Robert Hirsch (1925-2017), un monstre sacré oublié par le cinéma

Posté par vincy, le 16 novembre 2017

Robert Hirsch était considéré à juste titre comme un des monstres sacrés du théâtre français. Il est décédé ce jeudi 16 novembre à l'âge de 92 ans à Paris, a annoncé Francis Nani, directeur du théâtre du Palais-Royal.

La scène était sa religion. 65 ans de carrière sur les planches. Une banale chute à son domicile et son cœur a lâché. Danseur de formation, élève du Conservatoire, Sociétaire de la Comédie française durant 22 ans, il cherchait encore un rôle à jouer. Lui qui avait tout incarné: Arlequin, son personnage emblématique, Scapin, Néron, Tartuffe, Richard III, ... De Shakespeare à Feydeau, de Brecht à Guitry, de Beckett à Goldoni, de Pinter à Zeller, il s'était glissé dans les textes les plus variés. Plusieurs fois "moliérisé" (un record de 5 Molière en plus d'un Molière d'honneur), sachant avec précision la limite entre le grotesque et la caricature, jouant les failles humaines avec la même délectation que leur ridicule, Hirsch se lançait sur les planches comme un nageur sautait dans le vide du haut de son plongeoir, profitant ensuite de chaque phrase, de chaque émotion avec gourmandise.

Charismatique au théâtre, il fut sans doute effrayant pour le cinéma. Il laisse derrière lui de multiples seconds-rôles. Guitry (Si Versailles m'était conté), Decoin (Les intrigantes), Delannoy (Notre-Dame de Paris, Maigret et l'affaire Saint-fiacre), Allégret (En effeuillant la marguerite) lui donnèrent des miettes, des personnages secondaires et séducteurs. Car il était beau, jeune.

Dans les années 1960, il fait quelques petits tours chez Yves Robert (Monnaie de singe), Michel Deville (Martin Soldat), et Alex Joffé (Pas question le samedi, dans lequel il interprète 13 personnages, une prouesse). Et ça ne va pas plus loin après: dans les années 1980, il ne tourne qu'un seul film, La crime de Philippe Labro. Il faut finalement attendre le crépuscule de sa vie pour que les grands cinéastes de leur temps imprime son visage vieillissant sur la pellicule.

Sa vie est un théâtre

Hiver 54, l'abbé Pierre en 1990 de Denis Amar, qui lui vaut son unique César, celui du meilleur second-rôle, hochet de consolation ou de pardon d'un 7e art qui l'a oublié. Suivent Mon homme en 1995 de Bertrand Blier, Mortel transfert en 2001 de Jean-Jacques Beinex, Une affaire privée en 2002 de Guillaume Nicloux, et il y a deux ans, L'antiquaire de François Margolin.

Le petit écran aura été presque plus généreux, notamment en diffusant ses pièces les plus populaires comme Un fil à la patte ou les plus marquantes telles Kean, un roi de théâtre.

Robert Hirsch était un Roi de théâtre et un fantassin du cinéma. Il ne vivait que pour le théâtre, entretenant sa mémoire, refusant l'oreillette. De la trempe des Michel Bouquet, il sortait peu, haïssait les mondanités. "Le théâtre, c'est ce qui me fait vivre. De là sont venues mes plus grandes joies et mes plus grandes déceptions. J'ai été heureux pendant un moment dans ma vie privée, mais ce n'est jamais passé avant le théâtre" lui qui ne disait rien de sa vie privée.

Naturellement drôle, et même plaisantin, il rappelait que son premier coup de foudre fut la danse. La scène était dans son sang. "Quand je ne joue pas, je ne fais rien. Je suis complètement inutile. Je ne m'ennuie pas, mais je ne sers à rien. Je regarde beaucoup la télé, je dors très mal alors je passe la nuit devant Planète, Nat Geo Wild. Et je me lève à 14 heures ! Je sors très peu. Je donne sur scène, après faut plus me demander" rappelait-il il n'y a pas si longtemps à la sortie d'une représentation. Il ne donnera plus rien.

Georges Lautner (1926-2013) : les tontons, Monocle, Guignolo et autres barbouzes orphelins

Posté par MpM, le 23 novembre 2013

Georges Lautner 1966Georges Lautner semblait destiné au cinéma. A l'âge de sept ans, il déménage à Paris pour suivre sa mère qui s'apprête à commencer une carrière cinématographique. Marie-Louise Vittore, plus connue sous le pseudonyme Renée Saint-Cyr (elle apparaîtra sous ce nom dans une dizaine de films de son fils), connaît un succès certain avec Les deux orphelines de Maurice Tourneur et enchaîne les tournages avec René Clair, Jean Grémillon, Christian-Jacques... ce qui amène le jeune Georges à fréquenter assidument les milieux cinématographiques et les salles obscures.

Son bac en poche, après la libération de Paris, il commence une série de petits boulot liés au cinéma, dont décorateur sur La Route du Bagne de Léon Mathot. Il fait ensuite son service militaire, ce qui lui vaut un stage de projectionniste 16 mm puis un passage au service cinématographique des armées de Paris. Fort de ces expériences, il devient second assistant-réalisateur (notamment auprès de Sacha Guitry pour Le Trésor de Cantenac en 1949) et s'oriente peu à peu vers une carrière de cinéaste, après quelques apparitions devant la caméra qui lui confirment qu'il est trop timide pour être acteur.

C'est en 1958 qu'il trouve l'occasion de réaliser son premier long métrage, La Môme aux boutons, un échec commercial cuisant. Georges Lautner considérera toujours le suivant, Marche ou crève, comme son véritable premier film. Tout en faisant ses armes derrière la caméra, Georges Lautner rencontre peu à peu ceux qui l'accompagneront pendant une partie de sa carrière : l'acteur Bernard Blier, le scénariste et journaliste Pierre Laroche (avec lequel il collabore à cinq reprises) et surtout le directeur de la photographie Maurice Fellous.

Son premier succès commercial a lieu en 1961 avec Le monocle noir, une parodie d'espionnage qui met en scène Paul Meurisse dans le rôle du Monocle. Deux autres volets suivront : L'oeil du monocle en 1962 et surtout Le monocle rit jaune en 1964. Summum de la parodie des films d'espionnage, situé à Hong Kong, le film est un régal d'aphorismes ("Il est toujours bon, jeune homme, d'être en guerre avec les Anglais", "Voyez-vous, Major, plus je vois ces Chinois, plus je me dis : Mon Dieu, qu'ils sont Français...", "Mon nom de baptême est Théobald, je vous autorise à m'appeler... Mon Commandant", etc.), de situations décalées et de fusillades excentriques. Il doit sans doute beaucoup aux dialogues de Michel Audiard qui collabore pour la deuxième fois à un film de Lautner.

Leur première collaboration est restée à tout jamais dans les annales : Les tontons flingueurs, film noir hilarant où les gangsters ont de belles manières et le sens de la formule (la moitié des répliques sont restées dans les mémoires aujourd'hui encore alors qu'on fête son 50e anniversaire), restera probablement le film le plus connu de Georges Lautner (à son grand dam). En plus de réunir un casting 5 étoiles : Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche..., il condense tout ce qui fait le sel du cinéma de Lautner : personnages charismatiques, sens de la formule, intrigue centrale prétexte à de nombreux rebondissements décalés, gros plans qui mettent en valeur le jeu des acteurs, découpage serré qui dynamise l'action...

Dans le genre, le cinéaste signera un autre film culte, Les barbouzes, qui réunit à nouveau les acteurs des Tontons, et leur adjoint la blonde Mireille Darc, véritable égérie de Lautner (on la retrouve dans Ne nous fâchons pas, Galia, Les pissenlits par la racine, La grande sauterelle...).

Le succès de Lautner se confirme dans les années 70 avec Il était une fois un flic, La valise, Quelques messieurs trop tranquilles... Après avoir offert un rôle à Jean Gabin dans Le Pacha, le réalisateur continue de tourner avec les plus grands : Jean-Pierre Marielle, Jean Yanne, Pierre Richard, Alain Delon et même Jean-Paul Belmondo avec lequel il se lie d'amitié. Les deux hommes tourneront ensemble Flic ou voyou, Le professionnel, Le Guignolo, Joyeuses Pâques...

Le succès de Lautner se dément un peu dans les années 80 où il alterne échecs commerciaux et succès relatifs. Fidèle à lui-même, il tourne avec Aldo Maccione (Le cow-boy), Michel Serrault (La cage aux folles 3), Patrick Bruel (La maison assassinée), Jean Carmet (L'invité surprise), Michel Galabru (Room service), et même Robert Mitchum (Présumé dangereux). En 1992, il met un terme à sa carrière (une quarantaine de films en 60 ans) avec L'inconnu dans la maison, librement adapté du roman de Georges Simenon, et qui sera une déception d'un point de vue commercial. Depuis, il s'était retiré à Grasse, dans un moulin appartenant à sa famille.

Malmené par la critique tout au long de sa carrière, Georges Lautner avait pourtant offert ses lettres de noblesse à un genre, la série B, qui a depuis inspiré plusieurs générations de cinéphiles et de réalisateurs. Aussi, peut-être serait-il légèrement ironique devant le torrent d'éloges qui accompagnent l'annonce de son décès : Aurélie Filipetti, ministre de la Culture, voit en lui un "inoubliable scénariste et réalisateur de grands films rassembleurs" ; "Il a fait tourner les plus grands et rire tout le monde. C'était un homme délicieux, d'une modestie charmante et d'un métier sûr. Merci, Georges", souligne Gilles Jacob ; Philippe Labro, journaliste, romancier et cinéaste, salue le "formidable professionnel qui est allé au plus grand public" ; le Premier ministre Jean-Marc Ayrault fait quant à lui part de sa "grande tristesse" face à la mort de celui dont le "cinéma fut le modèle du cinéma populaire, que des générations de Français connaissent en le redécouvrant toujours avec bonheur car il est profondément ancré dans notre patrimoine cinématographique".

Ceux qui l'ont bien connu ne sont pas en reste : Claude Rich se souvient avec émotion de celui qui le fit tourner dans Les tontons flingueurs : "Georges Lautner était un metteur en scène du rire de qualité, avec à son actif des films comiques et amusants mais jamais vulgaires" et rappelle que personne "ne s'imaginait décrocher un tel succès. On pensait que ça resterait un film de série B. On s'est rendu compte très vite que ça devenait un film important". "Merci Georges, le cinéma est bien triste ce soir" a de son côté déclaré Patrick Bruel qui avait joué dans La maison assassinée en 1987.

Mais la meilleure oraison funèbre figurait déjà en filigrane dans Le monocle rit jaune en 1964. Aussi, paraphrasant à la fois Bossuet et Audiard,  conclurons-nous par ces mots : "Ô nuit désastreuse, Ô nuit effroyable où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle, Georges Lautner se meurt, Georges Lautner est mort. Aujourd'hui, le panthéon cinématographique, par les milliers de témoignages qui affluent, l'accueille pour l'éternité."