Cannes 2019: désobéissance, violences, romances et déchéances en compétition

Posté par vincy, le 27 mai 2019

Il est temps de faire le bilan de ce 72e Festival de Cannes. Peu importante les récompenses ou même nos préférences, il s'agit de voir les tendances vers lesquelles les cinéastes ont voulu nous emmener cette année.

Dans une compétition finalement assez sombre, on remarque que les réalisateurs ont malgré tout choisi de nous donner un peu d'espoir ou, au minimum, emprunter au cinéma de genre les recettes du divertissement pour ne pas trop nous plomber. Car une chose est certaine: le monde tourne mal. Pas étonnant que mélancolie, amours contrariés, ou différentes addictions s'invitent dans ce tableau plus engagé que romanesque. Cela explique aussi pour quoi le cinéma de genre (avec parfois de surprenants artifices: ovnis, drones, plantes psychotropes, ...) a été formellement si utilisé, entre fiction du réel et anticipation des bouleversements.

Ultra-violence

Le sang a fusé à Cannes. Et les cadavres ne se comptaient plus à la fin du festival. Des zombies qui massacrent un bled normal de l'Amérique de Trump (The Dead d'on't Die), des gamins qui mettent le feu à leur banlieue (Les Misérables), des occidentaux un peu racistes qui s'apprêtent à "génocider" un village entier (Bacurau), une agression banale mais pas anodine (Sorry We Missed You), des crimes épouvantables pour sauver sa peau (Le lac des oies sauvages), un tir au pigeon sans pitié (Les siffleurs), une attaque, récidiviste, d'un gamin contre sa prof (Le jeune Ahmed), le final au lance-flamme d'un carnage annoncé (Once Upon a Time in Hollywood), la folie meurtrière des déclassés (Parasite), la série de meurtres et l'attentat terroriste de la Cosa Nostra (Le traître)...

Ce Festival n'était pas particulièrement bienveillant. Peu importe les motifs de tant de haine ou de sang versé, les cinéastes n'ont pas lésiné sur la violence. Décapitations (dans plusieurs films), coups de couteau, éventrement avec un parapluie, explosion d'autoroute, carnage canin, ... l'agressivité générale était palpable, comme pour mieux traduire le chaos qui nous entoure et la perte de repères qui nous envahit.

Avis de dépression

A ce monde sans pitié, s'ajoute un ennemi invisible mais omniprésent: le capital. Ce n'est pas le seul, mais celui-là est bien présent. D'ailleurs, le président du jury, Alejandro González Iñárritu, l'a bien indiqué: "le cinéma doit essayer d'élever la conscience sociale globale."

Pessimistes ou nihilistes, les réalisateurs en ont même souvent fait la cause majeure des dysfonctionnements de la société, des luttes de classes à la fracture sociale, de l'incapacité à vivre ensemble. C'est la métaphore des zombies dans un monde qui s'effondre (The Dead don't Die), l'impasse où s'affrontent flics et jeunes, dont le seul lien est la misère, dans une cage d'escalier (Les Misérables), l'exploitation économique révoltante des travailleurs (Sorry We Missed You), le franchissement de la ligne rouge hors de la loi (Le traitre, Le Lac des oies sauvages, Les siffleurs), l'affrontement idéologique entre deux populations antagonistes (Once Upon a Time in Hollywood, Une vie cachée), le radicalisme religieux contre l'esprit de tolérance (Le jeune Ahmed), la rage des femmes contre ceux qui ont poussé les hommes à fuir la pauvreté (Atlantique), la lutte quotidienne contre les petits délits qui pourrissent la vie dans une ville ultra-pauvre (Roubaix, une lumière), les inégalités sociales et le mépris de classe (Parasite, Bacurau). Qu'ils soient dans une précarité persistante ou dans l'envie d'avoir accès à des richesses, les personnages, cette année, étaient en colère ou prêts à tout pour avoir une part de richesses.

Et quand ils l'avaient, ils n'étaient pas forcément très heureux. Car l'autre versant de la compétition révélait une dépression psychologique. Ça ne va très fort dans la famille de Sorry we Missed You. Dans Little Joe, il faut une fleur génétiquement modifiée pour évacuer nos douleurs et névroses. Le cinéaste de Douleur et Gloire ne va pas très bien, au point de tester un autre paradis artificiel, l'héroïne. Il y a beaucoup de craquages de nerfs dans Le jeune Ahmed. La mort annoncée de la mère entraîne toute une famille dans un voyage où la déprime l'emporte dans Frankie. Que dire de cette star d'Hollywood désormais has-been qui se noie dans l'alcool (Once Upon a Time in Hollywood)? La psy Sibyl perd pieds et renoue aussi avec l'alcool parce qu'elle n'a pas digéré une vieille passion. Matthias et surtout Maxime errent également au bord du précipice psychologique par manque d'amour. Enfin, Elia Suleiman s'égare à Paris et New York, désespéré et ahuri par la situation en Palestine dans It must be Heaven, portrait d'un monde aliéné et sursécurisé.

Résistance

Mais un trait commun relie pas mal de ces films, et donc de ces situations volcaniques et de ces personnages rincés. Pour la plupart, ils résistent. Et cela donne souvent les meilleurs films de la compétition, même si certains échouent. Alors que ceux qui ne se battent pas (Sorry We Missed You, Le jeune Ahmed) courent à la catastrophe.

Les flics de The Dead don't Die ne s'avouent pas vaincus même si l'extra-terrestre préfère quitter la bataille, faute de sauvetage possible. Les deux camps dans Les Misérables s'affrontent jusqu'au dernier, quitte à s'autodétruire. Les femmes de Dakar font leur loi face au riche promoteur qui ne paye pas (Atlantique). Dans Little Joe, celle par qui la catastrophe arrive essaie de réparer les effets de sa monstrueuse fleur, ni bio ni éthique. Douleur et Gloire est davantage un acte de résistance personnelle: à la douleur, à la dépression et au déclin. Pas loin de Sibyl, même si elle semble plus vulnérable.

Que ce soient Les siffleurs, Le traître ou Le Lac des oies sauvages, les "héros", pas forcément des gentils, cherchent à survivre malgré leurs torts. Ils résistent à leur façon contre une justice corrompue, une mafia toute-puissante ou un Etat-policier impitoyable. On se bat contre son ennemi: le cancer (Frankie), les conventions (Portrait de la jeune fille en feu), les hippies illuminés (Once Upon a Time in Hollywood), les délinquants et menteurs (Roubaix, une lumière), la domination masculine (Mektoub My Love Intermezzo), les sociétés sécuritaires (It Must Be Heaven). On combat aussi pour accéder, par tous les moyens, à une vie meilleure même si on nous traite comme des cafards (Parasite).

Mais la plus belle bataille est sans doute du côté d'Une vie cachée et de Bacurau, où la résistance rime avec désobéissance civile. Chez Malick, elle emprunte la voie de la Foi, une élévation spirituelle d'un objecteur de conscience préférant se sacrifier plutôt que de se compromettre. Chez Mendonça Filho et Dornelles, c'est plutôt une désobéissance civile, à la Astérix, où tout un village est prêt à en découdre pour faire justice.

Romances et (im)pudeurs

Pour alléger tout ça, certains films tentaient la voie plus convenue de l'amour. Sous toutes ses formes. Pourtant, le sexe était assez absent. Pas la tête au cul semble-t-il. Hormis quelques plans suggérés dans Bacurau, les draps qui recouvrent les corps nus des deux amantes dans Portrait de la jeune fille en feu, un sicilien qui assume sa libido, sans montrer grand chose, dans Le Traitre, il n'y a eu que quatre moments où le sexe était visible ou palpable. Xavier Dolan s'offre ainsi un hommage à la scène de sexe de Titanic avec Matthias et Maxime, dans une buanderie. On ne voit pas grand chose puisque le couple s'arrête au moment d'arriver au slip mais on devine les triques. Trop de pudeur. On préfèrera l'enlacement sensuel du couple de riches dans Parasite, assumant parfaitement une sexualité hédoniste sans pénétration, mais non dénuée de fantasmes. Dans Les Siffleurs, la femme fatale simule un scène de sexe assez classique avec un flic. Beau déhanché. Mais fake. Virginie Efira (Sibyl) se donne davantage à Niels Schneider en exposant son sexe, doigté par l'amant, puis à cheval sur lui devant un feu de cheminée. De l'érotique soft. Tellement soft que pour une fois Gaspard Ulliel ne montre que son bassin moulé dans un boxer de bain. Finalement, il ne reste que le quart d'heure de cunnilingus dans Mektoub My Love: Intermezzo. Le kamasutra y passe. Bon pour Pornhub ou presque puisque le docile lécheur, bien soumis, et qui ne semble pas la faire jouir malgré son acharnement, ouvre à peine son jean's et ne paraît même pas bander.

Mais cela ne manquait pas de romances et même de bromances (Tarantino, Dolan), gays, lesbiennes, hétéros, bisexuelles. Cependant, une fois les 21 films vus, on note que tous les amours sont contrariés, n'aboutissent pas ou finissent en lambeaux. Dans Atlantique, le petit ami s'exile. Dans Sorry We Missed You, le mari fuit vers sa perte. Dans Little Joe, le couple Emily Beecham-Ben Whishaw ne conclue pas. Dans Douleur et Gloire, le réalisateur ne fait que ressasser ses amants passés et vit seul. Son grand amour - sa mère - est ce qui le maintient à flot. Dans Le Lac aux oies sauvages, l'homme traqué court à sa perte, laissant sa femme et sa maîtresse à quai. Avec Portrait de la jeune fille en feu, les deux femmes vivent une passion étincelante mais sans issue. Côté Frankie, les couples se défont, parce qu'ils ne partagent pas les mêmes intérêts ou parce que la mort est au bout du chemin. La mort est aussi la faucheuse idéale pour séparer des couples unis et amoureux dans Parasite. On ne sait pas trop ce qu'il adviendra de Matthias et Maxime, qui traversent le film profondément ébranlés par leur baiser, mais une chose est certaine: Matthias devra faire un choix entre sa femme ou son ami. Chez Kechiche, tous les personnages de Mektoub My Love: Intermezzo s'interrogent sur la sincérité de leurs sentiments. Dans Sibyl, ce n'est qu'adultère, passion impossible, séparation attendue et finalement amours trahis.

Il reste malgré tout l'histoire d'amour inattendue dans Les siffleurs. La seule fin réellement positive de tout ce festival. Puisque dans Une vie cachée, le choix du mari, accepté par l'épouse, est fatal. C'était pourtant le grand et beau couple de cinéma de ce Festival.

Miroir

La compétition cannoise a donc reflété un état du monde ébranlé et un portrait de gens déstabilisés, quand ils n'étaient pas déséquilibrés. Les cinéastes ont pour cela puisé dans l'imaginaire inspiré du réel, et même de leur propre vie. Autofiction ou mise en abyme de leur réalité. Douleur et gloire en est la quintessence mais ce n'est pas le seul puisqu'on pourrait citer Portrait de la jeune fille en feu (autoportrait déguisé), Once Upon a Time in Hollywood (nostalgie narcissique assumée), Frankie (univers personnel revendiqué), Mektoub My Love: Intermezzo (jeunesse et obsessions revisitées) et It Must Be Heaven (autobiographie transformée). On peut même aller plus loin avec la cité des Bosquets de Ladj Ly (Les misérables), le Montréal de Dolan (qui se met en scène) dans Matthias et Maxime, la ville de Desplechin dans Roubaix une lumière, ou le Nordeste de Mendonça Filho dans Bacurau.

A Cannes, on voyage toujours. Cette année ce fut une exploration de l'intimité des cinéastes et une aventure sociologique de ce qu'ils ont observé. De la douleur et aucune gloire. Un paradis qui a les allures de l'enfer. Des misérables et des traîtres. Même s'il y a un peu de lumière au bout des tunnels, on revient du festival avec le sentiment que la planète est en feu.

Edito: La dernière séance (du cinéma porno)

Posté par redaction, le 7 décembre 2017

C'est officiel: le Beverley fermera en fin d'année. C'était le dernier cinéma X de la Capitale, dans le 2e arrondissement. Le patron part à la retraite. Maurice Larcohe dirige ce monosalle dédié au X depuis 34 ans. Les clients se sont faits rares. Rarement plus de 500 par semaine. Et pourtant, avec un ticket d'entrée à 12€, cela rendait l'affaire intéressante avec 300000€ de chiffre d'affaires. M'enfin, les beaux jours sont loin quand, dans les années 1980-1990, le cinéma accueillait plus de 1500 spectateurs par semaine.

Il faut dire que les clients ont vieilli aussi. Les trois quarts ont la carte senior. La salle aux fauteuils en skaï rouges (ça se nettoie plus facilement, même si des kleenex sont vendus comme d'autres proposent du pop corn) ont du en voir... C'est désormais un vestige, dernier survivant des 44 cinémas X de Paris.

Mais pourquoi aller voir un porno en salles quand tout est disponible chez soi, sur petit et très petit écran, en un clic de télécommande ou de souris? Même l'interdiction aux moins de 18 ans a sauté en l'air avec les smartphones. Et plutôt que de se taper un film au scénario déjà convenu, et aux positions imposées, comme en patinage artistique, le web a opté pour les séquences plus ou moins longues, parfois très courtes, hyper ciblées, et très variées. Il y en a pour tous les goûts et c'est illimité.

Le X et la génération XY

Le Président de la république Emmanuel Macron a déclaré lors de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre, que "la pornographie a franchi la porte des établissements scolaires. Nous ne pouvons ignorer ce genre qui fait de la femme un objet d'humiliation". On aurait envie de lui dire: "ça dépend des films", mais globalement, la pornographie ne fait pas dans la légèreté. Même si l'image de la femme a été revalorisée, notamment grâce aux réalisatrices de porno, le problème est surtout de constater que le X est accessible sans verrouillage. Pour ce qui est de l'école, on peut toujours se dire qu'un smartphone n'y a plus sa place. L'accès au porno peut-être régulé avec succès, comme c'est le cas dans certains pays.

Maintenant dire que le X conduit à avoir une image dégradée de la femme, c'est un peu comme croire qu'on va faire un massacre de masse en jouant à Call of Duty. Le nœud du problème est ailleurs. L'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique a récemment constaté que la moitié des adolescents de 15 à 17 ans sondés avaient déjà consulté un site pornographique, soit une hausse de 14 points sur quatre ans, et selon la même enquête, 45% des jeunes considéraient que la pornographie avait participé à leur apprentissage de la sexualité.

Size does matter?

Alors certes il y a du X de qualité. C'est comme le cinéma, il y a beaucoup de daubes et quelques plans bien anglés, bien cadrés. Mais il faut reconnaître que l'invasion du X sur les ados posent un problème autrement plus sérieux, pas forcément le truc qu'on remarquait dans le noir d'une salle porno. Dans Libération, lundi, le docteur Marc Abécassis, spécialiste en chirurgie plastique, expliquait: "Je pratique la chirurgie intime depuis 1992 et ce que je vois de plus en plus, ce sont des jeunes d’à peine plus de 18 ans, alors que la fourchette se situe plutôt entre 35 et 45 ans. Avec l’Internet, les médias qui communiquent, les forums, et évidemment le porno, on s’exhibe plus. Du coup, le regard des autres hommes est encore plus pesant que dans les générations précédentes. On me dit : "Je ne peux pas aller à la piscine, dans les douches, dans les vestiaires, me changer devant les autres", les hommes s’évaluent."

Bref, c'est un paradoxe: alors que le film porno est visionné sur un écran de plus en plus petit, les hommes, croyant que la taille compte, se veulent de plus en plus "grand". Mais, mauvaise nouvelle, le vrai problème est ailleurs: c'est la pollution qui réduit la taille du pénis et la qualité du sperme au fil des décennies. Pas de quoi pouvoir imiter un acteur porno avec votre ami(e) si on en croit les dernières études comparatives en Europe sur le sujet, même au pays de Rocco Siffredi.

Fuck! Nymphomaniac – volume 1 perd son visa d’exploitation

Posté par vincy, le 28 juillet 2017

La version longue du film Nymphomaniac, volume 1 de Lars von Trier, a perdu définitivement son visa d'exploitation. Le deuxième film du diptyque peut, en revanche, conserver le sien. C'est ce qu'a statué vendredi 28 juillet le Conseil d'Etat. Il a rejeté le pourvoi du ministère de la Culture et celui des associations Promouvoir et Pour la dignité humaine, liés aux catholiques traditionalistes. Le Conseil d'État n'a fait que confirmer le jugement rendu en juillet 2016 par la cour administrative d'appel de Paris.

Celle-ci avait estimé que l'interdiction aux moins de 16 ans n'était pas suffisante pour le Volume 1, car le film avait "des scènes à caractère sexuel, filmées en gros plan, de manière parfaitement réaliste et appuyée, sans aucune dissimulation des organes génitaux". Bref ce que n'importe quel ado voit sur Youporn et autres sites du genre.

D'un côté, les associations traditionalistes, qui essaient de bannir toute forme de violence et de sexe au cinéma pour les moins de 18 ans, avaient demandé l'annulation de leurs visas d'exploitation (obligatoires pour une diffusion en salles), y compris pour le Volume 2 (toujours interdit aux moins de 16 ans donc). De l'autre, le ministère de la Culture avait déposé un pourvoi pour contester l'annulation du visa d'exploitation du Volume 1.

Avec cette décision du Conseil d'Etat, le volume 1 peut continuer à être commercialisé en DVD et VOD, mais pas en salles. Au passage, l'État écope d'une amende de 1500 euros à verser aux deux associations.

La version "non censurée" est plus longue de 30 minutes et avait été présentée pour la première fois à la Berlinale en février 2014. Elle contient davantage d'images sexuelles en gros plan.

Nul ne doute que cette décision va être commentée par la profession, qui s'était déjà insurgée en février 2016 contre les pratiques de censure des associations plaignantes.

Cannes 2017: Nos retrouvailles avec John Cameron Mitchell

Posté par vincy, le 21 mai 2017

11 ans que John Cameron Mitchell n'est pas venu fouler les marches cannoises. Certes, l'acteur-auteur-réalisateur est très rare. Pas un seul long métrage depuis Rabbit Hole en 2010. Le film avait révélé Miles Teller et donné l'un des plus beaux rôles à Nicole Kidman. Kidman, justement, est à l'affiche de son nouveau film, How To Talk to Girls at Parties, présenté hors compétition lors de cette 70e édition cannoise. John Cameron Mitchell est à sa place cette année: Cannes a rarement été aussi gay-friendly avec une forte présence de cinéastes ou films gays (Almodovar, Haynes, Téchiné et Nos années folles, 120 battements par minute).

JCM se souvient sans doute de son passage sur la Croisette. C'était avec Shortbus, en séance de minuit. Orgiaque et sexuel, ce décryptage analytique et sensuel des comportements amoureux et attirances charnelles, tous genres et toutes tentations confondues, avait remué les festivaliers. Film culte, Shortbus avait la force d'un film sulfureux, filmé comme une comédie de mœurs classique, banalisant ainsi ce qui aurait pu être subversif voire choquant pour certains.

Quand Cannes sélectionne Shortbus, JCM n'est pas un inconnu. Cinq avant on l'avait découvert au cinéma dans Hedwig and the Angry Inch, où il était tout à la fois acteur, scénariste, réalisateur. Le comédien fut nommé aux Golden Globes, le réalisateur fut couronné par un Teddy Award au Festival de Berlin, trois prix (Grand prix, prix de la critique, prix CinéLive) à Deauville, sacré à Sundance avec le prix de la mise en scène et le prix du public.

Pourtant l'artiste de 54 ans, à l'allure d'éternel jeune homme, a du surmonter pas mal d'obstacles pour en arriver là. Fils de militaire, à l'éducation catho assez stricte, il a transgressé un à un tous les tabous qui l'empêchaient de s'épanouir. Son premier rôle sur scène, à l'age de 11 ans, était la Vierge Marie dans un musical sur la nativité. Très vite, il a aimé la scène. A 22 ans, il décroche son premier rôle pro dans une comédie musicale. Rapidement, il se fait une jolie réputation dans le milieu théâtral new yorkais. On le croise aussi dans quelques épisodes de séries TV et en acteur auditionnant pour un film porno dans Girl 6 de Spike Lee. On l'entend donner sa voix à un kangourou dans une pub pour des cookies. Il est même du casting d'une sitcom (Party Girl). Faut bien remplir le frigo.

Sa vie change en 1998 lorsqu'il écrit une comédie musicale off-Broadway, sur une vedette de rock transsexuelle est-allemande poursuivant son ex-amant parce qu'il plagie ses chansons. Il fera d'Hedwig un phénomène de la scène new yorkaise (qui sera remonté plusieurs fois ces vingt dernières années, dont la dernière version, avec Neil Patrick Harris a remporté 4 Tony Awards) et qu'il adaptera au cinéma. John Cameron Mitchell est Hedwig.

Définitivement le plus queer des cinéastes américains, il s'aventure aussi dans le clip vidéo pour les discos-pop Scissor Sisters (clip censuré aux USA à cause de son contenu fortement sexuel) et la publicité en réalisant quelques courts pour Dior, avec Marion Cotillard et Jude Law en égéries, ou Agent provocateur. Entre deux films qu'il réalise, il retrouve son métier de comédien (les séries "Girls" et "Vinyl" où il incarne Andy Warhol). Les stars, il n'a pas envie de courir après, mais son style singulier séduit les plus affranchies. Nicole Kidman le retrouve ainsi pour la deuxième fois, passant d'une mère endeuillée dans Rabbit Hole à une femme au look punk. C'est l'un de ses trois films à Cannes cette année. Et le deuxième qu'elle partage avec Elle Fanning, avec Les proies.

Politiquement incorrect pour les Etats-Unis, cet héritier de John Waters et de Woody Allen (à ses débuts), du cinéma allemand des années 70 et de Cassavetes, veut réhabiliter la sexualité au cinéma. "Hollywood est trop souvent très timide à propos du sexe, ou alors ils ne savent qu'écrire des blagues d'ados sur le sujet. Le sexe est toujours quelque chose de négatif parce que les gens en ont peur" expliquait-il.

Lui qui a perdu la foi religieuse après les morts de son frère et de son compagnon, n'a pas perdu la foi amoureuse. Comme Hedwig, peut-être qu'il ne peut entrer dans aucune des structures sociales qui existent pour se réconforte. "Hedwig est complètement seule, tout en se rendant compte qu'elle ne veut pas être seule."

Sausage Party gagne une manche contre ses attaquants

Posté par vincy, le 14 décembre 2016

Le film d'animation Sausage Party, jugé pornographique par des activistes religieux, restera interdit aux moins de 12 ans. Les plaignants souhaitaient qu'il soit interdit aux moins de 16 ans: C'est rapé. Le film ne sera pas retiré de l'affiche.

Le tribunal a estimé que "le film ne diffusait pas un message à caractère violent et que les scènes à caractère sexuel ne visaient pas à corrompre les mineurs". Dans l'ordonnance, il est affirmé que "la protection de l'enfance et de la jeunesse" n'est pas négligée, puisque "compte tenu notamment de la dimension humoristique du film, l’absence d’interdiction aux jeunes adolescents ne méconnaissait pas l’exigence de protection de l’enfance et de la jeunesse." "L'interdiction de la diffusion aux moins de douze ans, le titre, l’affiche et la bande annonce du film mettent suffisamment en relief son caractère subversif et l'omniprésence des connotations sexuelles", est-il indiqué, confirmant ainsi que "les visas accordés n’avaient pas à être complétés par un avertissement."

L'affaire étant en référé, la requête n'a pas été jugée sur le fond et peut faire l'objet d'une suite dans le cadre d'une procédure judiciaire.

L'audience au tribunal hier avait quand même quelque chose de comique. L'AFP en a fait un florilège hilarant:
"- Maître, sauf erreur, la bande-annonce contient la scène très violente d'épluchage de légumes que vous venez d'évoquer.
- Oui, mais pas celle de la partouze finale
".

Déjà pris en grippe par La Manif pour Tous, le film d'animation, très cru reconnaissons-le, a provoqué la colère outrancière et bien calculée de l'association proche des catholiques traditionalistes Promouvoir (qui adore attaquer le cinéma, avec souvent quelques victoires en faveur d'une censure plus stricte) et d'Action pour la dignité humaine. Les deux associations considéraient que ce film (à peine 60000 spectateurs à date), était "susceptible de créer un trouble chez le jeune public".

"La poire vaginale cherche à tout prix un cul"

Le ridicule ne tue pas si on lit les arguments de leur avocat, Me Bonnet: "Il s'agit d'une entreprise délibérée de toucher les plus jeunes, avec des images et des concepts qui ne sont pas adaptés à eux", allant jusqu'à parler d'une "question de civilisation et de protection de l'ensemble de la société". Il n'a sans doute jamais joué au docteur ou à la poupée.

S'enfonçant un peu plus il ose: "Oui, vous mettez en scène des légumes. Que peut-on reprocher à des légumes? Et après,vous aurez très vite des films d'animation avec des scènes pornographiques". Ça existe déjà, il faut le prévenir. Mais apparemment, il n'a pas supporté la scène finale d'orgie: "une orgie sidérante entre scènes de fellation, de sodomisation (...) où l'on voit un paquet de corn-flakes - un objet assez corpulent - assénant des mouvements de va-et-vient brutaux et demandant tu aimes ça salope?" .

Et de citer d'autres extraits qui donnent envie de voir le film: "La poire vaginale cherche à tout prix un cul, car, nous dit-on, elle est faite pour ça", "Qu'est-ce que ça doit être bon de glisser la saucisse dans le pain!". Avec ou sans moutarde, oignons, cornichons?

La défense, assurée par Me Molinié, évoque "la volonté de censure" de ses contradicteurs "à l'égard d'un film qui est un peu libertaire": "L'un des buts du film est de critiquer sur un mode humoristique la société de consommation, la religion aussi en prend pour son grade, mais il ne s'agit pas d'inciter à la violence".

Il précise qu'il "n'y a pas de représentation de sexe, juste une activité sexuelle" sur le ton "du grotesque" : "tout ce qui est montré n'est pas réaliste".

Sausage Party: La manif pour tous phobique des saucisses

Posté par cynthia, le 1 décembre 2016

En salles depuis hier, le délire animé Sausage Party s'est invité dans les réseaux et le débat idéologique sur les bonnes mœurs. La raison: le film est considéré comme pornographique alors qu'il n'est interdit qu'au moins de 12 ans en France. Bien évidemment derrière cette assaut médiatique, il y a La manif pour tous! En effet le collectif qui se dit défenseur des droits de la famille vient de s'attaquer au film de Conrad Vernon et Greg Tiernan, en le qualifiant "partouze géante à voir en famille"! Alors tout cela mérite réflexion.

Gare aux SPOILERS

Tout d'abord il faut savoir que la scène de fin est effectivement une partouze entre aliments (je ne pensais pas dire ça un jour): on y voit une tomate faire une fellation à un radis (j'ai envie de rigoler en écrivant ça), des crackers se faire violer par une brioche, un bagel se faire sodomiser par une crêpe. Bref, ce n'est pas pour les enfants. Du coup le collectif La manif pour tous que l'on pourrait comparer au personnage d'Eleonor Lovejoy dans Les Simpsons (constamment à juger les autres et à hurler "pensez à nos enfants!!!!!") s'est empressé de noyer leur page Twitter en instaurant le Sausage Party bashing avec le hashtag SOS tout en faisant un lien entre la sortie du film et les campagnes anti-VIH menées par le gouvernement. Il faut savoir aussi que ce tweet a été vite effacé par la suite (rire jaune).

Donc concrètement La manif pour tous pense à quoi exactement? Qu'un père va emmener son fils de 5 ans voir Sausage Party à l'heure du goûter (alors que la jolie Vaiana lui tend les bras)? "Allez Timmy on va voir une saucisse défoncer du pain, tu vas voir tu vas kiffer et après on ira manger un hot dog dans un bar à pute!" Pense-t-il qu'après la vue du film, les spectateurs vont s'empresser de faire une soirée échangiste chez eux? Ou que les enfants de moins de 16 ans vont tenter de "pécho" une carotte? Il est vrai que le cinéma peut influencer les plus sensibles... Après Cinquante Nuances de Grey, toutes les femmes ont sans doute exigé de se faire battre par leurs compagnons et de se prendre un bout de gingembre dans le c.. (c'est du sarcasme hein). Bien sûr enfants, nous avons tous essayé de voler sur un balai en direction de Poudlard tout en fonçant dans le mur de la garde du Nord (double sarcasme).

Pourtant le plus dingue n'est pas l’engouement de l'affaire ou le coup de pub incroyable que cela a engendré pour le film animé imaginé par Seth Rogen. Non, le plus incroyable est de comparer une "partouze" alimentaire à une affiche de campagne contre le VIH où (on vous le rappelle) on y voit deux hommes enlacés (ils ont leurs vêtements hein!)  et un message de prévention contre la maladie. Rappel: nous sommes le 1er décembre, journée internationale de la lutte contre le SIDA (protégez-vous!). Une affiche préventive d'une maladie qui touche de nombreuses personnes serait-elle une incitation à la débauche? Un film déluré serait-il une incitation à la débauche?

Le VIH existe et que l'on enlève les affiches ou non il existera toujours et fera toujours des victimes (peut-être moins si nous laissons les affiches). Les films X existent, et avec Internet il est plus facile de s'en procurer que de commander une pizza, alors est-ce vraiment ça le problème? N'est-ce pas plutôt un problème de communication ou une simple explication rationnelle entre les enfants et leurs parents comme par exemple: "je ne préfère pas que tu ailles voir ce film il pourrait te mettre mal à l'aise!" ?

Oui Sausage Party n'est pas pour les enfants mais en faire un bashing n'est-ce pas une forme de "on doit réagir cela nous fera un coup de pub"? Manque de pot (de moutarde) vous avez fait un coup de pub au film alors qu'en expliquant aux enfants que les parents peuvent voir Sausage Party et qu'eux peuvent voir Vaiana à la place, ça aurait été plus simple, non? Hormis une volonté claire et nette d'imposer votre vision de la vie aux citoyens (le principe même de l'intégrisme), il n'y a aucune raison sensée de s'en prendre à un film animé ouvertement "pour adultes".

Cannes 2016: Femmes (agressées), actes de résistance, IPhones complices, de l’ultra-moderne solitude, du cul et du rire

Posté par vincy, le 25 mai 2016

Si on ne prend que la compétition cannoise, les cinéastes ont livré cette année une drôle de vision du monde, assurément féminine et engagée. Ce 69e Festival de Cannes fut celui du "clito" affirmé.

Des femmes
Elles sont illuminées (Ma Loute), hystériques (Sieranevada, Juste la fin du monde, American Honey), manipulatrices et lesbiennes (Mademoiselle), vulnérables et combattantes (Moi, Daniel Blake, Ma'Rosa), dominantes et fragiles (Toni Erdmann, Elle), libres (Loving, Paterson, Elle), mal dans leur peaux et même dépressives (Mal de pierres, Mademoiselle, Toni Erdmann, Julieta, Juste la fin du monde, The Last Face, The Neon Demon, Personal Shopper, Baccalauréat, Le client), résistantes (Aquarius), artistes (Julieta, Aquarius, Mademoiselle, The Neon Demon, Paterson), troublées et un peu paumées (Elle, La fille inconnue, Mal de pierres). Une chose est sûre, elles sont toutes amoureuses: seniors, bisexuels, amant de passage, violeur, wasp quand elle est noire, basque quand elle est madrilène, patronne, fantôme, salaud, samaritain, ... Mais une chose est certaine, il y a des femmes agressées de toute part cette année: Ma Loute, Baccalauréat, Elle, Le client, The Neon Demon, la fille inconnue. Attaquées ou violées, assassinées ou kidnappées, la femme a reçu de sacré coups.

De la résistance
D'une manière ou d'une autre, il y a eu beaucoup de rébellion. Dans Sieranevada, les intellos essaient de convaincre les complotistes. Dans Moi, Daniel Blake, vainement, les pauvres combattent un système social et économique absurde. Dans Toni Erdmann, le père cherche à faire rire sa fille pour qu'elle prenne son métier plus à la légère. Dans Loving, le couple se bat contre des lois racistes et inhumaines. Dans beaucoup de films, les personnages cherchent à vaincre une dépression. Dans Aquarius, l'héroïne fait la guerre à un promoteur immobilier (et au passage à l'élite brésilienne). Dans La fille inconnue, la jeune médecin essaie de se racheter une bonne conscience en cherchant "l'assassin" d'une jeune réfugiée. Dans Paterson, le conducteur de bus s'évade de sa routine en écrivant des poèmes. Dans Baccalauréat, la fille veut rester intègre dans un système corrompu. Dans Juste la fin du monde, le fils prodigue tente de survivre à une journée en famille. Dans The Neon Demon, la jeune top model doit se protéger des mauvaises intentions de ses rivales. Dans The Last Face, deux humanitaires veulent sauver l'Afrique (alors qu'ils ne sauvent pas leur couple). Dans Elle, la femme violée, bafouée, rejette tous préjugés et toute solution convenue pour vivre librement.

Des IPhones complices
L'intermittent du spectacle le plus sollicité cette année était l'IPhone. Outre, les scènes devenues communes d'un personnage téléphonant avec son mobile (Rester vertival, Sieranevada, Toni Erdmann...), il y a des films où il est devenu central. Dans Personal Shopper, c'est même un acteur à part entière qui dialogue par sms avec Kristen Stewart. Dans La fille inconnue, Adèle Haenel n'a pas de copain, puisque son meilleur compagnon c'est siri et sa voix soumise. Dans Ma'Rosa, c'est un objet de transaction. Dans Elle, on ne supporte pas que sa batterie soit vidée. Il y a une exception: Adam Driver dans Paterson, qui refuse d'en avoir un.

De l'ultra-moderne solitude
A la campagne ou dans les villes portuaires (Rester vertical), à l'étranger (Toni Erdmann) ou chez soi (Aquarius), la solitude est prégnante dans de nombreux films. Un veuf (Moi, Daniel Blake) ou un homme marié mais malheureux (Sieranevada), époux (Paterson) ou épouse (Mal de pierres), séparée de sa fille (Julieta) ou de sa famille (Loving), pleurant son frère disparu (Personal shopper) ou regrettant le départ de son stagiaire (La fille inconnue), être seul n'est pas facile. Face à soi-même la plupart du temps (Elle, Baccalauréat, Le client, etc...), les personnages sont finalement dans l'incommunicabilité la plus totale à l'instar du quintet désaccordé de Juste la fin du monde. La mondialisation est en arrière plan souvent, tout comme le libéralisme sauvage. Les systèmes de production et l'absence de respect de l'individu, écrasés, sont au coeur ou en marge de Rester vertical, Moi, Daniel Blake, Toni Erdmann, Loving, Aquarius, La fille inconnue, Baccalauréat, The Last Face et bien entendu de The Neon Demon...

De la résistanceDu cul
On a vu l'origine du monde et des seins, des phallus en érection et des langues. Mention spéciale à Rester vertical: un cunilingus, un missionnaire, une sodomie homosexuelle (en guise d'euthanasie), une bite en érection sous le jogg. Dans Ma Loute c'est juste subversif: un pauvre ch'ti anthropophage qui tombe amoureux d'un garçon qui se préfère en fille (jusqu'au moment où il tâte les couilles). Dans Mademoiselle, le sexe est lesbien et torride. le cuni d'ailleurs déclenche la passion après des préliminaires très sensuels. L'érotisme, ici, est surtout oral, en racontant des contes pornographiques. Dans Toni Erdmann, il y a une scène naturiste cocasse mais il y a surtout une masturbation masculine avec éjaculation dans un petit four, avalé par sa partenaire voyeuse. Dans Ma de pierres, l'étreinte est classique. Dans American Honey, ils sont assez exhibs (fesses, queues, seins) et les deux protagonistes principaux baisent dès qu'ils peuvent, à même l'herbe. Au passage, on nous cache pas grand chose même si on connaissait déjà l'anatomie de Shia LaBoeuf. Sinon la branlette d'un mec se fait plus pudique. Dans Julieta, la baise se pratique dans le train, et avec fougue. Dans Personal Shopper, la Kristen se masturbe en se déguisant avec les fringues de sa boss. Dans Aquarius, il y a une scène de partouze, sans floutage, et un gigolo qui expose son matos face caméra avant de niquer sa cliente un peu plus âgée. Dans The Neon Demon, il ne se passe pas grand chose, sauf si on considère la dévoration comme un acte sexuel. Dans Elle, enfin, on ne voit pas grand chose, mais on devine tout.

Et sinon... on a souvent vu la mer. Côté Bretagne dans Rester vertical, côté Pas de calais dans Ma Loute, côté méditerranée dans Mal de Pierres. Elle a toujours son importance. Elle est aussi mortelle dans Julieta et vitale dans Aquarius. On a vu deux médecins - La fille inconnue et Baccalauréat - se prendre pour des Sherlock Holmes. Beaucoup d'appartements ou de maisons et peu de grands espaces. Le foyer était même un personnage central de certains films (Sierranevada, Mademoiselle, Paterson, Loving, Aquarius, Juste la fin du monde, Le client...).

Les métiers étaient variés: scénariste, médecins, visiteur médical, bibliothécaire, industriel, menuisier au chômage, servante, arnaqueur, lectrice, consultante, professeurs, maçons, VRP, conducteur de bus, pâtissière intermittente, shoppeuse, journaliste à la retraite, commerçante et trafiquante, dramaturge, mannequin, patronne de start-up, comédien...

Et puis il y a du rire. Beaucoup d'humour et de dérision ont allégé de longs films. Décalé ou noir, second de gré ou burlesque, les cinéastes ont réussi, souvent, à nous muscler les zygomatiques. Mention spéciale au film de Jim Jarmusch, qui s'offre le chien psychopathe le plus comique du cinéma et l'intrusion d'un Japonais dans l'épilogue dont une expression toute nippone devient un running-gag. Il y a quelques exceptions: on ne rigole vraiment pas dans Mal de pierres, American Honey, Moi, Daniel Blake, Loving, Personal Shopper, Baccalauréat, Juste la fin du monde, Le client ou The Neon Demon. Ou on rit franchement, involontairement avec The Last Face qui offre une série de répliques cultes malgré lui.

Bien sûr, il n'y a pas que la compétition, et les films des autres sélections ont aussi ces points communs. La femme est à l'honneur de Victoria et de Divines. On se dévore aussi bien dans Ma Loute, The Transfiguration, Grave que dans The Neon Demon (attention aux végétariens: l'homme est une viande comme les autres, parfois un peu plus indigeste). Le foyer est aussi le décor central de L'économie du couple ou de Parc, The Transfiguration et Périclès le noir. Le huis-clos a inspiré de nombreux films, à commencer par Clash et Apprentice. Les familles élargies et recomposées sont des objets très bien identifiés et source de drames et jalousies, de passions et d'incompréhensions (Juste la fin du monde, Baccalauréat, Elle, Sierranevada, Le cancre, Harmonium, Divines, American Honey, Rester vertical, Moi, Daniel Blake, Au delà des montagnes et des collines, Toni Erdmann, La tortue rouge, Loving, Ma vie de courgette etc...)

Mais s'il fallait aussi garder un thème, ce serait celui du temps. Les 8 jours de Paterson. L'après midi de Sierranevada. La journée de Juste la fin du monde. La nuit blanche de Ma'Rosa. La semaine d'Aquarius. Et aussi les manipulations du temps: les décennies de Julieta, les vacances de Ma Loute, la semaine à Bucarest de Toni Erdmann, la virée sans fin de American Honey, le combat sans fin, sur dix ans et quelques de Loving, les jours qui passent dans La fille inconnue, le compte-à-rebours de quelques jours de Baccalauréat, les années qui roulent de Mal de Pierres. Le temps se tord, se distord, mais la durée fut soit courte soit très longue. Soit très bien définie, soit assez floue. C'est un prétexte au récit où le temps sert de cadre strict ou accompagne une vie.

Cannes c'était finalement 12 jours pile-poil et quelques films qui marquent nos esprits.

[69, année érotique] Cannes 2016: Shortbus en 2006

Posté par MpM, le 20 mai 2016

A Cannes, qui dit sexe cru dit presque toujours polémique, huées et sifflements, sans oublier l’inévitable parfum de scandale potentiel qui envahit la Croisette avant même la projection du film. Dans le cas de Shortbus de John Cameron Mitchell, pourtant, rien de tout ça. Oh, bien sûr, quelques esprits chagrins n’auront pu s’empêcher de qualifier le film de "sulfureux", de "transgressif", voire de "pornographique", sous prétexte de relations sexuelles non simulées.

Mais il fallait assister à la projection officielle du film, une séance de minuit joyeuse et pleine à craquer de ce mois de mai 2006, pour mesurer le degré d’enthousiasme générés par cette œuvre audacieuse et émouvante. Face à l’ovation qui a suivi le générique de fin, pendant plusieurs longues minutes, à une heure déjà très avancée de la nuit, le réalisateur a d’ailleurs eu bien du mal à retenir ses larmes.

Pas si étonnant si l’on considère que Shortbus parle avant tout… d’amour, réconciliant un cinéma cru, c’est-à-dire pas hypocrite dans sa manière d’aborder la sexualité, et un cinéma d’auteur intelligent et sensible capable de capter l’essence d’une époque. Les couples et les personnages au cœur du film sont tous en quête d’un accomplissement, personnel ou sentimental, fait de désirs assouvis, de plaisirs assumés et d’émotions véritables. Cela passe, évidemment, par la recherche d’une sexualité désinhibée et épanouissante, ou plutôt, il faudrait dire de sexualités au pluriel, tant Shortbus réunit sans les opposer, ni bien sûr les juger, toutes les sexualités : féminines comme masculines, gays et hétéros, en couple, en trio ou en groupe… à partir du moment où elles sont libres et consenties, tout est possible.

Si le film multiplie les scènes crues (autofellation, simili-orgies…), elles ne sont jamais filmées de manière glauque ou provocante, mais au contraire toujours montrées avec sensualité et bienveillance. Et parfois avec humour, car rire de nos fantasmes et de nos frustrations est déjà un premier pas dans cet accomplissement qui a besoin d’être individuel avant de pouvoir devenir collectif. Les trentenaires de Shortbus ont peut-être du mal à jouir, au sens propre comme au sens figuré, mais personne ne le leur interdit. Et cette liberté contamine joyeusement un film coloré, festif, charnel et électrique qui fait un bien fou. Malgré son constat doux-amer, si ce n’est désenchanté, il incarne le feel-good movie par excellence, de ceux qui réveillent tous les appétits du spectateur.

[69, année érotique] Cannes 2016 : Kids en 1995

Posté par wyzman, le 19 mai 2016


La sexualité adolescente. Plus sérieux qu'American Pie et moins stylisé que Kaboom, Kids de Larry Clark est une œuvre puissante et intemporelle sur la naissance du désir sexuel chez les jeunes. Ça tâtonne, ça se vante à outrance et ça fait des erreurs. Bref, c'est un film sur des ados qui découvrent leur corps, le rapport à l'autre et surtout l'envie de l'autre. Véritable révélation du Festival de Cannes 1995, Kids est produit par Gus Van Sant (Elephant) et co-écrit par Harmony Korine (Spring Breakers).

Pas étonnant dès lors qu'ils aient mis en scène une œuvre que l'on rapproche sans cesse des livres (les bons) de Bret Easton Ellis et qui dépeint avec une subtilité effarante toute une génération d'adolescents. Celle qui a conscience du danger que représente le sida mais qui refuse tout de même de se protéger. Persuadée que cela touche davantage les homosexuels, cette génération pense sincèrement que lors du premier rapport sexuel, seule une grossesse non désirée est à craindre...

Audit Festival de Cannes, le film n'a pas manqué de marquer les esprits car au lieu d'aller chercher des acteurs au visage juvénile, Larry Clark a préféré caster de jeunes inconnus dénichés dans la rue. Dès lors, la gêne était totale sur la Croisette. Le langage est cru - mais authentique. Les scènes de sexe sont dérangeantes - car réalistes. Les transgressions sont nombreuses - et tellement faciles. Sans le savoir, Larry Clark a filmé avec Kids, le film qui deviendra rapidement la référence en termes de teen movie trash. Voilà sans doute pourquoi, deux décennies plus tard, The Smell Of Us fait mal au cœur quand Bang Gang (Une histoire d'amour moderne) agace par son manque d'originalité !

[69, année érotique] Cannes 2016: Happy Together et East Palace, West Palace en 1997

Posté par vincy, le 18 mai 2016

Lors de notre premier festival de Cannes, deux films asiatiques ont retenu l'attention des festivaliers, pour des raisons à la fois similaires et différentes. Similaires parce que ces deux films "chinois" montraient une histoire d'amour homosexuelle et masculine. Différente parce que les deux n'ont pas eu le même destin.

Commençons avec Happy Together. Wong Kar-wai, qui remportera le Prix de la mise en scène cette année là, se délocalise à Buenos Aires en Argentine, pour raconter l'histoire d'une rupture et de mal du pays. Il n'y a qu'une séquence proprement gay dans le film, mais elle est en ouverture. Le cinéaste s'expliquait ainsi à l'époque: il fallait planter le cadre de l'histoire d'amour tout en se débarrassant de la sexualité des personnages. La scène est sensuelle plus que sexuelle et les corps des deux stars hong kongaises de l'époque, Leslie Cheung et Tony Leung Chiu-wai, s'entrelacent, nus dans une chambre.

On est loin de la sexualité d'East Palace, West Palace (Derrière la cité interdite), de Zhang Yuan, présenté à Un Certain regard. Film indépendant chinois, il est le premier à traiter de l'homosexualité dans le cinéma de son pays. La coproduction française a permis de faire passer le film, très vite censuré par le gouvernement chinois, qui arrêta finalement le réalisateur, lui retira son passeport, avant qu'il ne parte sur la Croisette.  Il n'a d'ailleurs pas été trop inquiété puisqu'il a continué de tourné depuis. La Chine a demandé à Cannes, en vain, de retirer le film de la sélection officielle, alors qu'il avait tourné à Pékin en toute légalité.

Cependant, East Palace, West Palace a une atmosphère sulfureuse, loin de la tradition du travestissement évoqué dans Adieu ma concubine, quatre ans plus tôt et Palme d'or. Ici, la police chinoise fait des raids sur les homosexuels, qui flirtent et baisent dans un parc, la nuit. L'un d'eux, un jeune écrivain gay, se fait - avec un certain consentement - prisonnier du policier de garde et entraîne un jeu un peu masochiste et assez pervers où les intentions réelles du flic sont troubles.

Des urinoirs du parc à la salle de garde à vue, le film est surtout le portrait d'hommes qui assument ou luttent contre leur sexualité. Entre érotisme et torture, le jeu de séduction est filmé avec ambiguïté mais aucune ambivalence. Le réalisateur voulait montrer une réalité qui existe mais qui est étouffée par le régime, et a puisé dans des articles sur l'homosexualité dans le journal Life news, au début des années 90. "Un des articles concernait les efforts d'un institut de recherche sur le SIDA qui tentaient de trouver des hommes gays à Beijing" expliquait-il à l'époque.