Le « scabreux » Week-end d’Andrew Haigh censuré par l’Eglise catholique en Italie

Posté par vincy, le 11 mars 2016

L'homosexualité n'est pas encore un problème réglé en Italie. Alors que Matteo Renzi, Président du Conseil des ministres italien, est parvenu difficilement à faire passer le mariage entre personnes du même sexe il y a moins de deux semaines, le pays vient de connaître un nouvel épisode qui démontre une fois de plus que le Pape est un Chef d'Etat bis dans la péninsule.

L'AFP rapporte que le film Week-end, premier long métrage du Britannique Andrew Haigh (qui a depuis réalisé 45 ans), ne sort cette semaine en Italie que dans 10 salles seulement. L'Eglise catholique, qui contrôle beaucoup de salles indépendantes italiennes, a en effet décidé de boycotter cette histoire d'amour homosexuelle, sortie partout ailleurs en Europe sans heurts.

Pourtant le film est juste interdit aux moins de 14 ans. Cependant, pour la commission d'évaluation de la Conférence des évêques italiens (CEI), il est "déconseillé, inutilisable et scabreux".

L'Eglise contrôle 1100 cinémas indépendants

Conséquence: le film a été refusé par les plus de 1 100 cinémas appartenant à l'Eglise, qui forment l'essentiel du réseau des salles indépendantes du pays, en marge des grandes chaînes d'exploitation, selon son distributeur, Teodora Film.

Ce réseau est un héritage de l'époque où chaque paroisse avait son cinéma et où le prêtre du quartier faisait couper les scènes qu'il jugeait inappropriées. L'AFP précise qu'aujourd'hui ces salles sont louées par les paroisses à des gérants qui, selon Cesare Petrillo, président de Teodora, ne sont pas religieux mais doivent s'engager à suivre les directives des évêques.

"Normalement, un film comme ça aurait été diffusé par beaucoup de ces salles. Mais en fait on n'a pas pu le sortir dans des régions entières et des villes comme Florence, Bergame ou Padoue. Et la seule raison c'est que les personnages principaux sont gays", a dénoncé M. Petrillo à l'AFP.

Réalisé en 2011, Week-end sort en Italie pour profiter du récent succès de 45 ans, qui a valu à Charlotte Rampling une nomination aux Oscars et avait été, lui, validé avec enthousiasme par la CEI.

le club de pablo larrainFilm sur des prêtres pédophiles, El Club a subit le même sort

La commission de la CEI évalue tous les films sortant en Italie, approuvant la majorité mais signalant certains comme "problématiques", en invitant les exploitants à accompagner leur diffusion d'un débat sur les questions qu'ils soulèvent, comme ce fut le cas pour The Danish Girl, sur la pionnière transgenre Lili Elbe, ou Spotlight, sur le scandale des prêtres pédophiles à Boston.

Il est très rare que la commission aille jusqu'à recommander que le film ne soit pas diffusé. Le dernier en date était El Club, du Chilien Pablo Larrain, prix du jury à la Berlinale en 2015, qui immerge le spectateur dans une communauté religieuse au Chili, déstabilisée et traumatisée par un scandale de pédophilie.

On comprend bien que le cinéma, pour l'Eglise catholique en Italie en 2016, ne doit pas aborder les questions de genre, de sexualité "déviante" et surtout ne pas critiquer l'institution religieuse, qui a toujours autant de mal à reconnaître ses erreurs.

Berlin 2015: Ours d’or pour Jafar Panahi et une grande année pour le cinéma chilien

Posté par vincy, le 14 février 2015

taxi

En remportant l'Ours d'or avec son dernier film, Taxi, le cinéaste iranien Jafar Panahi, filmant clandestinement depuis que la justice iranienne lui a interdit de filmer et de sortir du pays en 2010, démontre que la liberté d'expression est une fois de plus sans frontières. Le jury de Darren Aronofsky provoque ainsi les pays où les cinémas sont censurés, et ce, de la plus belle des manières. Panahi et Berlin c'est une grande histoire. Invité d'honneur en 2010, il n'a pas pu s'y rendre. Membre du jury à titre honorifique en 2011, il est toujours bloqué à Téhéran.

Il y a aussi reçu deux Ours d'argent pour Hors-jeu en 2006 et Pardé en 2013. Avec son Lion d'or à Venise en 2000 pour le Cercle, cet Ours d'or est son plus grand prix international.

Trois autres faits marquants sont à noter dans ce palmarès qui, en récompensant par deux fois deux ex-aequo, montre que le jury a trouvé la compétition exceptionnelle.

Le cinéma chilien, déjà bien récompensé depuis hier (Teddy Award pour Sebastian Silva, deux prix pour Patricio Guzman) a fait une belle razzia ce soir au Berlinale Palast. Un Grand prix du jury pour Pablo Larrain (No) avec son nouveau film El club et un prix du scénario pour le documentariste Patrico Guzman avec Le bouton de nacre (lire aussi nos critiques des deux films chiliens). Si l'on ajoute le prix Alfred Bauer pour Ixcanul de Jayro Bustamante qui nous vient du Guatemala, et les deux prix récoltés par la brésilienne Anna Muylaert dans la section Panorama hier, l'Amérique latine a trusté une grande partie des récompenses berlinois.

Deuxième point, l'Ours d'argent pour le meilleur réalisateur partagé entre la polonaise Malgorzata Szumowska (déjà très remarqué pour Elles et Aime et fais ce que tu veux) et le romain Radu Jude (Papa vient dimanche), en plus des deux prix pour la contribution artistique pour un danois (Sturla Brandth Grøvlen), un russe et un ukrainien travaillant tous deux main dans la main (Evgeniy Privin et Sergey Mikhalchuk), l'esthétique qui a séduit le jury venait d'Europe du nord et de l'Est, loin des images de Terrence Malick, Peter Greenaway ou Benoît Jacquot.

Enfin, saluons le double prix d'interprétation de Charlotte Rampling et Tom Courtenay pour leur incarnation d'un couple dans 45 Years d'Andrew Haigh (déjà remarqué avec Week-end). C'est difficile à croire mais c'est la première fois que Rampling remporte un prix d'interprétation dans un des grands festivals internationaux. Courtenay (deux fois nommé aux Oscars) avait déjà reçu une Coupe Volpi à la Mostra de Venise en 1964 (Pour l'exemple, de Joseph Losey).

Le palmarès intégral

Ours d'or: TAXI de Jafar Panahi
Ours d'argent Grand prix du jury: EL CLUB de Pablo Larrain.
Prix Alfred Bauer: IXCANUL de Jayro Bustamante
Ours d'argent du meilleur réalisateur ex-aequo: Malgorzata Szumowska (BODY) et Radu Jude (AFERIM!)
Ours d'argent de la meilleure actrice: Charlotte Rampling (45 YEARS d'Andrew Haigh)
Ours d'argent du meilleur acteur: Tom Courtenay (45 YEARS d'Andrew Haigh)
Ours d'argent du meilleur scénario: Patricio Guzman (LE BOUTON DE NACRE - documentaire)
Ours d'argent pour la meilleure contribution artistique (photographie) ex-aequo : Evgeniy Privin & Sergey Mikhalchuk (UNDER ELECTRIC CLOUDS) et Sturla Brandth Grøvlen (VICTORIA)

Meilleur premier film (toutes sélections confondues): 600 MILLAS (600 Miles) de Gabriel Ripstein (section Panorama)

Ours d'or du meilleur court-métrage: HOSANNA de Na Young-kil
Ours d'argent du meilleur court-métrage: BAD AT DANCING de Joanna Arnow
Prix du jury - Meilleur court-métrage: PLANET ? de Momoko Seto

Berlin 2015 : Panahi, Haigh, Guzman, Larrain, Schipper attendus au palmarès

Posté par MpM, le 14 février 2015

taxi

À moins de 24h de la proclamation du palmarès de la Berlinale 2015, les pronostics et classements des meilleurs moments de cette 65e édition vont bon train.

Pour l'AFP, l'événement le plus marquant de la quinzaine aura été la projection de Taxi de Jafar Panahi, nouveau film clandestin du cinéaste iranien toujours sous le joug d'une interdiction de travailler. Il y sillonne Téhéran à bord d'un taxi dans lequel il fait diverses rencontres. Un candidat solide à un grand prix, ne serait-ce que pour le symbole.

L'agence de presse relève également la prouesse technique de l'Allemand Sebastian Schipper, qui a tourné son film Victoria en un seul et unique plan, soit un plan- séquence de plus de deux heures, et souligne le bon accueil réservé à deux premiers films, Ixcanul du Guatémaltèque Jayro Bustamante, et Sworn Virgin de l'Italienne Laura Bispuri. Le premier raconte l'histoire d'une jeune femme dont les projets de départ sont remis en question quand elle tombe enceinte tandis que le second s'attache au destin d'une jeune Albanaise ayant, selon la coutume, décider de vivre comme un homme pour échapper à un destin d'épouse soumise. Peut-être un prix d'interprétation féminine en perspective ?

Côté presse internationale, 45 years du Britannique Andrew Haigh figure parmi les favoris des critiques recensés dans le quotidien berlinois de Screen international. Les chiliens Le bouton de nacre de Patricio Guzman et El Club de Pablo Larrain sont eux-aussi bien placés (lire notre article). Ils pourraient définitivement se hisser sur l'une des plus hautes marches du palmarès.

Enfin, la surprise pourrait venir de deux films exigeants qui ont leurs adorateurs autant que leurs destructeurs : Knight of cups de Terrence Malick et Eisenstein in Guanajuato de Peter Greenaway, qui l'un comme l'autre mériteraient amplement un prix de mise en scène, ou encore du film russe, Under electric clouds d'Alexey German Jr., vaste fresque poétique et engagée sur la Russie contemporaine.

Face à une compétition aussi ouverte, rien ne semble joué d'avance, et on pourrait fort être surpris par les choix du jury mené par Darren Aronofsky. L'excellente nouvelle, c'est qu'au vu de la qualité de la sélection 2015, il y a peu de chance que le lauréat de ce 65e Ours d'or ne soit pas un film réellement intéressant, à défaut d'être un pur chef d'oeuvre.

Berlin 2015 : Guzman et Larrain montrent les non-dits de la société chilienne

Posté par MpM, le 10 février 2015

le club de pablo larrain

Le hasard de la programmation favorise parfois l'émergence de thématiques, ou au moins de rapprochements et de communauté d'esprit entre les films présentés. Ainsi, après avoir vu coup sur coup deux films chiliens en compétition pour l'Ours d'or, le festivalier berlinois ne peut s'empêcher d'y chercher des similitudes et des échos.

Le bouton de nacre de Patricio Guzman et Le club de Pablo Larrain n'ont a priori en commun que l'origine de leur réalisateur, et témoignent pourtant d'un même désir d'interroger, encore et toujours, l'histoire et les non-dits de leur pays, chacun dans la droite ligne de ses films précédents (le documentaire élégant pour l'un, la fiction minimaliste pour l'autre).

Dans Le bouton de nacre, tout part d'une goutte d'eau emprisonnée dans un bloc de quartz depuis 3000 ans que le réalisateur parvient à rattacher (parfois un peu acrobatiquement) à deux grandes tragédies chiliennes : l'extermination des populations autochtones de Patagonie (le "peuple de l'eau") et l'assassinat de plus 1000 opposants jetés à la mer sans autre forme de procès pendant la dictature. Mêlant images d'archives, témoignages d'Indiens Kawersquar, reconstitution du "largage" des opposants et même superbes images de l'espace, Patricio Guzman (Le cas Pinochetchoisit une voie singulière, presque intime, pour retracer deux des grandes tragédies du Chili.

Avec Le club, Pablo Larrain (No) s'intéresse lui à une petite communauté religieuse retirée à La Boca, petite bourgade de bord de mer, dont la principale occupation semble être d'entraîner un lévrier pour les courses dominicales. Après une séquence d'exposition plutôt enjouée, l'arrivée d'un nouveau membre met au jour le secret de ces hommes d'Eglise qui ont tous un passé criminel à se reprocher.  Avec la complicité de l'Eglise elle-même, soucieuse d'éviter tout mauvaise publicité, ce club très fermé d'anciens pédophiles ou autres complices de la dictature est prêt à toutes les extrémités pour sauvegarder son existence. Et Dieu dans tout ça ? Le cinéaste montre avec lucidité (et une pointe de cynisme) qu'il n'a guère sa place dans une organisation qui couvre les pires exactions de ses membres.

Comme s'ils avaient envie d'appuyer là où ça fait mal, les deux cinéastes livrent un témoignage fort sur la société chilienne et, au-delà, sur les plus gros travers de l'Humanité. C'est non seulement réussi d'un point de vue cinématographique, mais aussi parfaitement adapté aux goûts d'un Festival qui aime à récompenser des œuvres éminemment ancrées dans la réalité. On peut donc tabler sur un ou deux ours venant couronner ce cinéma chilien militant, courageux et brillant.