Iranien de Mehran Tamadon : l’expérience du vivre ensemble

Posté par MpM, le 6 décembre 2014

iranienDepuis mercredi, on peut voir sur quelques écrans (privilégiés) un drôle d'objet cinématographique qui mêle un concept digne de la téléréalité (faire vivre ensemble sous le regard de la caméra une poignée d'individus qui ne se connaissent pas) à une expérience éminemment sérieuse de confrontation d'idées entre des Iraniens partisans du pouvoir religieux en place et le réalisateur, laïc convaincu qui ne cache pas son athéisme.

Mehran Tamadon, dont on avait beaucoup aimé Bassidji en 2010, récidive donc dans sa tentative de dialoguer avec les tenants de la république islamique, à la recherche d'un dénominateur commun qui rende le vivre ensemble possible. L'idée du cinéaste est de raisonner à partir d'une mini-société à l'échelle d'une maison. Dans les chambres, chacun est libre d'afficher ce qu'il souhaite et d'obéir aux règles qui sont les siennes. Mais le salon, espace commun ouvert à tous, doit être organisé dans le respect mutuel de chacun, en respectant les croyances et la liberté de tous les habitants.

Face à cette société utopique, les dissensions mais aussi les points de compromis possibles apparaissent. Le cinéaste remporte peu de victoires (ses interlocuteurs jouent souvent la mauvaise foi) mais il peut se targuer de fissurer le front de certitudes qui s'opposait au départ à lui. Tout comme lui, les Mollahs consentent à adoucir leur doctrine. L'un accepte qu'une certaine photo (qu'il juge choquante) soit affichée dans le salon, l'autre tolère qu'on écoute des chansons alors qu'elles lui semblent néfastes. Sous l'œil discret de la caméra, un petit miracle se fait, et on aperçoit la possibilité d'une entente, presque d'une fraternité entre ces hommes que tout semblait opposer.

Mais bien sûr, ce ne sont pas cinq hommes dans un salon qui changent une société en 48h, et le film n'essaye jamais de nous le faire croire. On sent pourtant que ce pourrait être un début, un premier pas, une étape dans la compréhension réciproque entre individus qui, au fond, se craignent surtout parce qu'ils n'ont pas l'habitude de se parler.

La meilleure preuve de l'importance symbolique de ce genre d'initiative est d'ailleurs donnée dans l'épilogue d'Iranien, lorsque l'on apprend que le réalisateur s'est vu retirer son passeport, puis menacé, suite au tournage, d'être définitivement interdit de sortie du territoire. En effet, ce genre de rapprochement dérange le pouvoir en place, parce qu'il empêche la diabolisation de l'autre et favorise la fraternisation et la tolérance. C'est dire son importance, et l'absolue nécessité de réaliser, et de soutenir, de tels films.

Bassidji : le poids des mots, le choc des silences

Posté par Claire Fayau, le 19 octobre 2010

Synopsis de Mehran Tamadon : "Dans un désert, sur une colline, des hommes, des femmes en tchador et des enfants déambulent dans un vaste “musée” en plein air dressé en mémoire des martyrs de la guerre Iran-Irak. C'est le nouvel an iranien, nous sommes près de la frontière irakienne. Un homme me guide. Il est grand et charismatique et s’appelle Nader Malek-Kandi. Pendant près de trois ans, j’ai choisi de pénétrer au cœur du monde des défenseurs les plus extrêmes de la République islamique d'Iran (les bassidjis), pour mieux comprendre les paradigmes qui les animent. Nous venons du même pays, et pourtant, tout nous oppose : Iranien habitant en France, athée et enfant de militants communistes sous le Shah, j’ai tout pour heurter les convictions de ceux qui respectent les dogmes du régime. Un dialogue se noue pourtant. Mais entre les jeux de séduction et de rhétorique, les moments de sincérité et la réalité du système politique et religieux qu'ils défendent, jusqu’où nos convictions respectives sont-elles prêtes à s’assouplir pour comprendre qui est l’autre ?"

Notre avis : "Bassidji", en persan, signifie "être mobilisé pour défendre une cause". Les bassidjis sont, à l’origine, d’anciens combattants de la guerre Iran/Irak (1980-1988). Ceux qui sont morts sont considérés comme des martyrs. Aujourd'hui, les bassidjis sont les plus fervents défenseurs de la République islamique... Décrits ainsi, on ne voit pas bien qui ils sont vraiment, quel est leur rôle au quotidien dans l'Iran d'aujourd'hui. C'est pour cela que Mehran Tamadon est parti les rencontrer.

On ressort sonné(e) de ce documentaire.

Bassidji, ce n'est ni une fiction, ni un reportage sur l'Iran. C'est un projet personnel, un voyage physique et intellectuel. Un témoignage d'une rencontre entre un Iranien de France, athée, "qui boit de l'alcool" et quatre bassidjis. Mehran Tamadon s'est en effet impliqué personnellement, en retournant dans son pays pour tourner ce film et y travailler en tant qu'architecte (son premier métier).

Son film, c'est d'abord une source d'information extraordinaire, un dialogue direct avec les bassidjis et des images fortes de l'Iran : de la ville de Téhéran, des lieux de pèlerinage ...
On y voit des croyants pleurer, pleurer puis se flageller. Images choc, donc, d'autant plus que la scène semble interminable.

Les dialogues avec les quatre bassidjis font moins réagir que les images... Même si Mehran Tamadon pose courageusement ses questions ou les questions enregistrées par des Iraniens, il se fait damner le pion par ses interlocuteurs. Et doit l'accepter, car son but n'est pas de critiquer directement le système, mais de tenter de le comprendre. Et ainsi, il peut dialoguer ouvertement avec les bassidjis, "des gens qui ne s'expriment habituellement que dans les limites du discours officiel" selon lui.

Cependant, même avec les meilleures intentions du monde, il est difficile pour lui d'avoir un dialogue équitable et des réponses précises avec des orateurs dotés d'un discours sans faille, qui pensent toujours pouvoir le convertir à leurs idées. Mais peu importe, car leurs réponses (forcément biaisées) en disent finalement bien plus sur leur état d'esprit qu'un dialogue faussement ouvert.

Bassidji a fait des débuts remarqués aux Etats généraux du film Documentaire de Lussas et au Festival des 3 continents de Nantes en 2009. Depuis, il continue son chemin de festivals en festivals. Le film a d'ailleurs obtenu le Grand Prix du  Festival international du Film Documentaire de Jihlava (République Tchèque).

Nantes 2009 : voix d’Iran

Posté par MpM, le 30 novembre 2009

BassidjiPremier film en compétition au Festival des 3 continents de Nantes, le documentaire Bassidji suit le réalisateur Mehran Tamadon (un Iranien vivant en France) qui a décidé d’aller à la rencontre des "Bassidji" (les membres des forces paramilitaires iraniennes créées au moment de la guerre Iran-Irak et qui aujourd’hui font partie des Gardiens de la Révolution islamique) pour tenter de comprendre leur point de vue. Derrière et devant la caméra se rejoue une confrontation digne de Socrate et de ses grands amis les Sophistes.

Si ce n’est qu’à la différence de son illustre prédécesseur,  Mehran Tamadon ne parvient ni à mettre ses adversaires face à leurs contradictions, ni à leur faire partager son point de vue. Aux questions concrètes de plusieurs Iraniens, posées par l’intermédiaire du réalisateur (sur le voile ou la posture d’éternelle victime adoptée par le régime), les Bassidji ne répondent pas vraiment, ou s’empêtrent dans de longs discours théoriques.

Mais peu importe, car le film vaut presque plus pour ce qu’ils ne disent pas, pour cette manière qu’ils ont de ne pas répondre aux questions qui les dérangent ("Ce n’est pas logique", s’emportent-ils. Ou alors : "On s’écarte du sujet"), que par leurs propos, forcément propagandistes. On loue le courage et l’intelligence du réalisateur qui a fait l’effort de provoquer ce débat et d’offrir ainsi un regard intérieur sur une réalité très prégnante du pays.

 Iran et sexualité

Comme en écho, au Lieu unique de Nantes, une installation vidéo est consacrée à l’artiste iranienne Mitra Farahani. Elle aussi vivait en France jusqu’à il y a peu. En juin Tabousdernier, elle a été arrêtée à Téhéran dès sa descente d’avion, maintenue deux semaines en détention puis libérée suite à la mobilisation internationale. Depuis, elle jouit d’une relative liberté mais ne peut pas quitter le territoire, et n’est pas sûre de pouvoir tourner son prochain film, Le coq, écrit dans le cadre de la Cinéfondation du Festival de Cannes.

Outre quelques-unes de ses toiles, on découvre dans cette exposition plusieurs de ses films. Le temps suspendu, sur la peintre iranienne Bejat Sadr. Juste une femme, un documentaire suivant une transsexuelle prostituée à Téhéran. Et Tabous, sorti en France en 2004, enquête gonflée sur le rapport secret que la société iranienne entretient avec la sexualité. Comme son compatriote Tamadon, Mitra Farahani recueille la parole sans la commenter, dans un rôle "d’accoucheuse" plus que d’exégète.

On y entend toutes les voix, de la prostituée qui reste vierge ( !) dans l’optique de se marier un jour au chirurgien spécialiste de la "reconstruction" des hymens, en passant par une mère de famille vantant les mérites de la pureté ou une jeune fille (anonyme) avouant une grande liberté sexuelle. Toutes ces voix et ces points de vue mêlés forment un étonnant portrait de l’Iran d’aujourd’hui, obsédé par les lois morales qui le régissent et pourtant avide d’ouverture et de liberté, contraint et harcelé, mais pas réduit au silence. Malgré le poids des traditions, cette parole libre et audacieuse fait souffler comme un petit vent d'espoir, et apporte un contrepoint salutaire et passionnant au prêchi-prêcha des Bassidji de Tamadon.