[69, année érotique] Cannes 2016: Crash en 1996

Posté par vincy, le 15 mai 2016

Ah les années 1990! On aimait les scandales à Cannes. On aimait crier dans la salle, claquer du fauteuil, siffler de désapprobation, insulter par voie de presse. Cannes aimait, se complaisait?, chaque année prouver sa force destructrice en rejetant avec fracas un film palmable. Et Crash, de David Cronenberg, a été, à ce titre, symptomatique.

On se demande quand même ce qui dérange tant dans cette adaptation du livre de J.G. Ballard. Le fétichisme de la tôle froissée et de la mécanique? En mixant les fantasmes d'accident de voitures et de relations sexuelles (hétéros ou homos, à deux ou à trois), il y a quelque chose qui a troublé les festivaliers de 1996, assurément.

Lors de la projection, une grande partie des spectateurs est sortie de la salle. A la fin de la projection, le film est sifflé, chahuté, hué. Et quand le film reçoit quelques jours plus tard le Prix spécial du jury, ce fut une nouvelle bronca contre le film en pleine cérémonie. Le sexe est encore choquant, scandaleux. Et le film sera interdit au moins de 16 ans en France.

Les réactions furent en tout cas passionnelles. Les blessures, les plaies et les cicatrices sont autant de zones érogènes ou pénétrables. Le sperme lustre les voitures. Dans Crash, le couple mature tente de réveiller sa libido en respectant les codes convenus d'une société mais en associant la chair au métal, des corps mutilés mais encore en vie. On se souvient alors de la main de Deborah Kara Unger, avec son alliance, pleine du foutre d'un amant peu sympathique qui l'a baisée sur la banquette arrière, et qui cherche à toucher son mari, assis sur le siège avant.

Pas étonnant que la presse anglo-saxonne ait jugé le film dégradant, dépravé. Mais il eut aussi de fervents partisans et reste aujourd'hui encore, loin des huées cannoises, un des films les plus marquants sur un couple qui cherche à survivre entre Eros et Thanatos, et tétanos.

Les années Jajacobbi : Cannes 1996

Posté par vincy, le 23 mai 2014

mike leigh secrets and liesL'année culte

Ceux qui étaient à Cannes en 1996 se souviendront d'une bataille passionnelle entre partisans et opposants autour de deux films : Secrets et mensonges de Mike Leigh et Breaking the Waves de Lars Von Trier. Le premier repart avec la Palme d'or, le second avec le Grand prix du jury. Le président du jury Coppola a appliqué strictement le règlement : la Palme revient à un film qui peut toucher le plus grand nombre, le Grand prix récompense une audace.

C'est cruel de départager deux grandes oeuvres, transcendées par leurs comédiennes, signées de cinéastes au sommet de leur talent. Leigh a réalisé ce film dans l'improvisation, sans scénario. Il en ressort une histoire bouleversante. Von Trier a poussé ses comédiens jusqu'à leurs limites. L'expérience bouscule. Les deux déshabillent de leur caméra les secrets les plus enfouis, déchirent les cicatrices jamais guéries, entrainent leurs personnages dans les abîmes.

Tout se professionnalise à Cannes. Dans un an, Internet va faire son entrée : quelques journalistes web venus d'outre-atlantique, un site pour le Festival. En attendant, le cinéma s'offre une orgie aux saveurs variées : Ruiz, Desplechin, Russell, Lee, Altman, Kaurismaki, Taviani, Bertolucci, Cimino, Kaige, De Heer, Frears, Audiard... Le Crash de David Cronenberg fait scandale, mais lui permet d'acquérir ses lettres de noblesse. Le Fargo des frères Coen fait rire, et leur permet de se propulser dans la course aux Oscars. Daniel Auteuil s'offre un doublé avec le sensible film de Jaco Van Dormael, le Huitième Jour, et le polar trouble d'André Téchiné, Les voleurs, où Deneuve émeut en lesbienne. Le cinéma français est dans tous ses états avec le fabuleux documentaire Microcosmos et une ouverture pleine d'esprit, Ridicule. Miramax achète le film de Patrice Leconte pour un million de dollars, un record pour un film européen à l'époque.

C'est une année où l'amour est entier, qu'on soit blanc, noir, homosexuel, handicapé, mutilé, intellectuel, croyant... Un jeune comédien vient défendre The Pillow Book de Peter Greenaway à Un certain regard et Trainspotting de Danny Boyle hors compétition. Ewan McGregor était inconnu du public, le voici starisé par les montées des marches. L'acteur est brillant (et totalement nu) dans le film érotique de Greenaway, il est constamment juste dans le film générationnel de Boyle, qui deviendra culte, même si on a oublié qu'il a fait son avant-première internationale sur la Croisette.

Sans doute parce que 1996, c'est aussi l'année de Marcello, celui-là même qui sert d'icône au 67e Festival de Cannes qui s'achève dans deux jours. Mastroianni a présenté 25 films en sélection officielle, reçu deux fois le prix d'interprétation masculine. On ne le sait pas encore mais il fait cette année là son ultime montée des marche, avec sa fille, Chiara. Magique. La chaleur qu’il dégage efface la maladie qui le ronge. Il rejoindra Fellini à la fin de l'année. Eux qui avaient imaginé Le voyage de G. Mastorna, ce film jamais réalisé où un violoncelliste se retrouvait dans l'au-delà. Ciao Marcello.