Vesoul 2017 : Un vent sombre sur les ravages de la guerre en Irak

Posté par kristofy, le 10 février 2017

reseba the dark wind

Le Festival des Cinémas d'Asie de Vesoul se déroule jusqu'au 14 février, et les multiples salles de projections sont remplies de festivaliers fidèles et nouveaux : c'est le plus ancien (et le seul) festival à programmer des films de l'ensemble du continent asiatique (certes très vaste).

Pour une rétrospective inédite «Les Maîtres du cinéma sri lankais», les organisateurs sont partis sur place pour aller dénicher des copies de films qui, pour la plupart, n'avaient jamais été montrées en Europe comme par exemple The Hunt de 1983 par Vasanta Obeysekere. Idem pour des perles rares du «Regard sur le cinéma géorgien» avec La Belle-mère de Samanichvili de 1978 de Edgar Shengelaia...

Le thème de la famille avec ses douleurs intimes, comme le deuil, ou ses questions de société, comme l'avortement, imprègne beaucoup les longs-métrages de fictions en compétition officielle en provenance de Chine, Corée du Sud, Indonésie, Japon, Taiwan, Inde, Iran, et Irak.

Et c'est d'ailleurs un film d'Irak, plus précisément du Kurdistan irakien, qui vient de faire forte impression en compétition car il met en images une actualité brulante : les attaques au nom de l'Etat Islamique avec des enlèvements de jeunes femmes Yazidies qui sont revendues comme esclaves sexuelles... Reseba - The Dark Wind de Hussein Hassan, après une première partie pas totalement convaincante, se focalise ensuite sur le retour de l'une de ses femmes, finalement ramenée vers sa famille dans un camps de réfugiés : ce retour étant davantage le véritable sujet du film, l'émotion devient palpable. Celle que l'on avait découvert rayonnante et promise à un mariage avec un homme qu'elle aime est devenue moins que l'ombre d'elle-même, mutique et spectrale. Le traumatisme de cette femme que l'on devine, le regard des autres sur elle, le désarroi de ses parents et de celui qui souhaitait se marier avec elle : en se concentrant sur une femme victime et ses relations douloureuses autour d'elle The Dark Wind réussit à aborder les conséquences d'une guerre toujours actuelle...

C'est Mehmet Aktas le co-scénariste et aussi producteur du film qui est venu à Vesoul en parler : « On travaillait sur un nouveau projet avec Hussein Hassan qui était en pré-production mais des attaques de DAESH ont tout changé. Il y avait environ 500 000 réfugiés Yazidis dans la région où on était, et comme on avait aussi une expérience de documentariste l'idée d'un documentaire a fait son chemin, mais quasiment aucune femme ne voulait apparaître devant la caméra. On s'est inspiré plus de l'histoire de l'une d'entre elle pour faire ce film de fiction The Dark Wind. On a en particulier trois acteurs professionnels, le fiancé, l'héroïne, et sa mère. Les autres personnages sont joués par des vrais réfugiés, on a tourné dans le lieu réel d'un camps de réfugiés. »

Moyen-Orient (2/4) : en Irak, le cinéma essaie de renaître…

Posté par vincy, le 6 juin 2010

De tous les pays du Moyen-Orient, si l'on excepte l'Iran, le cinéma irakien  longtemps été le plus dynamique. Mais voilà, depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les salles sont fantomatiques, la fréquentation anémique, et l'idée même d'aller au cinéma est considérée comme une subversion (voire une perversité).

Il ne reste que cinq salles de cinéma, en mauvais état, en Irak : trois à Bagdad et deux au Kuridistan. Avant 2003, il y en avait 20 dans la capitale et une trentaine dans le reste du pays.

Comme des cinémas X à l'abandon, ces salles ont des sièges défoncés, des écrans usés,sans compter les néons toujours allumés pour défier les coupures d'électricité. Souvent les copies sont des DVD piratés de qualité médiocre. Il faut dire qu'une copie 35 mm est hors de prix pour ce pays à l'économie ravagée. Pour attirer les spectateurs, les propriétaires n'hésitent pas à montrer des affiches de (vieux) films avec ces actrices occidentales dans des tenues très échancrées. Ce qui nourrit l'accusation envers les spectateurs d'y aller pour assouvir leurs penchants pervers (voir des femmes nus ou des films à tendance homosexuelle).

Pire, les irakiens n'ayant plus l'habitude d'aller au cinéma, le désir a disparu. Surtout, les irakiens ont peur de se rassembler dans des lieux publics, à cause des attentats, qui ont notamment eu raison de la dernière salle de Bassora.

La télévision, les DVD pirates, les chaînes par satellite ont comblé le vide. On peut cependant espérer que les choses vont changer. Une salle de cinéma légendaire pourrait réouvrir, le Sémiramis, grâce à une initiative de deux nostalgiques. Ils diffuseraient des films égyptiens, des pièces de théâtre comiques...

De même, et on l'a vu récemment au Festival du Film du Golfe de Dubaï (voir actualité du 1er juin), le cinéma irakien, aidé par des capitaux souvent anglais, des jeunes cinéastes et documentaristes émergent avec la volonté de donner un regard singulier sur ce que leur pays est devenu...

Moyen-Orient (1/4) : le cinéma essaie de se faire une place

Posté par vincy, le 1 juin 2010

kick off shawkat amin korki the city of life ali moustafaEn avril se tenait le Festival du film du Golfe, à Dubaï. A ne pas confondre avec le Festival International du film de Dubaï qui se déroule en décembre.

Là, 112 films de la péninsule arabique, incluant l'Irak, ont été projetés lors de cette troisième édition. Une gageure tant le cinéma a longtemps été incompatible avec les dogmes religieux imposés par la plupart des Etats. En Arabie Saoudite, les salles de cinéma sont même interdites et les festivals de cinéma sont annulés par le gouvernement (voir aussi actualité du 9 août 2009).

A l'inverse, l'Irak a longtemps eu un cinéma dynamique. Pas étonnant que 9 des 13 prix décernés lors de la manifestation aient récompensé des films irakiens, avec le premier prix du long métrage pour Kick Off, de Shawkat Amin Korki. Le film évoque la vie des réfugiés dans le Kurdistan irakien.

Au total sept longs métrages de fiction étaient en compétition, venus d'Arabie Saoudite (Hidden Evil, de Mohammad Helal), de Bahrein (The Last days of Yousif, de Mohammed Janahi et Longing, de Hussein Al-Hulaybi), d'Irak (Tungled Up in Blue, de Haider Rashid) ou des Emirats Arabes Unis (The Curse of the Devil, de Maher Al-Khaja)

Parmi l'ensemble de la programmation, le Festival a permis de distinguer des cinémas méconnus : le réalisateur Émirati Ali Moustafa (La cité de la vie, allégorie sur le métissage de Dubaï à travers trois personnages, un Émirati, une Européenne et un Indien, prix spécial du jury) ; la cinéaste Saoudienne Reem al-Bayyat (La poupée, sur le mariage forcé des adolescentes) ; sa jeune collègue Omanaise Muzna al-Musafir (Niqab, mettant en scène une femme voilée qui se prépare à un rendez-vous amoureux, 2e prix dans la catégorie court métrage documentaire étudiant) ; ou encore les étudiantes Émiraties Maitha Hamdan et Maryam ben Ali qui ont montré sous forme documentaire le problème de dot lors des mariages.

Cinéma émergeant, au regard singulier, toujours un peu trop cloisonné, il n' a pas encore la chance de se propager dans le monde. En France, les cinéphiles ont parfois accès à des films Syriens ou Irakiens. Selon le cinéaste marocain Jillali Ferhat, président du jury du Festival, "les idées sont là, même s'il n'y a pas encore assez de maîtrise des outils cinématographiques, notamment le montage et les dialogues."

Le Festival a rendu hommage à l'acteur  Irakien Khalil Shawki, à l'actrice Émiratie Raziqa Al Tareshand et à la star koweitienne Hayat Al Fahad. Deux focus étaient dédiés au vidéaste français François Vogel et au cinéma bulgare.

Proche-Orient : que peut le cinéma ?

Posté par MpM, le 3 décembre 2009

Proche-Orient : que peut le cinémaPlacer le cinéma au cœur d’une démarche d’information, de sensibilisation et de dialogue autour d’une question aussi sensible que celle du Proche Orient, tel est le défi lancé depuis 2003 par le festival biennal "Proche-Orient : que peut le cinéma ?" dont la 4e édition se tient jusqu’au 13 décembre prochain au cinéma les 3 Luxembourg (Paris 6e).

Au programme, 50 films inédits venus d’Israël, de Palestine, du Liban, d’Irak ou encore d’Iran et s’articulant autour de grands thèmes comme Gaza, les Etats-Unis et la guerre en Irak, la colonisation, ou les femmes au Proche-Orient. Chaque soir, un débat correspondant au thème du jour est par ailleurs proposé au public en partenariat avec le Monde diplomatique.

Dans la sélection (qui mêle courts et longs métrages, documentaires et fictions), on conseille vivement Les chats persans de Bahman Ghobadi, qui en s’intéressant aux nombreux musiciens underground de la ville de Téhéran, ausculte le malaise d’une jeunesse iranienne sur le point d’étouffer. Plusieurs documentaires retiennent également l’attention, à commencer par Gaza-Strophe, le jour d’après, réalisé à Gaza le lendemain du cessez-le-feu et Jesusalem the East side story, une somme de témoignages et d’images d’archives au sujet de la politique israélienne de confiscation de la terre et des biens des habitants de Jérusalem-Est.

En espérant qu’à l’issue de ces douze jours de rencontres et de partages, les festivaliers donnent un début de réponse à la question posée par la manifestation. Proche-Orient : que peut le cinéma ? Montrer que le dialogue est toujours possible.

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Festival "Proche-Orient : que peut le cinéma ?"
Du 2 au 13 décembre 2009
Cinéma Les 3 Luxembourg
Programme et informations sur le site du festival

Le cinéma irakien émerge timidement des cendres…

Posté par vincy, le 25 octobre 2009

son of babylon

Le cinéma irakien est, logiquement, dans un état lamentable. Oh il n'a jamais été vraiment brillant. Les cinémas turc, kurde, et bien sûr iranien lui ont fait de l'ombre. Le pays a produit moins de cent films dans toute son histoire. Une trentaine de cinéastes seraient en activité. En France, Hiner Saleem est le plus connu actuellement. Beaucoup sont en exil.

Récemment, le cinéaste Mohammed al-Daradji a présenté au Festival du film d'Abou Dhabi son deuxième long-métrage, Le fils de Babylone (photo). Il en a profité, comme tous ses confrère, pour demander un "plus grand soutien à l'industrie du cinéma en Irak afin de surmonter la culture de la violence".

"Je n'ai reçu aucune aide d'Irak, nous avons obtenu l'aide d'ailleurs" ajoute-t-il. Il s'agit d'une coproduction entre l'Irak, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la France, la Palestine et les Emirats arabes unis. C'est à ce cinéaste que l'on doit le premier film trounée en Irak après la seconde invasion américaine. Ahlam (Rêves) était sorti en 2005.

Dans un autre festival, celui de Pusan, le plus international des festivals de films en Asie, Shawkat Amin Korki était fier de projeter son premier film irakien arès plus de vingt ans d'exils. Kick off était sélectionné pour le prix Nouveaux Courants. Lui aussi a profité de la manifestation pour jouer les porte-voix. "Mon film est fini mais il n'y a aucun endroit où je peux le montrer. Tous les cinémas sont détruits et les gens ne veulent plus se rassembler, par peur du danger." Président du jury, jean-Jacques beinex lui a décerné le grand prix (ex-aequo) pour avoir "montré l'immense désir d'un peuple de vivre, son ingéniosité et son esprit combattif."

Si le cinéma d'Irak réemerge, avec au coeur de sa thérapie de reconstruction, la guerre et ses ravages, il n'est pas encore viable économiquement et va devoir aller chercher son public autrement que par le désir d'aller au cinéma. Les attentats, les incidents ethniques, l'instabilité permanente du pays et sa violence effarante ont pour l'instant toujours raison d'un épanouissement culturel qui reste utopique. Seule la souffrance semble commune : ce que les cinéastes veulent d'ailleurs montrer.

Standard operating procedure : indispensables témoignages

Posté par MpM, le 23 septembre 2008

blog_standard.jpgL'histoire : Suite au scandale ayant éclaté dans la prison américaine d’Abu Ghraib, où des prisonniers irakiens avaient été maltraités et humiliés, le réalisateur Errol Morris donne la parole aux principaux soldats impliqués, afin de comprendre comment ils ont pu en arriver là.

La critique : Récompensé par un Ours d’argent au dernier festival de Berlin, Standard Operating Procedure a forcément quelque chose de salutaire puisqu’il ose aborder sans tabou la question des maltraitances et humiliations dans les prisons américaines. Errol Morris fait ainsi défiler devant sa caméra soldats impliqués et enquêteurs chargés de l’affaire, dont les témoignages édifiants se suffisent à eux-mêmes. On perçoit notamment l’inconscience des coupables, qui apparaissent globalement décérébrés, et l’hypocrisie des experts, qui jouent sur les mots. Ainsi, ceux qui essaient de se dédouaner ont tendance à s’enfoncer (la jeune femme qui explique que si elle sourit et fait le signe de la victoire sur les photos de prisonniers nus, c’est parce qu’elle se comporte toujours ainsi quand on la photographie), tandis que les "explications officielles" font se dresser les cheveux sur la tête. En effet, le règlement fait une distinction très tendancieuse entre la procédure standard de "déstabilisation" des prisonniers (dénudés, attachés, masqués… afin d’être rendus plus "coopératifs") et les "actes de tortures condamnables". Pour n’importe quel observateur lambda, la frontière est si floue que l’on s’étouffe devant le "tri" réalisé par les hommes en charge de l’enquête… et les "coupables" n’en paraissent que plus pathétiques, malheureux boucs émissaires jetés en pâture au public.

Malheureusement, Errol Morris n’a pas été capable de s’en tenir là. Comme s’il se sentait obligé de montrer les images honteuses d’Irakiens en laisse ou en pyramides humaines qui ont circulé à peu près partout, il propose en alternance avec les témoignages des "reconstitutions" globalement de mauvais goût où l’on voit un homme mourir d’une crise cardiaque ou du sang couler sur un corps sans vie. On a beau retourner la question dans tous les sens, on ne voit pas du tout ce que ces séquences apportent à son propos, si ce n’est un lot bien inutile d’images-choc… peut-être pour contraster avec le côté relativement répétitif des témoignages ? Cette complaisance assumée, ajoutée à l’absence de réelle mise en perspective des faits, empêche le documentaire d’être aussi percutant qu’il ne l’aurait pu. Pour autant, cela ne suffit pas à brouiller le propos, ni surtout à justifier de faire l’impasse sur ce qui s’avère malgré tout un film indispensable.