On a beau être habitué à la qualité des films sélectionnés par les Rencontres Henri Langlois de Poitiers, c'est un plaisir toujours renouvelé de découvrir le dynamisme et l’inventivité des tout jeunes réalisateurs contemporains. Il faut dire que la sélection est drastique (cette année, 40 œuvres retenues sur les plus de 1300 reçus), et la concurrence rude. Dans les écoles de cinéma du monde entier, on se bat pour figurer parmi les heureux participants au festival.
Que dire, alors, de ceux qui ressortent vainqueurs de la compétition finale, remportant un (ou plusieurs) prix parmi la petite dizaine qui est décernée ? La première impression, c'est que les différents jurys ont probablement bien travaillés, tant les films primés sortent du lot. Sur les cinq que l'on a pu voir (parmi les 6 qui se partagent les récompenses 2011), pas une seule fausse note. C'est à peine si, parfois, on aurait inversé les niveaux de prix... question de sensibilité subjective plus qu'autre chose.
Chose amusante, sur les cinq films, quatre sont l’oeuvre de réalisatrices, preuve que la relève sera plus homogène que ne l'est l'offre actuelle ! Côté géographie, l'Europe est surreprésentée, avec deux films allemands, un britannique (tourné en Argentine, malgré tout), un polonais et... un russe. Pour sauver l'honneur, le 6e film, un long métrage qui n'était pas présenté lors de la reprise du palmarès à la cinémathèque française, est sud-coréen !
Animation, documentaire, comédie, tragédie... tous les styles ont séduits les jurys, qui ne boudent ni leur plaisir, ni leur conscience politique. Un bel équilibre qui donne un aperçu captivant des préoccupations des jeunes cinéastes. Si l'on devait malgré tout faire un reproche un peu général, ce serait sur la difficulté qu'ont les cinéastes de finir leurs histoires. Souvent, les "chutes" ne sont pas à la hauteur du reste, laissant clairement le spectateur sur sa faim. Mais trêve de généralités et retour sur les cinq films en question.
Reaching out to mama d'Olga Tomenko
Le monde, vu à travers le regard d'une petite fille boudeuse, se pare d'une étrange tonalité fantastique. La jeune réalisatrice distord le réel, rend inquiétant un simple tiroir, et capte la fantaisie cruelle de l'enfance. On est surtout séduit par l'ambiance inconfortable qu'elle parvient à créer, et par le naturalisme saisissant de son actrice.
L'échange de Maria Steinmetz
Un jeune couple se promène fièrement avec un nouveau né. Mais l'enfant est remplacé à leur insu par un bébé troll. De ce conte humaniste en forme d'hymne à la tolérance, la jeune réalisatrice allemande fait une nativité ironique et décalée, en mêlant icônes religieuses et personnages d'heroic fantasy. L'animation, épurée et fluide, apporte une véritable inventivité visuelle au récit, et en renforce l'universalité.
Silent River de Anca Miruna Lazarescu
Dans la Roumanie de Ceaucescu, deux hommes décident de risquer le tout pour le tout : traverser le Danube pour fuir à l'Ouest. Tandis que l'échéance se rapproche, la tension monte, et les obstacles surgissent. On est saisi par l'urgence du propos, qui emprisonne spectateurs et personnages dans un climat de plus en plus anxiogène. Au-delà du récit et de ses conséquences, on ne peut aussi s'empêcher de faire le parallèle avec Welcome de Philippe Lioret, où un jeune homme tentait de traverser la Manche à la nage pour rejoindre l'Angleterre-terre promise. Les époques et les circonstances changent, mais pour les êtres humains qui en sont victimes, le prix de la liberté est toujours aussi dur à payer.
Abuelas d'Afarin Eghbal
Il fallait oser aborder un sujet aussi grave (les enlèvements d'enfants pendant la dictature argentine) dans un film d'animation débridé et fantaisiste. Et pourtant, tout fonctionne à la perfection, des cadres photos qui prennent vie aux jouets qui reconstituent les enlèvements. En voix-off sur ces images presque joyeuses, les témoignages des grands-mères-courage apportent juste l'éclairage nécessaire, sans pathos ni émotions forcée. Malgré une durée réduite (9 minutes), tout est (admirablement) dit.
Frozen Stories de Grzegorz Jaroszuk
Les deux pires employés du mois d'un supermarché froid et anonyme se voient confier une mission étrange : trouver un but à leur existence. Le ton ultra-décalé de cette comédie ironique créée une ambiance à la fois surréaliste et désespérante. Mais surtout, les personnages qui semblent totalement désincarnés sont servis par des comédiens si convaincants (mention spéciale au patron neurasthénique) qu'ils rendent crédibles les situations les plus farfelues.