Deux semaines après George Lautner, l'un des rois du box office français des années 60/70/80, c'est le prince de la comédie du cinéma hexagonal qui nous quitte : Edouard Molinaro, né en 1928 à Bordeaux, est mort à l'âge de 85 ans.
Homme modeste et fou de jazz, il a été l'artisan populaire et parfois sous-estimé d'un cinéma de bon goût. Sa collaboration avec Louis de Funès a produit quelques uns des meilleurs films du comédien (Hibernatus, Oscar et ses 6,1 millions de spectateurs). Mais c'est avant tout La cage aux folles qui le rend mondialement célèbre (5,4 millions d'entrées en France, 20 millions de $ de recettes aux USA à l'époque). Avec cette comédie "gay" et vaudevillesque, il réalise un carton. Ce n'est pas le seul génie du jeu de Michel Serrault ou de l'écriture de Jean Poiret qui est louable : la mise en scène, sans être audacieuse, flirte avec l'esprit chic et délirant des films de Blake Edwards. Remake hollywoodien, comédie musicale à Broadway, suites (moins réussies) au cinéma : La cage aux folles et devenu un monument.
Comme Lautner ou Gérard Oury, il n'avait aucune honte à assumer son cinéma commercial. Il aimait le divertissement, de Pour cent briques t'as plus rien (avec Daniel Auteuil) à Beaumarchais l'insolent (avec Fabrice Luchini), d'Arsène Lupin (avec Cassel et Brialy) au Souper (avec Rich et Brasseur). Il avait le sens du rythme - Le montage donnait le rythme, il fallait suivre -, un talent certain pour révéler ou diriger des comédiens. De Françoise Dorléac à Emmanuelle Béart (deux films chacune) en passant par Claude Jade, les femmes héritaient toujours de rôles élégants.
Son oeuvre est inégale. Lui n'a aimé que l'un de ses premiers films, La Mort de Belle, adapté de Georges Simenon (1961), avec Jean Dessailly et Alexandra Stewart. Ce fut un flop : trop délicat sans doute pour l'époque qui réclamait de l'artillerie lourde ou de la nouvelle vague. Il est resté à la marge de ces deux formes de cinémas. Le malheur de Molinaro fut sans doute d'avoir réalisé des commandes qui ont cartonné au box office et des films plus personnels qui ont été ignorés par le public. Après avoir réalisé de nombreux courts métrages entre l'après guerre et la fin des années 50, il avait tourné son premier long en 1958 avec Le dos au mur, d'après un livre de Frédéric Dard, avec Jeanne Moreau.
Pléiade de monstres sacrés
Molinaro n'a pas réalisé que des comédies. On lui doit des polars, des films plus fantaisistes que drôles et même un film de vampires. Il tourne avec les plus grands : Brigitte Bardot (Une ravissant idiote), Jacques Brel (Mon oncle Benjamin, L'emmerdeur), Lino Ventura (Un témoin dans la ville, L'emmerdeur), Philippe Noiret (Les aveux les plus doux), Annie Girardot (La mandarine), Mireille Darc (Le téléphone rose), Alain Delon (L'homme pressé), Jean-Pierre Marielle (Causes toujours tu m'intéresses), Pierre Richard (A gauche en sortant de l'ascenseur), ... Tous ne sont pas des succès mais démontrent une variété de style et une envie de ne pas s'enfermer dans un genre. Qui sait qu'il a filmé Christopher Lee dans Dracula père et fils?
Sommet méconnu, La chasse à l'homme en 1965, guerre des sexes écrite par Michel Audiard, où s'affrontent par répliques cultes interposées Belmondo, Brialy, Blanche et Rich contre Dorléac, Deneuve, Lafont et Laforêt). Classe. C'est que l'autre maître de Molinaro s'appelle Hawks.De Funès trouve là un metteur en scène aussi inventif que lui : Oscar est sans aucun doute l'un des films qui rend le plus hommage au talent du comédien.
Depuis Beaumarchais l'insolent en 1996, il n'avait plus rien tourné pour le cinéma, se consacrant à la télévision. Des téléfilms de prestige toujours dotés de castings étoilés.
Molinaro avait été nommé à l'Oscar du meilleur réalisateur et du meilleur scénario pour La Cage aux folles. Le film avait gagné le Golden Globe du meilleur film étranger. En 1996, il a reçu pour ensemble de son œuvre le prix René-Clair. Pas un César, même d'honneur.
« Doudou » comme il était surnommé ne se contentait pas d'appliquer des formules, d'assembler des castings : il cherchait la bonne manière de faire, peaufinant des scènes a priori anodines, pour ne pas perdre une miette de l'enchaînement qui va faire rire. Il avait raconté sa vie dans ses Mémoires, Intérieur soir : récit, publié en 2009.