesse et le caractère indispensable de cette forme de cinéma, elle continue d’un point de vue économique à ne pas toujours aller de soi. Ou plus précisément, alors que la critique plébiscite semaine après semaine des films tels que Chris the Swiss ou Funan, à destination d’un public d’adultes et d’adolescents, les producteurs rencontrent eux des difficultés à les financer, et les diffuseurs restent frileux à l’idée de les montrer, et donc de les acheter.

L'animation adulte : plus ambitieuse et plus risquée ?


Et c'est vrai : le public n’est pas assez souvent au rendez-vous. D'une manière générale, l’animation adulte peine à capitaliser autant qu’un film « familial » à plus gros potentiel commercial, ce qui en fait un domaine plus risqué que la moyenne (s'il existait une formule magique pour qu'un film marche en salles, évidemment, ça simplifierait les choses pour tout le monde). Et pour cause, puisqu’on parle d’œuvres forcément plus ambitieuses, abordant des sujets pas faciles, et sortant des sentiers battus. Exactement le type de films qui, lorsqu’ils sont en prise de vue continue, peuvent malgré tout trouver leur public, et même atteindre de très beaux scores. On ne dira jamais assez le mal que l’assimilation dessins animés = jeune public a fait au cinéma d’animation.

On a donc parfois l’impression de deux mondes qui se croient séparés par un fossé profond et infranchissable, sans voir les multiples passerelles qui vont de l’un à l’autre. D’autant que la question de la tranche d’âge à laquelle est destiné un film reste floue, et subjective. Rien n’empêche de voir Parvana vers 10 ans, Wardi à 8 et Funan à 12, par exemple. Tout dépend des enfants, et de la manière dont on accompagne chaque film. Ce qui, en passant, est vrai pour toutes les formes de cinéma.

Bien entendu, les professionnels ont conscience de la nécessité d'agir.  Un groupe de travail créé en 2018 par Nicolas Schmerkin de la société Autour de Minuit, et coordonné par l'AFCA (Association française du Cinéma d'animation), réfléchit ainsi à des solutions concrètes pour accompagner les films d'animation pour adultes lors de leur sortie en salles,  par exemple en intervenant très en amont. L'idée serait notamment de mobiliser un réseau de salles et d'exploitants qui soient sensibilisés aux problématiques propres à ce type de cinéma, et informées régulièrement des projets existants.

Trois projets intimes, universels et indispensables

C'est dans ce contexte que l'on a découvert à Bordeaux trois projets de longs métrages qui viennent tout azimuts réaffirmer l'urgence de désenclaver l'animation adulte et de mettre fin au gâchis consistant à sacrifier film après film le potentiel artistique gigantesque qu'elle recèle. Car ce qui se joue dans ces trois films en devenir va au-delà de la question de la création et de l'oeuvre cinématographique : c'est une manière d'éclairer le présent par le prisme de l'Histoire collective et des destins individuels. Interdit aux chiens et aux Italiens d'Alain Ughetto, La traversée de Florence Miailhe et Trois enfances de Simone Massi ont en effet en commun de partir d'un matériau très intime pour rappeler le passé récent, et rendre hommage à ceux qui l'ont vécu, mais aussi pour éclairer notre propre époque dans laquelle subsistent les échos de ces destins personnels.

Interdit aux chiens et aux Italiens d'Alain Ughetto (produit par Les Films du Tambour de Soie, Vivement lundi ! Foliascope, Graffiti Doc, Nadasdy Film)


Après Jasmine, dans lequel il racontait poétiquement son histoire d'amour avec une jeune femme iranienne à la fin des années 70, Alain Ughetto propose un deuxième long métrage qui s'avère tout aussi ambitieux que le premier. Il s'agit cette fois d'une chronique familiale entre la Suisse, la France et l'Italie, doublée d'une grande fresque du XXe siècle qui fait évidemment écho avec aujourd'hui. Le réalisateur y racontera avec émotion et humour le périple de Luigi et de ses frères qui quittent au début des années 20 leur village natal du Piémont dans l'espoir d'une vie meilleure à l'étranger.

Luigi, c'était le propre grand-père d'Alain Ughetto. Le réalisateur a remonté le fil de ses souvenirs personnels pour retracer son parcours et raconter ainsi toute l'histoire de ce qui fut dans la première partie du XXe siècle une main d'oeuvre nomade et déconsidérée. Le titre fait ainsi référence à des pancartes ayant réellement été affichées dans des vitrines de cafés ou de restaurants français. Difficile, bien sûr, de ne pas voir un parallèle entre cette attitude d'exclusion et les comportements d'intolérance et de rejet qui se succèdent depuis à l'égard de tous ceux qui viennent d'ailleurs.

C'est évidemment un projet profond et bouleversant, universel, mais aussi extrêmement personnel, qui met en scène la famille et les souvenirs d'enfance d'Alain Ughetto. "De tous ces gens, il ne reste plus rien" explique-t-il. Ce qui l'a amené à s'interroger sur ce qui, en lui, subsiste de ce monde englouti dont il est directement issu. Pour lui redonner vie, il aura recours à des matériaux artisanaux pour les décors (des brocolis, des châtaignes, du sucre...) et à des marionnettes pour les personnages. La séquence que l'on a pu découvrir lors du Cartoon movie se passe en 1922, et montre avec un mélange d'humour et de suspense la manière dont les trois protagonistes franchissent la frontière vers la France au nez et à la barbe des soldats italiens en train d'écouter un discours de Mussolini. Des images qui confirment l'immense tendresse dont le réalisateur entoure ses personnages, et le ton à la fois sensible et léger qui sera celui du film.

La traversée de Florence Miailhe (produit par Les films de l'Arlequin, Xbo Films, MAUR Film, Balance Film)


Voilà un projet qui a démarré il y a plus de dix ans, attendus depuis presque aussi longtemps par les admirateurs (nombreux) de Florence Miailhe, cette incontournable réalisatrice de courts métrages récompensée notamment d'un César pour Au premier dimanche d'août en 2002, et d'une mention spéciale à Cannes pour Conte de quartier en 2006. A l'origine de ce magnifique projet en peinture animée, dont on a pu découvrir à Bordeaux un montage de 12 minutes qui nous a tout simplement éblouis, il y a le désir de la réalisatrice de faire un pont entre la situation actuelle et l'histoire de sa famille obligée de fuir l'Ukraine à cause des pogroms, au début du XXe siècle.

Accompagnée par l'écrivaine Marie Despleschins, elle a finalement réduit le nombre de personnages à deux enfants jetés seuls sur la route, et qui traversent tout le continent à la recherche d'un havre d'accueil et de liberté. Malgré tout, l'influence familiale persiste, notamment à travers le carnet de croquis de la mère de la réalisatrice, qui lui a servi d'inspiration pour les différents personnages du film.

En six chapitres, le film racontera le parcours presque "traditionnel" des réfugiés de tous les pays et de toutes les époques : obligés de fuir pour sauver leur vie, puis sans cesse pourchassés, menacés, exploités, vendus ou emprisonnés. On a déjà pu admirer le travail exceptionnel mené sur les couleurs, les contrastes et les mouvements, qui promettent une oeuvre d'une grande beauté formelle. Sur le fond, l'émotion est perceptible dans les quelques minutes que l'on a pu découvrir, de même que la dénonciation du système qui profite du malheur des réfugiés, et de notre propre indifférence. Vraisemblablement l'un des grands chocs de l'année prochaine, que l'on attend évidemment à Cannes.

Trois enfances de Simone Massi (produit par Offshore et Minimum Fax Media)


Simone Massi, illustrateur et réalisateur de courts métrages (La memoria dei cani, Nuvole mani...), travaille lui-aussi sur son premier long métrage après avoir signé 45 minutes d'animation dans le documentaire Samouni road présenté à Cannes en 2018. Il y racontera l'histoire d'une même famille sur trois générations, entre 1918 et les années 70, dans la région des Marche, en Italie, dont il est originaire. Lui aussi s'inspire en effet de ses racines, de sa terre natale et de sa famille, pour une histoire sensible et universelle qui parle à la fois des courants migratoires, de l'Histoire du XXe siècle et de l'évolution de l'Italie. Ses personnages sont trois enfants qui voient passer à trois époques successives le "manège sanglant de l'Histoire" et observent la manière dont il bouleverse à la fois leur territoire et leur existence.

Simone Massi explique qu'il souhaitait s'inscrire à contre-courant d'un contexte où tout le monde a l'obligation de tout comprendre. "L'Histoire du XXe siècle est très compliquée. Pas aussi simple qu'on la raconte. C'est pourquoi embrasser le regard d'enfants permet de la raconter du point de vue de ceux qui ne comprennent pas vraiment ce qui se passe." On assistera donc avec les personnages à deux guerres mondiales puis à une quasi guerre civile, croisant fascisme et terrorisme, famine et terreur, reconstruction et injustices. Le désir de Simone Massi est ainsi de partir d'une histoire personnelle, celle de sa famille, pour montrer comment les événements historiques conditionnent l'histoire personnelle des individus.

Visuellement, le film sera dans la lignée du travail de Massi, avec cette technique particulière en noir et blanc (et quelques taches de couleur rouge) qu'il obtient en grattant du papier enduit de pastel noir. On pourrait s'attendre à ce que le procédé soit terriblement long, et pourtant les 45 minutes d'animation de Samouni road avaient été réalisées en seulement un an, grâce notamment à la rotoscopie. Trois enfances passera également par cette technique, sans pour autant renoncer aux aspects les plus minutieux, et artisanaux du travail de Simone Massi, et devrait être prêt pour mai 2022.