Dernière née des sections parallèles cannoises, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté - dans une histoire chargée de surprises, de découvertes, de coups de maîtres et de films incontournables.
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Cinéma en liberté. Ce slogan, qui présida à la création de la Quinzaine en 1969, induisait dès le départ l’éclectisme de ses sélections et la nécessaire curiosité de ses responsables, chargés d’aller chercher « à la source » ces films et ces talents qui leur semblaient tant manquer à la compétition officielle. Si les temps ont changé, et que les sections cannoises font désormais toutes la chasse aux premiers films, la Quinzaine peut malgré tout s’enorgueillir d’avoir fait un travail de pionnier en la matière, mêlant sans complexe jeunes réalisateurs et auteurs confirmés depuis ses débuts. En 1969, en effet, étaient notamment sélectionnés Head, premier long métrage de Bob Rafelson, et Pauline s’en va, le premier d’André Téchiné, aux côtés de Calcutta de Louis Malle (déjà palmé d’or) et Une femme douce de Robert Bresson, futur habitué de la compétition officielle. L’année suivante, ce sont les premiers films de Krzystof Zanussi (Structure de cristal) et de Werner Schroeter (Eikka Katappa) qui côtoient en compétition Pierre Granier-Deferre, dont Archipel est le 26e long métrage… Si l’on ausculte les 49 premières éditions de la section, on n’est donc pas étonné de découvrir qu’elle tient la corde au tableau d’honneur de la Caméra d’or avec 15 prix (et 8 mentions spéciales, datant de l’époque où cela était encore autorisé), à égalité avec Un Certain regard (15 prix, mais seulement 2 mentions) et devant la Semaine de la Critique (11 prix, 5 mentions) dont c’est pourtant la vocation première de découvrir de nouveaux cinéastes.
Parmi les films récompensés, citons par exemple Salaam Bombay! de l’Indienne Mira Nair en 1988, Toto le héros de Jaco van Dormael en 1991, Petits arrangements avec les morts de Pascale Ferran en 1994, Un temps pour l’ivresse des chevaux de Bahman Ghobadi en 2000, Année bissextile de Michael Rowe en 2010, Divines de Houda Benyamina en 2016… mais aussi certains lauréats qui ont été un peu oubliés, comme Desperado city de l'acteur allemand Vadim Glowna (1981) qui a ensuite beaucoup tourné pour la télévision, et notamment la série policière allemande Le renard, ou Slam de Marc Levin, couronné en 1998. La petite dernière des sections parallèles a en effet su parfois choisir des œuvres « ovni », ou restées exceptionnelles dans la carrière de leur réalisateur. On pense notamment au premier et unique long métrage de Barbara Loden, Wanda, véritable miracle cinématographique, sélectionné en 1971, ou Renaldo and Clara, un long métrage de 3h52, signé Bob Dylan (1978), réunissant entre autres Allen Ginsberg, Harry Dean Stanton, Joan Baez et Roberta Flack, et qui restera le seul du chanteur. Mais elle a aussi indéniablement eu du flair pour révéler des cinéastes devenus incontournables, à Cannes comme ailleurs, à l’image de George Lucas (THX 1138 en 1971), Jim Jarmusch (Stranger than paradise en 1984), Michael Haneke (Le 7e continent en 1989), Jafar Panahi (Le ballon blanc en 1995), Naomi Kawase (Suzaku en 1997), Abderrahmane Sissako (La vie sur terre en 1998), Lee Chang-dong (Peppermint candy en 2000), Carlos Reygadas (Japon en 2002), Alain Guiraudie (Pas de repos pour les braves en 2003) ou encore Xavier Dolan (J'ai tué ma mère en 2009).
On peut aussi s’amuser à reconnaître des tendances au fil des éditions. La Quinzaine est par exemple réputée pour avoir montré les premiers films de nombreux acteurs américains passés derrière la caméra, comme Sean Penn (The indian runner, 1991), Tim Robbins (Bob Roberts, 1992), John Turturro (Mac, 1992, récompensé d’une Caméra d’or), Steve Buscemi (Trees lounge, 1996), Angelica Huston (Agnes Browne, 1999) ou encore Ethan Hawke (Chelsea Walls, 2001). Elle a également été à la pointe de la « Nouvelle vague roumaine » en sélectionnant Cristi Puiu en 2001 avec Marfa si banii (Le matos et la thune), Cristian Mungiu en 2002 avec Occident et Corneliu Porumboiu en 2006 avec 12:08 à l’Est de Bucarest. Citons enfin tout azimut des films et des auteurs qui ont marqué l’histoire de la Quinzaine à des degrés divers : Virgin suicides de Sofia Coppola (1999), Voyages d’Emmanuel Finkiel (1999), Haut les cœur de Sólveig Anspach (1999), Le bleu des villes de Stéphane Brizé (toujours 1999, décidément une excellente année), Billy Elliott de Stephen Daldry (2000), Les heures du jour de Jaime Rosales (2003), Tarnation de Jonathan Caouette (2004), Douches froides d’Antony Cordier (2005), Tout est pardonné de Mia Hansen Love (2007), Control de Anton Corbijn (2007), Caramel de Nadine Labaki (2007), Daniel et Ana de Michel Franco (2009)…
Sans oublier les années les plus récentes, durant lesquelles la Quinzaine a su miser sur une nouvelle génération de cinéastes comme Katell Quillévéré (Un poison violent, 2010), Alice Rohrwacher (Corpo celeste, 2011), Marcela Said (L’été des poissons volants, 2013), Antonin Peretjatko (La fille du 14 juillet, 2013), Damien Chazelle (Whiplash, 2014), Chloé Zhao (Les chansons que mes frères m’ont apprises, 2015)… et quelques films-phare tels que Les combattants de Thomas Cailley (2014), Mustang de Deniz Gamze Ergüven (2015), Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Galienne (2013) ou Ernest et Célestine de Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier (2012). Cette année, deux premiers longs métrages sont une fois encore de la partie : Carmen y Lola de Arantxa Echevarria et Joueurs de Marie Monge. Le jeu continue, le plaisir de la découverte aussi. En attendant de savoir ce que deviendront ces deux nouvelles réalisatrices, concluons cette promenade dans les premiers longs métrages mis en lumière par la Quinzaine avec une sélection très resserrée de 5 films (un par décennie) qui ont marqué leur époque, l’histoire de la quinzaine et celle du cinéma.
Les années 70 : THX 1138 de George Lucas (1971)
On ne présente plus le chef d’œuvre de SF qu’est THX 1138. AU XXVe siècle, les êtres humains vivent dans un monde souterrain régi par des règles très strictes. Tous les individus portent des numéros de matricule, sont vêtus de la même manière, et passent leur existence sous le regard implacable des caméras de surveillance. Pour eux, la routine se décompose en tranquillisants (administrés de force), boulot (rébarbatif) et dodo (artificiel). Dans cette société totalitaire et coercitive, THX 1138 et LUH 3417 commettent l’irréparable : ils s’aiment et ont une relation sexuelle pourtant formellement interdite. Impossible de ne pas penser à George Orwell et à 1984 à la vision de cette dystopie cruelle où les êtres humains ne sont plus que les rouages abêtis d’une société où les machines (et donc la technique) ont pris le dessus. A l’opposée de la plus célèbre des sagas interplanétaires imaginées par Lucas moins de 10 ans plus tard, THX 1138 brille par son minimalisme et son épure (ah, ces décors uniformément blancs où se perdent les personnages…), et par une narration quasi inexistante. Le cinéaste y flirte avec le cinéma expérimental tout en proposant une version déformée et terrifiante de notre propre société accro aux programmes télé et aux psychotropes.
Les années 80 : Stranger than paradise de Jim Jarmusch (1984)
Le premier long métrage de Jim Jarmusch (qui est en réalité le deuxième, après son film de fin d’études Permanent Vacation), est resté dans les mémoires comme celui qui lança le cinéma indépendant américain. Difficile d’en raconter l’histoire, comme le confesse Jim Jarmusch lui-même : "il est plus facile de parler du style du film que de « ce qui s’y passe » ou de « quoi ça parle »." Essayons quand même : Eva, 16 ans, quitte la Hongrie et retrouve son cousin Willie, installé depuis 10 ans aux Etats-Unis. Ensemble, et flanqués d’Eddie, le copain de Willie, ils partent à la découverte de la Floride, prétendu paradis qui cristallise en lui les derniers espoirs des personnages. L’image en noir et blanc est précise, les cadres travaillés et fixes, le ton ironique et pince-sans-rire. Jim Jarmusch, sous l’influence de Ozu, propose une œuvre singulière et dense qui aligne les saynètes irrésistibles. « Je voulais faire un film très réaliste au niveau du jeu des acteurs et des lieux de tournage, sans trop attirer l’attention sur le fait que le récit est situé au présent » explique le cinéaste. Banco, le film marqua toute une génération de cinéphiles, et rafla par la même occasion une très logique Caméra d’or.
Les années 90 : Le ballon blanc de Jafar Panahi (1995)
Jafar Panahi est devenu un tel symbole de la résistance face à l’oppression et la censure qu’il faut faire un véritable effort d’imagination pour se le représenter à Cannes il y a plus de vingt ans, présentant son premier film à la Quinzaine des réalisateurs. Il s’agissait alors du Ballon blanc, l’histoire de Razieh, une petite fille qui veut acheter le plus beau poisson rouge pour la nouvelle année. Mais elle ne cesse d’égarer le billet que lui a confié sa mère. Sa quête pour le récupérer sera l’occasion de croiser un soldat qui arrive de la frontière afghane, un tailleur originaire d'une région proche de l'Azerbaïdjan, une vieille dame d'origine polonaise, un vendeur de ballons afghan… Comme dans le vrai-faux Taxi conduit par le cinéaste vingt ans plus tard, c’est le monde qui défile ainsi sous les yeux de la petite fille, et lui apporte quelques leçons de vie. A commencer par la nécessité d’aller se faire sa propre idée sur le monde qui nous entoure ! Avec Abbas Kiarostami au scénario, et Pahani à la réalisation, Le ballon blanc s’inscrit alors dans la lignée d’un cinéma iranien qui dit beaucoup avec très peu. Là encore, les différents jurys ne s’y trompèrent pas qui lui décernèrent, outre une caméra d’or, le prix de la presse internationale et celui de la confédération des cinémas d’art et d’essai.
Les années 2000 : J’ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009)
Un cinéaste est né : Xavier Dolan, vingt ans, conquiert la planète cinéma avec un seul film, le portrait fulgurant, plus fantasmé qu’autobiographique, d’un adolescent qui ne supporte plus sa mère. Entouré de ceux qui deviendront ses comédiens fétiches (Anne Dorval, Suzanne Clément, Niels Schneider…), le cinéaste tient lui-même le rôle principal, et signe l’un des films les plus impressionnants de l’édition cannoise 2009. Cette chronique intime et cruelle, audacieuse et référencée, déborde de style mais aussi d’émotion. Mère et fils semblent fonctionner comme un vieux couple en roue libre qui se débat en vain face à l’impossibilité de se quitter. Le regard de Xavier Dolan est déjà acéré, sa mise en scène aussi. La Quinzaine peut se vanter d’avoir découvert le cinéaste le plus talentueux de sa génération, qui deviendra le parfait « abonné » cannois.
Les années 2010 : Mustang de Deniz Gamze Ergüven (2015)
C’est en apnée qu’on traverse le premier film de Deniz Gamze Ergüven, ancienne de la Fémis, qui nous entraîne dans le quasi huis clos d’une maison qui deviendra peu à peu une prison, une salle de torture et un tombeau. Ses cinq héroïnes, cinq sœurs adolescentes soumises à l’autorité étouffante de leur oncle, s’y retrouvent en effet confinées de plus en plus étroitement, à mesure que les murs sont littéralement rehaussés autour d’elles. Comme une parfaite métaphore de la Turquie conservatrice du président Erdogan pour qui les femmes devraient se consacrer à la maternité, et donc en gros, rester à la maison. La croisette toute entière a frémi devant cette tragédie en forme d’hymne à la liberté et à la résistance, et Mustang sera choisi pour représenter la France dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger. Nominé, le film échoue (derrière Le fils de Saul de Laszlo Nemes) mais sera plus chanceux aux César avec celui du meilleur premier film et du meilleur scénario original (co-écrit avec Alice Winocour). Joli coup pour la Quinzaine qui, une fois de plus, a déniché le film dont le monde parle.