7 janvier 2015 : tous Charlie

Posté par MpM, le 7 janvier 2015

charlieQuand la fiction traverse l'écran, ce n'est pas toujours pour le meilleur. Depuis plusieurs semaines, le film Timbuktu d'Abderhamane Sissako livre un regard cru et profond sur les exactions des djihadistes au Mali : limitation des libertés individuelles, lapidations, mariages forcés... Au nom d'une religion qu'ils se sont arbitrairement accaparé, les soldats pensent avoir droit de vie et de mort sur leurs concitoyens.

Une réalité lointaine ? L'attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo rappelle que ces exactions nous concernent tous. Aujourd'hui, en France, dessiner et faire rire sont devenus des crimes punis de mort. Aujourd'hui, en France, des hommes sont morts parce qu'ils croyaient en un idéal, celui de la liberté d'expression, mais aussi en une force : celle du rire, pour adoucir les oppositions et faire voler en éclats les barrières et les malentendus, et surtout les haines et les peurs. Il n'existe pas de terme assez fort pour dire l'horreur d'une telle pensée. Il n'existe pas de mot assez virulent pour condamner de tels actes.

Mais attention aux amalgames et aux raccourcis. Les seules personnes à blâmer pour ces assassinats abjects, ce sont leurs auteurs, et ceux qui les ont conditionnés à agir ainsi. Ne prenons pas prétexte de l'attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo pour chercher des boucs émissaires ou stigmatiser une religion ou un groupe d'individus.

Au contraire, prenons exemple sur un autre film, Iranien de Mehran Tamadon (sorti début décembre), pour combattre nos propres angoisses, nos propres fantasmes. Dans ce documentaire étonnant, un rapprochement fugace s'opère entre des hommes que tout semble (à tort) opposer : des mollahs affiliés au régime en place et un cinéaste athé convaincu. Si eux peuvent le temps d'un week-end oublier leurs dissensions pour apprendre à se connaître, pourquoi ne pourrions-nous pas abandonner nous aussi nos préjugés ?

L'art, le dialogue, et souvent l'humour sont les meilleures armes pour repousser l'obscurantisme et mettre en lumière les points communs entre les êtres, plutôt que leurs différences. Parce qu'aujourd'hui, nous sommes tous Charlie, défendons la liberté d'expression, mais aussi le vivre ensemble, la bienveillance et le partage. C'est la seule solution pour résister à la barbarie, la haine et l'obscurantisme qui viennent de s'abattre sur nous.

Iranien de Mehran Tamadon : l’expérience du vivre ensemble

Posté par MpM, le 6 décembre 2014

iranienDepuis mercredi, on peut voir sur quelques écrans (privilégiés) un drôle d'objet cinématographique qui mêle un concept digne de la téléréalité (faire vivre ensemble sous le regard de la caméra une poignée d'individus qui ne se connaissent pas) à une expérience éminemment sérieuse de confrontation d'idées entre des Iraniens partisans du pouvoir religieux en place et le réalisateur, laïc convaincu qui ne cache pas son athéisme.

Mehran Tamadon, dont on avait beaucoup aimé Bassidji en 2010, récidive donc dans sa tentative de dialoguer avec les tenants de la république islamique, à la recherche d'un dénominateur commun qui rende le vivre ensemble possible. L'idée du cinéaste est de raisonner à partir d'une mini-société à l'échelle d'une maison. Dans les chambres, chacun est libre d'afficher ce qu'il souhaite et d'obéir aux règles qui sont les siennes. Mais le salon, espace commun ouvert à tous, doit être organisé dans le respect mutuel de chacun, en respectant les croyances et la liberté de tous les habitants.

Face à cette société utopique, les dissensions mais aussi les points de compromis possibles apparaissent. Le cinéaste remporte peu de victoires (ses interlocuteurs jouent souvent la mauvaise foi) mais il peut se targuer de fissurer le front de certitudes qui s'opposait au départ à lui. Tout comme lui, les Mollahs consentent à adoucir leur doctrine. L'un accepte qu'une certaine photo (qu'il juge choquante) soit affichée dans le salon, l'autre tolère qu'on écoute des chansons alors qu'elles lui semblent néfastes. Sous l'œil discret de la caméra, un petit miracle se fait, et on aperçoit la possibilité d'une entente, presque d'une fraternité entre ces hommes que tout semblait opposer.

Mais bien sûr, ce ne sont pas cinq hommes dans un salon qui changent une société en 48h, et le film n'essaye jamais de nous le faire croire. On sent pourtant que ce pourrait être un début, un premier pas, une étape dans la compréhension réciproque entre individus qui, au fond, se craignent surtout parce qu'ils n'ont pas l'habitude de se parler.

La meilleure preuve de l'importance symbolique de ce genre d'initiative est d'ailleurs donnée dans l'épilogue d'Iranien, lorsque l'on apprend que le réalisateur s'est vu retirer son passeport, puis menacé, suite au tournage, d'être définitivement interdit de sortie du territoire. En effet, ce genre de rapprochement dérange le pouvoir en place, parce qu'il empêche la diabolisation de l'autre et favorise la fraternisation et la tolérance. C'est dire son importance, et l'absolue nécessité de réaliser, et de soutenir, de tels films.