Ce n’était pas dans la rubrique cinéma. Il s’agissait juste de la une de Courrier International. « Iran : Pourquoi la révolution n’a pas eu lieu (pas encore) ». Quel rapport avec le 7e Art ? Il faut revenir au festival de Cannes. Ouverture de la sélection Un certain regard par le film Les chats persans, de Bahman Ghobadi. Le film recevra un prix spécial par le jury.
Bahman Ghobadi, Caméra d’or en 2000 pour Un temps pour l’ivresse des chevaux, est un des cinéastes les plus représentatifs de la Nouvelle vague du cinéma iranien, celle qui délaisse les allégories poétiques pour privilégier un regard plus social et réaliste. Dans un entretien à Télérama, il s’explique sur ce style plus radical. « J’ai laissé de côté les considérations esthétiques, raconte Ghobadi. Il était temps de foncer et de montrer la société iranienne. Le cinéma iranien s’est trop affadi ces dernières années en essayant de composer avec la censure. On avait peur de faire des films. Les techniciens et les acteurs refusaient de tourner si on n’avait pas d’autorisation gouvernementale. Tout est contrôlé, alors que le pays bouge et que les sujets de films sont innombrables. C’est pour ça que dès qu’on m’a suggéré de faire un film sur les musiciens, je me suis lancé. Dans la clandestinité. »
Ghobadi, primé dans de nombreux festivals du monde entier avec ces cinq longs métrages, n’est pas le bienvenu dans son propre pays. Ses films ne sont pas autorisés par les autorités islamiques. Dans Les chats persans, il démontre, avec une scène qui fait rire jaune l’absurdité du discours des Censeurs.
Si le film, en tant qu’œuvre cinématographique, subit son scénario puzzle, il devient, en tant qu’œuvre politique, une fiction documentaire incontournable. Les récents événements en Iran montrent à quel point la tragédie des Chats persans résonne avec justesse. Dans ce film, la musique « underground », du punk au hip-hop en passant par le rock alternatif, est souvent interdite sous le seul prétexte que ces chants persans sont en anglais. Cette jeunesse iranienne, en écho à la jeunesse chinoise évoquée par Lou Ye dans son film sur la répression de Tian An Men, résiste déjà à sa manière : soirées, concerts, chansons… et l’exil quand tout devient insupportable, quand les séjours en prison se multiplient. A peine remis de a dépression nerveuse, Bahman Ghobadi vient lui-même d’être arrêté et incarcéré avant d’être libéré, tandis qu’il revenait, à ses risques, dans son pays (voir actualité du 11 juin).
Finalement le film de Ghobadi montrait déjà les raisons de la colère iranienne, les moyens de sa résistance (Internet, le bouche à oreille…), l’aspiration à s’exprimer librement comme objectif fondamentaliste. L’arrestation du réalisateur prouvait par la même occasion que le régime iranien ne supportait pas cette liberté de parole. Le résultat est évidemment l’inverse de ce qu’ils souhaitaient. Ces tyrans prouvent qu’il est légitime de se battre contre une tel dictat, qu’ils répriment aveuglément toute opposition.
Les Occidentaux, pour un coût raisonnable, celui d’une place de cinéma, peuvent ainsi afficher leur solidarité en allant voir (et écouter) le mélancolique film de Ghobadi. En France, il faudra attendre le 23 décembre. Drôle de date, si lointaine alors que les événements sont si proches. Car, d’ici là, l’Iran aura peut-être versé beaucoup trop de sang. Ils découvriront un Iran moderne, jeune, musical mais, hélas, désenchanté.