Edito: Chacun pour soi, Dieu s’en fout

Posté par redaction, le 25 février 2016

Vous imaginez bien que cet édito n'était pas celui qui était prévu. On voulait parler des Ours de Berlin, des César du Châtelet, des Oscars d'Hollywood. Du glam, du gold, du glorious. Il y avait tant à dire. Une Berlinale engagée et activiste. Des César au coeur de polémiques (quoi, certains films français ne sont pas dans le "fameux" coffrets?). Des Oscars accusés de discrimination. Mais bon en attendant le grand soir qui couronnera Leonardo DiCaprio, il y a quelque chose de pourri dans cet hiver. Les décès se succèdent à un rythme effrayant. Dernier tombé pour la Culture, François Dupeyron.

Cinéaste en marge du système, il avait préféré écrire des romans plutôt que d'enchaîner les refus de financement de ses projets cinématographiques. Si ses films portaient toujours une forme d'espérance et de foi en la vie, cette chienne de vie qui nous font des bâtons dans les roues, le réalisateur lui désespérait de voir le monde se fracturer sous ses yeux, les Hommes devenir de plus en plus individualistes. Il en a eu des déceptions. Malgré la reconnaissance (César et grands festivals), François Dupeyron a du contourner un peu le système pour que certains films se fassent et même puissent sortir, à l'instar d'Inguélezi (lire notre entretien avec Marie Payen la comédienne principal du film). Mais après des années de déseouvrement, il avait décidé d'exprimer sa rancoeur sur la place publique au moment de la sortie de Mon âme par toi guérie, en 2013 (lire le texte complet).

"La dernière fois qu’une chaîne publique a mis de l’argent dans un de mes films, c’est en 2003. Ca va faire dix ans qu’on me refuse tout !" Et de tout balancer: le système totalitaire qui dépend de la télévision, cette inculture générale, ce nivellement par le bas, ce formatage global.
"Toutes ces dernières années, j’ai essayé un peu de comprendre, je me suis dit qu’ils avaient peut-être raison, que mes scénarios étaient trop ci, ça. J’ai essayé plusieurs styles, plusieurs genres. Et j’ai compris qu’il n’y a rien à comprendre. J’ai perdu mon temps. Depuis quelques années, la mode est aux fiches de lecture. Je ne sais pas qui lit, des jeunes gens sans doute, pas très bien payés. J’en ai demandé deux, pour deux scénarios, pour voir… Deux fois, j’ai eu droit à « Sujet non traité. » Je n’invente pas, « Sujet non traité ». Etait-ce le même lecteur ? Voilà où on en est. Tu ouvres le coffret des Césars, à part trois ou quatre films, tous les autres se ressemblent. Mais le sujet est traité. Merde, le cinéma, c’est pas ça ! C’est même tout le contraire…" expliquait-il.

Dupeyron ne pensait pas savoir écrire, alors il voulait filmer. "Moi, j’ai découvert la vie avec le cinéma, j’ai découvert les hommes, les femmes" disait-il. "Maintenant, je suis sec, ils ont gagné, mais ils n’auront pas ma peau. (...) Je suis marqué au rouge. « Dupeyron, on aime beaucoup ce qu’il fait, mais pas ça. » C’est le refrain, dès que je l’entends, je crains la suite. Alors, puisqu’on ne veut plus de moi, je me tire. Et personne ne s’en apercevra parce que le monde n’a pas besoin de moi pour tourner, et c’est très bien comme ça."

Nous on aimait bien les films de François Dupeyron, sa manière de capter des personnages qui essayaient de ne pas sombrer, son goût pour les décors et les regards. On se souviendra d'une Deneuve en manteau de fourrure errant la nuit sur une aire d'autoroute comme du visage lumineux et bienveillant de Sabine Azéma au Val de Grâce, du sourire un peu triste de Céline Sallette sous le soleil de la Riviera ou de l'allure charismatique d'Omar Sharif dans les rues de Paris.

Rappelons nous alors la phrase d'Annie Girardot aux César: "Je ne sais pas si j'ai manqué au cinéma français, mais le cinéma français m'a manqué. Follement, éperdument, douloureusement." Espérons que les témoignages d'affection seront autant de preuves d'amour posthume. Car, Dupeyron est là, tout à fait mort.

Cannes Classics 2015 : Rocco et ses frères de Luchino Visconti (1960)

Posté par vincy, le 17 mai 2015

Voici un grand classique du cinéma européen qui sera présenté ce soir au Festival de Cannes dans le cadre de Cannes Classics: Rocco et ses frères, en version longue inédite et restaurée. Luchino Visconti a imaginé l'histoire à la fin des années 50, alors que les Italiens du sud fuyaient vers le nord du pays pour trouver du travail, notamment en lisant Le Christ s'est arrêté à Eboli de Carlo Levi. Avec ce contexte très réaliste, le cinéaste, qui sera quelques années plus tard Palme d'or à Cannes pour Le Guépard, traverse les grands thèmes de sa filmographie - la passion, la famille, la jalousie, la sexualité, la loyauté, le péché, le pardon, les luttes de classe... - en réalisant un film noir, quasiment religieux, dont les contrastes sont accentués et même sublimés par le chef opérateur Giuseppe Rotunno.

Rocco et ses frères est l'histoire de cinq frères qui tentent de s'intégrer à la vie urbaine. Deux d'entre eux vont convoiter la même femme, une prostituée, Nadia. C'est sans doute ce personnage féminin qui nous hante encore 55 ans après sa présentation au Festival de Venise, incarné par la toute jeune Annie Girardot, dont c'est le premier "grand" film, plus connue pour ses performances au théâtre (c'est d'ailleurs à la Comédie Française que Visconti l'a repérée avant de la dirigée sur scène en 1958). Pourtant Visconti a eu toutes les peines du monde à convaincre ses producteurs de l'enrôler, au point de changer de financier. Magnétique et mélancolique, angoissé et fascinant, le visage de Girardot envahit longtemps nos mémoires, et pas seulement à cause du destin tragique qui l'attend.

Evidemment, il ne faut pas oublier les cinq frères: Spiros Focas, Max Cartier, Rocco Vidolazzi, Renato Salvatori et Alain Delon. Un quintet d'hommes bruns, beaux et très différents. Delon (qui interprète Rocco, prénom choisi en référence au poète italien Rocco Scotellaro) est alors d'une beauté renversante, explosant de sensualité, à la fois candide et romantique, incandescent et charmeur, capable de répondre aux violences des situations (où la boxe joue un rôle essentiel pour illustrer la brutalité de l'époque). Il n'est pas encore la star qu'il va devenir. Il est la face lumineuse d'un groupe où les caractères sont affirmés (et d'ailleurs écrits chacun par différents scénaristes): Vincenzo, le frère aîné calme, et marié à une jolie fille interprétée par Claudia Cardinale (On y croise aussi Roger Hanin, dont on devine l'homosexualité, et Nino Castelnuovo futur vedette des Parapluies de Cherbourg), Ciro, l'étudiant qui s'adapte le plus à Milan, le lien entre tous les frères, le jeune Luca et Simone, le boxeur et rival de Rocco, qui va commettre l'irréparable. Simone est incarné par Renato Salvatori, réputé impulsif et bagarreur, qualités idoines pour le personnage. Au point de faire peur à Girardot quand il doit la poignarder pour les besoins de la scène.

Les damnés

Il faut dire que Visconti n'avait pas son pareil pour manipuler ses comédiens et obtenir d'eux ce qu'il voulait. Ainsi, pour que la rivalité entre Delon et Salvatori soit parfaitement perceptible à l'écran, il n'a pas hésité à choyer le comédien français pour rendre jaloux l'italien.

En plus de trois heures, Rocco et ses frères, comme toujours chez Visconti, propose différentes lectures de la société, des liens familiaux et de la nature humaine, rongée souvent pas de mauvaises pensées, une violence tantôt étouffée ou bien réelle (la séquence du viol subira une remarque de la censure). Le portrait assez négatif d'une Italie en mutation, pas vraiment relevée de l'après-guerre, entrant dans l'ère urbaine, sert d'arrière plan à un tableau parfois sombre, mais jamais désespérant, d'un groupe d'individus dont les liens du sang ne suffisent pas à protéger les âmes damnées qui choisissent le mauvais camp. Et puis on peut aussi vouloir le revoir pour se damner de ces beaux mâles et revoir le génie subtil d'Annie Girardot.

César 2012 : record d’audience pour une cérémonie longue et ratée

Posté par vincy, le 25 février 2012

Le palmarès, qui ne peut pas nous satisfaire évidemment, n'aura pas surpris grand monde - hormis peut-être la défaite de Maïwenn dans la catégorie réalisateur et le triomphe d'Omar Sy face à Jean Dujardin dans a catégorie acteur. Ces 37e César ont offert peu de moments mémorables durant les 2h45 de cérémonie au Théâtre du Châtelet. Pourtant Canal Plus a rassemblé 3,9 millions de téléspectateurs, soit 18% d'audience. Un record d'audience, et plus d'un million de téléspectateurs supplémentaires par rapport à l'an dernier.

La soirée commençait relativement bien avec un montage où l'animateur Antoine De Caunes, pas mauvais mais un peu tiède, s'incrustait dans quelques films césarisables (mais pas tous, hélas) et une transition entre la séquence de danse de Polisse à l'écran puis sur la scène, avec JoeyStarr et ses quelques pas de danse au public. Puis tout a déraillé. Des présentations trop longues, des textes mal rythmés, pas très bien écrits (les gags s'éternisaient) offrant de grands moments de solitudes aux intervenants, ont plombé l'ambiance. Malgré le talent de certains, difficile de rattraper ces baisses de tempo. D'autant que les discours des gagnants étaient souvent maladroits, peu inspirés et l'émotion manquait souvent.

Sans compter quelques dérapages en direct (Mathilde Seigner gâchant le César de Michel Blanc en faisant acte de favoritisme pour JoeyStarr), une série de présentations ratées (mention spéciale à celle d'Alexandre Astier) ou des plantages involontaires (qui pouvait comprendre le franglais de Michel Gondry quand il rendait hommage à Kate Winslet?).

On sauvera cependant quelques séquences :  l'arrivée sur scène de Kate Winslet (quelles formes), le beau montage en l'honneur d'Annie Girardot, la vanne sur Megaupload, deux trois discours (Michel Blanc, Omar Sy, la monteuse de Polisse), l'humour décalé de Sara Forestier, le clin d'oeil de Valérie Lemercier, la surprise rédemptrice de Mathieu Kassovitz (qui avait enflammé Twitter en insultant les Césars, comme Dany Boon les avait critiqué violemment avant de venir en remettre un). On peut aussi avoir été charmé par la tentative de Julie Ferrier de nous faire rire avec le dressage d'animaux...

L'intervention la plus drôle fut sans conteste celle de Laurent Lafitte, génial Maître de Cérémonie des Molières l'an dernier, et qui nous aura fait regretté de ne pas être celui des Césars cette année : en remettant le César du meilleur film étranger, il commence à égrainer la liste des nommés dans la catégorie du meilleur français dans une actrice américaine (avec une forte connotation sexuelle assez réjouissante, vidéo).

Reste le côté "fashionista". On ne jouera pas les critiques capillaires (le roux de Bérénice Bejo) ou vestimentaires (la robe de Carmen Maura). Mais notons cette année que les décolletés étaient plongeants. Un défilé de seins était offert à tous les regards (et certaines poitrines auraient affolé le téléspectateur si l'écran était en 3D : Aure Atika, Valérie Bonneton, Sylvie Testud, Kate Winslet ...). C'est sans doute l'explication à ce record d'audience digne de Miss France.

Césars 2012 : la guerre est déclarée

Posté par vincy, le 27 janvier 2012

Toutes les nominations aux Césars 2012
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6 films sur 7 dans la catégorie reine : les sélections du festival de Cannes ont fournit l'essentiel des nominations pour les Césars 2012. Polisse, prix du jury, arrive en tête avec 13 nominations (dont 7 pour les interprètes!), devant L'exercice de l'Etat (11), The Artist (10) et Intouchables (9). Car le film le plus populaire de l'année, et le 2e film le plus populaire du cinéma français, n'a pas été oublié, y compris dans des catégories souvent oubliées pour les comédies.

C'est l'autre enseignement de cette liste : les films nommés ont été des films à succès. Est-ce parce que les spectateurs n'ont pas si mauvais goût? Professionnels et publics se rejoignent cette année. Cela veut aussi dire que des oeuvres plus radicales n'ont pas trouvé grâce aux yeux des votants : Hors Satan par exemple, ou encore le magnifique Tomboy ; ou encore L'apollonide, qui n'est dans aucune grande catégorie ; même Guédiguian et Hansen-Love ont semblé avoir été oubliés. Pater pourrait être l'exception (meilleur film et meilleur réalisateur) et on pourrait regretter l'absence de Lindon dans les nominations. Mais Polisse, The Artist, Intouchables ont ont trouvé un large public, Le Havre et L'exercice de l'Etat ont séduit au delà des espérances. On retrouve le même phénomène dans la catégorie du meilleur film étranger.

Ce qu'on retiendra surtout c'est évidemment la touche féminine de cette édition 2012. Deux films réalisées par des femmes, Polisse et La guerre est déclarée, squattent les catégories artistiques et techniques. Idem pour les nominations au César du meilleur premier film. Même si elles restent minoritaires, les réalisatrices ont montré que le vent frais qui souffle sur le cinéma français venait d'elle. Les deux films ont des sujets très différents : mais ils sont tournés avec une vraie liberté, une envie d'aller au plus près de la vérité, et sans ennuyer. Au contraire, elles cherchent l'émotion, à travers des visages ou des images. Mais dans les deux cas c'est un cinéma vif, réalisé un peu en marge du système, et surtout très personnel qui est reconnu.

Les 37e Césars rendront hommage à Annie Girardot, honoreront Kate Winslet et seront présidés par Guillaume Canet.

2011 – février : Annie Girardot disparaît

Posté par vincy, le 26 décembre 2011

28 février 2011. Immense émotion dans le cinéma européen. Une grande comédienne nous quitte. Annie Girardot, 79 ans, succombe à sa longue maladie. Populaire (elle fut longtemps l'actrice la mieux payée du cinéma français) et talentueuse (primée à Venise et 3 fois césarisée), Girardot avait été de tous les plateaux : théâtre, cinéma, télévision, doublage. Jeune et belle, avant que l'alcool et ses passions ne la dévorent,  elle a ému aux larmes quand elle avoua un soir que le cinéma français l'avait oubliée. Pour ne pas dire laisser tomber. Elle disait cela alors que sa mémoire allait lui jouer un dernier tour en se perdant dans la maladie. Entre France et Italie, Girardot a tourné avec Visconti, Oury, De Broca, Lelouch, Ferreri, Pinoteau, Bertucelli, Boisset, Comencini, Blier, Haneke, Nakache et Toledano, ... Tragédienne et comique, vieille dame bouleversante ou jeune femme en furie, épouse mélancolique ou flic qui porte la culotte, elle était toutes les femmes à elle seule.

Tout le bilan 2011

Ainsi s’en va Annie Girardot (1931-2011)

Posté par MpM, le 28 février 2011

Annie GirardotLes témoignages affluent suite à la disparition d'Annie Girardot. Pour Line Renaud, c'était "un monument du cinéma français, une immense actrice, très instinctive et toujours juste". Elle se souvient avec émotion et humour du film qu'elles avaient tourné ensemble en 1995, Les filles du Lido. "Depuis, on se surnommait Les Gourdasses en souvenir du tournage."

Mireille Darc ne tarit pas d'éloges : "Annie était une très, très grande. Jouer avec elle était un éblouissement. Elle était étonnante. Elle aimait la vie. Annie était une femme de coeur et était généreuse. Pour moi, c'était plus qu'un modèle sur le plan artistique. Annie pouvait incarner tous les rôles. En Italie, j'ai habité chez elle. C'était quelqu'un d'extraordinaire qui dévorait la vie."

Quant à Bertrand Blier, il se dit "sous le choc". "Les Français s'en souviennent comme d'une actrice qui avait joué dans beaucoup de comédies, elle avait pris un virage très populaire après Rocco et ses frères. Mais elle était pleine d'émotion et de souffrance. Elle craquait facilement, comme sur la scène des César".

En 1996, l'actrice avait en effet suscité une violente émotion en recevant le César du meilleur second rôle féminin pour sa composition dans Les Misérables de Claude Lelouch, après une longue absence des écrans. En pleurs,  elle avait lancé au public : "Je ne sais pas si j'ai manqué au cinéma français mais à moi, le cinéma français a manqué follement... éperdument... douloureusement. (...) Et votre témoignage, votre amour me font penser que peut-être, je dis bien peut-être, je ne suis pas encore tout à fait morte."

Après cela, elle a continué à tourner (Ceci est mon corps de Rodolphe Marconi, La pianiste puis Caché de Michael Haneke, C'est beau une ville la nuit de Richard Bohringer...) jusqu'à ce que la maladie d'Alzheimer ne la rattrape. En 2008, elle apparaît une dernière fois dans le documentaire de Nicolas Baulieu Ainsi va la vie où elle délivre un message d'adieu à la fois sobre et poignant.

Elle voulait que l'on se souvienne à sa place des films qu'elle avait tournés, si nombreux, et avec de si prestigieux réalisateurs : Marcel Carné, Marc Allégret, Marco Ferreri, Luchino Visconti, Jean Delannoy, Mario Monicelli, Philippe de Broca, Michel Audiard, Luigi Comencini, Claude Lelouch, Bertrand Blier, Michael Haneke... Et bien sûr, certains de ses personnages sont entrés depuis longtemps dans le panthéon du cinéma. A commencer par Nadia, la prostituée de Rocco et ses frères, aux côtés d'Alain Delon et surtout de Renato Salvatori, celui qui allait devenir le grand amour sa vie.