Mireille Darc (1938-2017) : le départ de la grande blonde

Posté par MpM, le 28 août 2017

C'est bien la première fois que Mireille Darc ne nous aura fait ni sourire, ni fondre. L'inoubliable héroïne du Grand blond avec une chaussure noire, dans lequel elle portait cette fameuse robe noire dénudant vertigineusement le dos, vient de disparaître à l'âge de 79 ans, laissant orphelin le cinéma français qui aura décidément payé un lourd tribu cet été.

Quand on pense à Mireille Darc, c'est tout un pan du cinéma des années 60 et 70 qui vient immédiatement à l'esprit. La grande sauterelle (ça restera son surnom), Des pissenlits par la racine (elle y incarne Rockie la braise, ça ne s'invente pas), La blonde de Pékin, Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause, Fleur d'oseille, Fantasia chez les ploucs... même les titres sont évocateurs d'une époque et d'une certaine forme de cinéma.

C'est que Mireille Darc faisait partie de la "bande" de Michel Audiard et surtout de Georges Lautner, avec lequel elle tourna 13 films, dont le monument Les barbouzes en 1964, avec Lino Ventura, Bernard Blier ou encore Francis Blanche, mais aussi Les bons vivants (1965) ou encore Ne nous fâchons pas (1966). Elle tourna également avec Jean Giraud (Pouic Pouic, son premier grand rôle au cinéma), Edouard Molinaro (La chasse à l'homme, le téléphone rose...), Jean-Luc Godard (Week-end), Jacques deray (Borsalino) et bien sûr Yves Robert (Le grand blond...).

En tout une cinquantaine de longs métrages où elle apparaissait en femme fatale bienveillante ou en sex-symbol accessible, souvent drôle et malicieuse, dans des comédies policières loufoques ou des parodies décalées. Elle était ainsi le symbole d'une féminité émancipée et joyeuse, mais aussi d'une certaine force de caractère. A la fois populaire et mythique, libérée et rassurante, drôle et sensuelle.

Dans les années 80, une opération à coeur ouvert et un grave accident de voiture interrompent sa carrière. Elle tournera malgré tout son premier long métrage en tant que réalisatrice (La Barbare, en 1986) et apparaîtra une dernière fois chez Lautner, pour un petit rôle non crédité (La vie dissolue de Gérard Floque, en 1986). Ensuite, c'est la télévision qui lui fait un pont d'or, avec notamment les séries Coeurs brûlés (1992),  Les yeux d'Hélène (1994), Terre indigo (1996)...

La réaction la plus touchante à l'annonce de son décès est celle de Pierre Richard, son partenaire dans Le grand blond... : "Plus je suis triste, moins j'ai envie de parler… et là, je suis abattu par la disparition de Mireille…"

Georges Lautner (1926-2013) : les tontons, Monocle, Guignolo et autres barbouzes orphelins

Posté par MpM, le 23 novembre 2013

Georges Lautner 1966Georges Lautner semblait destiné au cinéma. A l'âge de sept ans, il déménage à Paris pour suivre sa mère qui s'apprête à commencer une carrière cinématographique. Marie-Louise Vittore, plus connue sous le pseudonyme Renée Saint-Cyr (elle apparaîtra sous ce nom dans une dizaine de films de son fils), connaît un succès certain avec Les deux orphelines de Maurice Tourneur et enchaîne les tournages avec René Clair, Jean Grémillon, Christian-Jacques... ce qui amène le jeune Georges à fréquenter assidument les milieux cinématographiques et les salles obscures.

Son bac en poche, après la libération de Paris, il commence une série de petits boulot liés au cinéma, dont décorateur sur La Route du Bagne de Léon Mathot. Il fait ensuite son service militaire, ce qui lui vaut un stage de projectionniste 16 mm puis un passage au service cinématographique des armées de Paris. Fort de ces expériences, il devient second assistant-réalisateur (notamment auprès de Sacha Guitry pour Le Trésor de Cantenac en 1949) et s'oriente peu à peu vers une carrière de cinéaste, après quelques apparitions devant la caméra qui lui confirment qu'il est trop timide pour être acteur.

C'est en 1958 qu'il trouve l'occasion de réaliser son premier long métrage, La Môme aux boutons, un échec commercial cuisant. Georges Lautner considérera toujours le suivant, Marche ou crève, comme son véritable premier film. Tout en faisant ses armes derrière la caméra, Georges Lautner rencontre peu à peu ceux qui l'accompagneront pendant une partie de sa carrière : l'acteur Bernard Blier, le scénariste et journaliste Pierre Laroche (avec lequel il collabore à cinq reprises) et surtout le directeur de la photographie Maurice Fellous.

Son premier succès commercial a lieu en 1961 avec Le monocle noir, une parodie d'espionnage qui met en scène Paul Meurisse dans le rôle du Monocle. Deux autres volets suivront : L'oeil du monocle en 1962 et surtout Le monocle rit jaune en 1964. Summum de la parodie des films d'espionnage, situé à Hong Kong, le film est un régal d'aphorismes ("Il est toujours bon, jeune homme, d'être en guerre avec les Anglais", "Voyez-vous, Major, plus je vois ces Chinois, plus je me dis : Mon Dieu, qu'ils sont Français...", "Mon nom de baptême est Théobald, je vous autorise à m'appeler... Mon Commandant", etc.), de situations décalées et de fusillades excentriques. Il doit sans doute beaucoup aux dialogues de Michel Audiard qui collabore pour la deuxième fois à un film de Lautner.

Leur première collaboration est restée à tout jamais dans les annales : Les tontons flingueurs, film noir hilarant où les gangsters ont de belles manières et le sens de la formule (la moitié des répliques sont restées dans les mémoires aujourd'hui encore alors qu'on fête son 50e anniversaire), restera probablement le film le plus connu de Georges Lautner (à son grand dam). En plus de réunir un casting 5 étoiles : Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche..., il condense tout ce qui fait le sel du cinéma de Lautner : personnages charismatiques, sens de la formule, intrigue centrale prétexte à de nombreux rebondissements décalés, gros plans qui mettent en valeur le jeu des acteurs, découpage serré qui dynamise l'action...

Dans le genre, le cinéaste signera un autre film culte, Les barbouzes, qui réunit à nouveau les acteurs des Tontons, et leur adjoint la blonde Mireille Darc, véritable égérie de Lautner (on la retrouve dans Ne nous fâchons pas, Galia, Les pissenlits par la racine, La grande sauterelle...).

Le succès de Lautner se confirme dans les années 70 avec Il était une fois un flic, La valise, Quelques messieurs trop tranquilles... Après avoir offert un rôle à Jean Gabin dans Le Pacha, le réalisateur continue de tourner avec les plus grands : Jean-Pierre Marielle, Jean Yanne, Pierre Richard, Alain Delon et même Jean-Paul Belmondo avec lequel il se lie d'amitié. Les deux hommes tourneront ensemble Flic ou voyou, Le professionnel, Le Guignolo, Joyeuses Pâques...

Le succès de Lautner se dément un peu dans les années 80 où il alterne échecs commerciaux et succès relatifs. Fidèle à lui-même, il tourne avec Aldo Maccione (Le cow-boy), Michel Serrault (La cage aux folles 3), Patrick Bruel (La maison assassinée), Jean Carmet (L'invité surprise), Michel Galabru (Room service), et même Robert Mitchum (Présumé dangereux). En 1992, il met un terme à sa carrière (une quarantaine de films en 60 ans) avec L'inconnu dans la maison, librement adapté du roman de Georges Simenon, et qui sera une déception d'un point de vue commercial. Depuis, il s'était retiré à Grasse, dans un moulin appartenant à sa famille.

Malmené par la critique tout au long de sa carrière, Georges Lautner avait pourtant offert ses lettres de noblesse à un genre, la série B, qui a depuis inspiré plusieurs générations de cinéphiles et de réalisateurs. Aussi, peut-être serait-il légèrement ironique devant le torrent d'éloges qui accompagnent l'annonce de son décès : Aurélie Filipetti, ministre de la Culture, voit en lui un "inoubliable scénariste et réalisateur de grands films rassembleurs" ; "Il a fait tourner les plus grands et rire tout le monde. C'était un homme délicieux, d'une modestie charmante et d'un métier sûr. Merci, Georges", souligne Gilles Jacob ; Philippe Labro, journaliste, romancier et cinéaste, salue le "formidable professionnel qui est allé au plus grand public" ; le Premier ministre Jean-Marc Ayrault fait quant à lui part de sa "grande tristesse" face à la mort de celui dont le "cinéma fut le modèle du cinéma populaire, que des générations de Français connaissent en le redécouvrant toujours avec bonheur car il est profondément ancré dans notre patrimoine cinématographique".

Ceux qui l'ont bien connu ne sont pas en reste : Claude Rich se souvient avec émotion de celui qui le fit tourner dans Les tontons flingueurs : "Georges Lautner était un metteur en scène du rire de qualité, avec à son actif des films comiques et amusants mais jamais vulgaires" et rappelle que personne "ne s'imaginait décrocher un tel succès. On pensait que ça resterait un film de série B. On s'est rendu compte très vite que ça devenait un film important". "Merci Georges, le cinéma est bien triste ce soir" a de son côté déclaré Patrick Bruel qui avait joué dans La maison assassinée en 1987.

Mais la meilleure oraison funèbre figurait déjà en filigrane dans Le monocle rit jaune en 1964. Aussi, paraphrasant à la fois Bossuet et Audiard,  conclurons-nous par ces mots : "Ô nuit désastreuse, Ô nuit effroyable où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle, Georges Lautner se meurt, Georges Lautner est mort. Aujourd'hui, le panthéon cinématographique, par les milliers de témoignages qui affluent, l'accueille pour l'éternité."

Ainsi s’en va Annie Girardot (1931-2011)

Posté par MpM, le 28 février 2011

Annie GirardotLes témoignages affluent suite à la disparition d'Annie Girardot. Pour Line Renaud, c'était "un monument du cinéma français, une immense actrice, très instinctive et toujours juste". Elle se souvient avec émotion et humour du film qu'elles avaient tourné ensemble en 1995, Les filles du Lido. "Depuis, on se surnommait Les Gourdasses en souvenir du tournage."

Mireille Darc ne tarit pas d'éloges : "Annie était une très, très grande. Jouer avec elle était un éblouissement. Elle était étonnante. Elle aimait la vie. Annie était une femme de coeur et était généreuse. Pour moi, c'était plus qu'un modèle sur le plan artistique. Annie pouvait incarner tous les rôles. En Italie, j'ai habité chez elle. C'était quelqu'un d'extraordinaire qui dévorait la vie."

Quant à Bertrand Blier, il se dit "sous le choc". "Les Français s'en souviennent comme d'une actrice qui avait joué dans beaucoup de comédies, elle avait pris un virage très populaire après Rocco et ses frères. Mais elle était pleine d'émotion et de souffrance. Elle craquait facilement, comme sur la scène des César".

En 1996, l'actrice avait en effet suscité une violente émotion en recevant le César du meilleur second rôle féminin pour sa composition dans Les Misérables de Claude Lelouch, après une longue absence des écrans. En pleurs,  elle avait lancé au public : "Je ne sais pas si j'ai manqué au cinéma français mais à moi, le cinéma français a manqué follement... éperdument... douloureusement. (...) Et votre témoignage, votre amour me font penser que peut-être, je dis bien peut-être, je ne suis pas encore tout à fait morte."

Après cela, elle a continué à tourner (Ceci est mon corps de Rodolphe Marconi, La pianiste puis Caché de Michael Haneke, C'est beau une ville la nuit de Richard Bohringer...) jusqu'à ce que la maladie d'Alzheimer ne la rattrape. En 2008, elle apparaît une dernière fois dans le documentaire de Nicolas Baulieu Ainsi va la vie où elle délivre un message d'adieu à la fois sobre et poignant.

Elle voulait que l'on se souvienne à sa place des films qu'elle avait tournés, si nombreux, et avec de si prestigieux réalisateurs : Marcel Carné, Marc Allégret, Marco Ferreri, Luchino Visconti, Jean Delannoy, Mario Monicelli, Philippe de Broca, Michel Audiard, Luigi Comencini, Claude Lelouch, Bertrand Blier, Michael Haneke... Et bien sûr, certains de ses personnages sont entrés depuis longtemps dans le panthéon du cinéma. A commencer par Nadia, la prostituée de Rocco et ses frères, aux côtés d'Alain Delon et surtout de Renato Salvatori, celui qui allait devenir le grand amour sa vie.