Delphine de Vigan dans son dernier roman, le si bien nommé D'après une histoire vraie (Lattès), mettait en exergue cette fascination pour les œuvres artistiques dont l'origine était le réel.
"[Les gens] ont leur dose de fables et de personnages, ils sont gavés de péripéties, de rebondissements. Les gens en ont assez des intrigues bien huilées, de leurs accroches habiles et de leurs dénouements. Les gens en ont assez des marchands de sable ou de soupe, qui multiplient les histoires comme des petits pains pour leur vendre des livres, des voitures ou des yaourts. Des histoires produites en nombre et déclinables à l'infini (...). Ils attendent du Vrai, de l'authentique, ils veulent qu'on leur raconte la vie."
Est-ce pour cela que le cinéma, après avoir adapté deslivres, des opéras, des comédies musicales, des séries télévisées et des jeux vidéos, s'empare avec gourmandise de films tirés d'une "histoire vraie", inspirés "de faits réels" ou "très autobiographiques" comme l'énumère De Vigan.
"Une forme de curiosité"
Dans son roman, l'écrivaine explique dans un exercice dialectique que "Cette simple étiquette suffit à susciter de ta part une attention différente, une forme de curiosité que nous avons tous (...) pour le fait divers? (...) Le réel, si tant est qu'il existe, qu'il soit possible de le restituer, le réel (...) a besoin d'être incarné, d'être transformé, d'être interprété. Sans regard, sans point de vue, au mieux, c'est chiant à mourir, au pire, c'est totalement anxiogène. Et ce travail-là, quel que soit le matériau de départ, est toujours une forme de fiction."
La fille de Brest est typique de ce qu'évoque De Vigan: un matériau d'origine chiant (une enquête médicale sur un médicament) mais très utile transformé en enquête / thriller où David/une pneumologue affronte Goliath/les Laboratoires Servier. Seul dans Berlin prend racine dans un roman sur le quotidien de Berlinois pendant la guerre, lui-même inspiré par la véritable histoire d'un couple de résistants pacifique. Même le très factice d'Alliés est inspiré d'une histoire vraie (que le scénariste a très fortement romancé).
Le temps raccourci
Le cinéma ne cherche même plus à attendre: Snowden, Argo, Les saveurs du Palais, Erin Brockovitch, Intouchables, The Social Network... les protagonistes sont encore en vie. Des biopics aux histoires extraordinaires. Aux Oscars cette année, Spotlight, The Revenant, The Big Short et The Room étaient tous issus du "réel". Même le cinéma français s'y met, d'Ilan Halimi aux moines de Tibhirine, l'actualité récente n'est plus tabou.
Le box office donne raison à De Vigan. Ces films séduisent et une dizaine d'entre eux se classe régulièrement chaque année parmi les films ayant attiré plus de 500000 spectateurs.
Comme en littérature, le documentaire et la fiction se mélangent. La fiction reste le genre majeur. Mais la base documentaire semble de plus en plus prégnante. Parfois pour réhabiliter un individu, pour rétablir des faits, pour propager un message disons politique, pour expliquer un scandale ou même réparer une erreur de jugement.
A l'image de Sully, où Eastwood n'hésite pas à reconstituer un crash sous toutes ses coutures techniques, ou de La fille de Brest où Bercot fait un exercice peu évident de pédagogie sanitaire. Mais dans les deux cas, ce qui est intéressant c'est bien l'aspect romanesque, la dimension psychologique du pilote de l'avion ou de la pneumologue qui en font un film de cinéma et une œuvre parfaitement intégrée dans la filmographie des deux cinéastes.