La 20e édition du Festival Ecrans Noirs à Yaoundé (Cameroun) s'est terminée samedi. Créé par le réalisateur Bassek Ba Kobhio, l'association Ecrans Noirs, qui organise l'événement, a pour objectif la diffusion des créations cinématographiques de six pays d’Afrique centrale (Cameroun, Gabon, Congo, République démocratique du Congo, République centrafricaine et Tchad) dans un continent qui souffre cruellement d'équipements pour le cinéma.
Cette année, le marocain Hicham El Jebbari a reçu l'Ecran d'or du meilleur film pour Larmes de Satan tandis que le prix du meilleur documentaire a été décerné au français Laurent Chevalier pour La trace de Kandia. La compétition confrontait CEO (Nigéria), Naked Reality (Cameroun), Sans regret, Innocent malgré tout (Cote d'Ivoire), Dealer (Congo), Le Pagne (Niger) et Katutura (Angola). Autant de films qu'on ne verra peut-être pas en France. Au moins CEO a bénéficié d'une avant-première inédite en étant diffusée sur un vol Lagos - Paris de la compagnie Air France (lire aussi le le reportage sur la jet set nigérienne et Nollywood à 10000 m d'altitude sur LeMonde.fr).
Mais si Ecrans Noirs a su s'installer au fil des ans, le problème de la visibilité des films africains perdurent. Manquant de salles, les pays d'Afrique de l'Ouest et du centre compensent avec la vidéo et internet. Youtube se targue d'être le premier diffuseur de films africains et un film qui n'y est pas a peu de chances d'être vu, y compris hors du vaste continent.
Un parc de salles insuffisant mais en progression
Récemment à Yaoundé, le groupe Vivendi a lancé la première de ses salles - Canal Olympia - parmi un grand nombre de cinémas prévus à Conakry en Guinée, à Cotonou au Bénin, à Brazzaville en République du Congo et à Dakar au Sénégal. C'est la première salle au Cameroun depuis 25 ans.
A Libreville au Gabon, il n'existe que la salle du Centre culturel français. A N'Djamena au Tchad, le Normandie n'a rouvert qu'en 2011 après 30 ans de fermeture. Mais les choses bougent. Outre les ambitions de Vivendi, il y a d'autres groupes ou promoteurs qui y voient un futur eldorado. Le cinéma Sea Plaza à Dakar, ouvert en janvier dernier, fait coexister blockbusters et films locaux.
Abidjan compte quelques vraies salles de cinéma, mais en a perdu beaucoup (notamment les légendaires cinémas du quartier de Yopougon). Cependant, le Majestic Ivoire, situé dans l'Hôtel Sofitel, fermé au début des années 2000, a rouvert il y a quelques mois, équipé pour la 3D. Enfin, le Nigéria a engagé un vaste plan de construction de cinémas et dispose de l'industrie la plus structurée (distributeurs, producteurs...).
Depuis le rapport d'Unifrance remis il y a deux ans, les choses ont bougé.
Un problème de visibilité que compense en partie Internet
Pourtant, vu le retard pris, les producteurs misent avant tout sur la télévision, la vidéo et le web. Internet est d'autant plus crucial qu'il permet de toucher les expatriés dans le monde entier et surtout de faire connaître à l'international les productions nationales. Car là aussi, hormis quelques cas comme Timbuktu ou Un homme qui crie, peu de films d'Afrique de l'Ouest ou d'Afrique centrale parviennent à attirer des publics européens ou américains, quand ils sont distribués. Grâce à des liens de plus en plus intenses entre la Chine et l'Afrique, l'avenir serait peut-être en Asie: "L’industrie africaine du cinéma est une opportunité unique pour les investissements chinois sur le continent, expliquait il y a un an le professeur Nusa Tukic qui étudie les relations culturelles entre la Chine et l’Afrique à l’université Stellenbosh en Afrique du Sud. Et il existe de plus en plus de films qui prennent la Chine comme décor."
Chine et France
Dans cet article, il était rappelé que de plus en plus de sociétés chinoises investissent dans le secteur de la diffusion en Afrique, à l'instar de Star Times. "Les entreprises chinoises et nigerianes opèrent déjà conjointement des réseaux satellites, avec des signaux numériques de télévision couvrant 84% du continent africain. Le mariage de Nollywood et Chinawood devrait permettre d’alimenter les tuyaux. Certains l’ont bien compris. Le cinéaste Abderrahmane Sissako travaille en ce moment sur un nouveau projet de long-métrage ayant pour cadre la Chine et l’Afrique: « Avant tout une histoire d’amour, explique-t-il. Je veux montrer la mondialisation, la réalité d’un monde qui change. »"
Car hormis les trois grands producteurs du continent - Maroc, Nigéria, Afrique du sud - le cinéma africain souffre d'une dépendance vis-à-vis des aides internationales (et essentiellement françaises et européennes). Le CNC, à travers sa commission "Aide aux cinémas du monde" dispose d'un budget total de 6 millions d’euros. Ce sont surtout des films du Maghreb qui sont aidés. L'an dernier, le CNC a ainsi apporté son aide à Hedi de Mohamed Ben Attia (Tunisie), Ali, la chèvre et Ibrahim de Sherif El Bendary et Clash de Mohamed Diab (Egypte), La Miséricorde de la jungle de Joel Karekezi (Rwanda), Ladji Nyè de Daouda Coulibaly (Mali), Banc d'attente de Suhaib Gasmelbari Mustafa (Soudan), Dent pour dent de Mamadou Ottis Ba et Félicité de Alain Gomis (Sénégal), Indivision de Leila Kilani et Vigile de Faouzi Bensaïdi (Maroc), L'Abattoir de Lahsen hassen Ferhani et Le Fort des fous de Narimane Mari (Algérie).
Il y a un peu de lumière au bout du tunnel: le cinéma tunisien et le cinéma égyptien renaissent et sont de nouveau en vedette dans les grands festivals européens. Hedi a ainsi emporté deux prix à Berlin en février (dont celui du meilleur premier film). Des festivals - Marrakech, mais aussi Abu Dhabi et Dubai, permettent de mettre davantage à l'honneur ce cinéma méconnu auprès des professionnels. Et le Fespaco de Ouagadougou reste un événement incontournable chaque année.
En France, des festivals comme le Festival International Des Films De La Diaspora Africaine (en septembre à Paris), le Festival des Cinémas d'Afrique du Pays d'Apt (en novembre) ou Cinemas et Cultures d'Afrique (en mai à Angers) contribuent au rayonnement du cinéma de ce continent.