Oscars, quotas européens, expansion internationale: Netflix mise sur le « glocal »

Posté par vincy, le 2 octobre 2018

De global, Netflix devient "glocal". La compagnie californienne continue de s'étendre. Tout d'abord à Paris. La société a annoncé la semaine dernière la réouverture d'une antenne parisienne (deux ans après sa fermeture). Cela va commencer avec trois nouvelles séries françaises, quatre films "originaux" et un documentaire. Jusque là, Netflix a produit la série en deux saisons Marseille, et développe avec Capa Drama la série Osmosis, avec Hugo becker et Agathe Bonitzer, et la sitcom Plan cœur, réalisée par Noémie Saglio (Connasse, princesse des cœurs) et Renaud Bertrand, et interprétée par Zita Hanrot, Sabrina Ouazani et Joséphine Draï.

De nouveaux projets

Netflix, qui avait promis de développer son offre française il y a quelques mois, a confirmé ses projets: la sitcom Family Business de Igor Gotesman (Five), sur l'ouverture d'un premier coffee shop en France, la série horrifique Marianne, coécrite par Samuel Bodin et Quoc Dang Tran (Dix Pour Cent, Nox) et la série Vampires, d'après le livre de Thierry Jonquet.

A cela s'ajoute quatre films: Banlieusards de Kery James et Leila Sy, avec Bakary Diombera, Jammeh Diangana et Kery James ; La Grande Classe, de Rémy Four et Julien War avec Jérôme Niel ; la romance Paris et une fête d'Elisabeth Vogler, avec Noémie Schmidt, Grégoire Isvarine et Lou Castel ; le docu Solidarité, de Stéphane de Freitas (À voix haute).

Sans oublier, la nouvelle version d'Arsène Lupin, avec Omar Sy dans le rôle du gentleman cambrioleur dans une série qui vise un public mondial.

Un ancrage local

Déjà installée à Londres et Amsterdam, Netflix va donc revenir à Paris, pour mieux se rapprocher de ses 3,5 millions d'abonnés (la plateforme en comptabilise 130 millions dans le monde). Après l'annonce d'une base de production à Madrid il y a trois mois, portée par le carton mondial de La Casa del Papel et par l'ambition d'inonder l'Amérique latine de productions hispanophones, Netflix a également révélé le 1er octobre qu'un quatrième bureau en Europe serait ouvert dans la capitale espagnole. Là encore il s'agit de se rapprocher de ses abonnés en leur offrant un contenu local, et exportable. La Casa del Papel est la série non-anglophone la plus vue de l'histoire de la plateforme dans le monde, au point de commander une troisième saison, exclusivement pour Netflix.

La bonne nouvelle c'est que la compagnie va reverser une part de ses revenus au système de production français et espagnol (2% en France), comme tous les diffuseurs.

Une grosse vague de concurrents

Cette stratégie anticipe sans doute le déferlement de concurrents (Salto pour les Français France Télévisions-TF1-M6, Disney et Hulu, Nordic 12 par les TV publiques scandinaves, etc...). D'autant que France Télévisions a récemment déclaré qu'elle ne cèderait plus les droits de ses programmes à Netflix (actuellement on peut y voir Dix pour Cent par exemple). Les fournisseurs de contenus de Netflix deviennent ses concurrents. Autant produire soi-même ses contenus dans ce cas. Car, en plus de cela, la législation européenne veut imposer un quota de 30% de programmes européens pour les plates-formes de streaming (et en cas de Brexit dur, est-ce que ça comprendra les productions britanniques?).

Mais Netflix est confronté à un autre problème. La guerre avec le Festival de Cannes, qui ne veut plus mettre en compétition des films qui ne seront pas projetés en salles, et la polémique avec le Festival de Venise, où Roma d'Alfonso Cuaron a remporté le Lion d'or alors qu'il ne sera peut-être pas diffusé au cinéma, montrent les crispations du secteur contre la plateforme. Avec ou sans chronologie des médias, les exploitants de plusieurs pays voient en Netflix un ennemi. La plateforme l'a bien compris, tout comme elle a saisi que les Oscars ne changeraient pas leur règlement, obligeant un film qui veut concourir à être projeté à New York et Los Angeles avant le 31 décembre.

Des films Netflix en salles (sauf en France)

Netflix met donc de l'eau dans son vin. Déjà avec Okja, la Corée du sud avait réussi à imposer une sortie en salles. Ce sera aussi le cas de Wolf Brigade. Le film 22 July, de Paul Greengrass, en compétition à Venise et prévu pour le 10 octobre sur Netflix, sera finalement lancé dans une centaine de salles dans le monde, notamment dans les grandes villes américaines, malgré le refus des réseaux AMC et Regal. Il sortira aussi dans les pays scandinaves le 4 octobre pour une semaine d'exploitation, mais également à Toronto, au Royaume Uni, en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Benelux et en Pologne.

Même procédé avec le nouveau film de Tamara Jenkins, Private Life, qui sera distribué dans une vingtaines de salles (New York, Los Angeles, Londres, Toronto...). Le nouveau film des frères Coen, The Ballad of Buster Scruggs, le film achevé d'Orson Welles, The Other Side of the Wind, et le film de David Mackenzie, Outlaw king, pourraient bénéficier de la même stratégie. Tout comme Roma afin qu'il puisse être nominable aux Oscars.

Cela ne changera rien pour la France. Hormis les festivals qui peuvent diffuser les films Netflix - ce sera le cas de Lumière à Lyon qui proposera le Orson Welles comme le Alfonso Cuaron -, la chronologie des médias, y compris celle qui est actuellement en discussion, empêche des sorties simultanées en salles et SVàD. Avec une victime: le cinéphile.

Venise 2018 : les Oscars dans le viseur, Netflix sur le tapis rouge

Posté par kristofy, le 30 août 2018

Le Festival de Venise, alias la 75ª edizione della Mostra internazionale d'arte cinematografica, s'est ouvert avec comme rampe de lancement un film prestigieux en ouverture : First Man de Damien Chazelle (oscarisé pour la mise en scène de La la Land, qui ouvrait Venise il y a deux ans), venu pour cette première mondiale accompagné de Ryan Gosling, Claire Foy, Olivia Hamilton, et le scénariste Josh Singer (déjà oscarisé pour Spotlight).

La place de Venise sur le calendrier en septembre, en parallèle du Festival de Toronto et celui de Telluride, le confirme de plus en plus comme un "lanceur" pour la saison des prix. Certains studios dévoilent des productions oscarisables dans ce seul objectif, dédaignant de plus en plus le Festival de Cannes. L'année dernière il y avait eu ainsi La forme de l'eau de Guillermo del Torro (Lion d'or, et président du jury 2018), récompensé quelques mois plus tard par 4 Oscars dont ceux de meilleur film et du meilleur réalisateur, et Three Billboards: Les Panneaux de la vengeance, Oscar de la meilleure actrice et du meilleur second-rôle masculin. Et on remonte plus loin avec avant Premier contact, Jackie, Birdman, The Master, Black swan..

First Man de Damien Chazelle a été apprécié à la fois pour ces scènes d'actions spatiales et pour le drame humain et familial du héros. On se doute qu'il aura une nomination quelque part aux Oscars.

Mais c'est une tout autre question qui agite le Lido : Netflix impose une large présence au Festival de Venise avec 6 films (en compétition ou pas). Sous le label de la plateforme de streaming, persona non grata de la compétition cannoise, on verra donc notamment en compétition trois films Netflix: Roma de Alfonso Cuarón (son nouveau film sans aucune star depuis les 7 Oscars de Gravity), The Ballad of Buster Scruggs des frères Coen (série remontée en film), et 22 July de Paul Greengrass (à propos des attentats d'Oslo et d'Utoya de 2011).

On verra aussi The Other Side of the Wind , dernière oeuvre posthume de Orson Welles (dont le montage arrive 40 ans après sa mort) et le documentaire They'll love me when I'm dead de Morgan Neville (d'ailleurs oscarisé en 2014). Alberto Barbera, le responsable de la sélection de Venise, n'a d'ailleurs pris aucune position particulière à propos de ces films qui ne seront pas visible en salles : il s'agit d'observer le cinéma qui est dans une période de changements et qu'un Festival avait pour rôle de programmer pas des films, sans se préoccuper de leur distribution... "Je ne vois aucune raison d’exclure de la compétition du festival un film de Cuaron ou des frères Coen uniquement parce qu’il a été produit par Netflix" a-t-il déclaré. Venise bénéficie surtout d'un avantage sur Cannes: en Italie il n'y a aucune chronologie des médias contraignante, contrairement à la France. Evidemment, les organisations professionnelles ont critiqué cette prise de position.

Mais l'affaire va plus loin. Le film italien Sulla Mia Pelle d'Alession Cremonini, prévu pour faire l’ouverture de la section Horizon, sortira dans les salles italiennes le 12 septembre, en même temps que sa mise en ligne sur Netflix. Les distributeurs accusent le Festival de favoriser une major américaine au détriment des professionnels locaux, très fragiles.

Du côté Netflix, il y a aussi plusieurs titres encore à Toronto comme Hold the dark de Jeremy Saulnier.

Alors que Cannes avait statué (pas de Netflix en compétition) tout comme Steven Spielberg ("once you commit to a television format, you're a TV movie"), le débat va continuer. Un film Netflix pourrait gagner un Lion d'or à Venise ? peut-être un Oscar ? Cette année la campagne Netflix est en tout cas lancée... L'enjeu n'est pas simplement la reconnaissance par une statuette (et de ses divers bénéfices en dollars) : Netflix cherche à conforter sa position temporaire de leader du streaming, car Disney prépare son offre concurrente DisneyPlay (avec les films Disney, Pixar, la franchise Star Wars, les super-héros Marvel, et aussi tout le catalogue de la Fox racheté pour cela). Dans cette guerre à la captation d'abonnés il faut s'attacher des talents, comme Alfonso Cuarón, les frères Coen ou Paul Greengrass. D'autant que, hormis Okja, ses films n'ont pas encore tout a fait été convaincants, contrairement aux docus et aux séries.

Tout comme dans First Man de Damien Chazelle en ouverture avec Neil Armstrong envoyé sur la Lune : ce qui compte vraiment c'est d'être le premier à planter son drapeau.