Les reprises de l’été: Adlon, Imamura, Salles et Walsh

Posté par vincy, le 11 juillet 2018

Bagdad Café de Percy Adlon (1987)

L'histoire: Une touriste allemande quitte son mari et se perd en plein désert, avec la valise de son époux. Elle s'arrête au Bagdad Café, un vieux motel sur la route 66. La bavaroise se retrouve dans un rade poussiéreux, refuge à marginaux, tenu par une mère célibataire épuisée. L'étrangère va bouleverser tout cet équilibre précaire et attirer de nouveaux clients grâce à ses talents de magicienne.

Pourquoi il faut le voir? Outre le tube lent et hurlant, "Calling You", qui a fait le tour du monde, le film a été un gros succès (plus tard décliné en série TV et en comédie musicale), en France notamment (2,3 millions de spectateurs, deux César). A la fois mélo et comédie, ce feel-good movie a été une sensation des années 1980 alors qu'il est dépourvu d'intrigue. C'est sans doute ce qui le rend assez atemporel. Son esprit de liberté et son message positif (les barrières culturelles et les préjugés s'effondrent) font de cette fantaisie folklorique une fable généreuse.

La Ballade de Narayama de Shohei Imamura (1983)

L'histoire: En 1860, dans un village pauvre du Japon, les habitants atteignant 70 ans doivent aller mourir tranquillement sur le sommet de Narayama, aidés par leur fils aîné. La mère de Tatsuhei a 69 ans et se résigne pour le grand départ, alors qu'elle est encore vaillante. Elle règle les affaires de famille (mariages, dépucelage, et autres garantie que tout aille mieux après sa mort).

Pourquoi il faut le voir? Palme d'or en 1983, cette adaptation d'une nouvelle de Shichiro Fukazawa (la deuxième après celle de Keisuke Kinoshita en 1958) est remarquable par son réalisme, filmé en décors naturels, avec un regard presque documentaire. Imamura joue les peintres d'un Japon cruel, primitif et conservateur, tout en apportant un lyrisme sublime et une émotion palpable entre la mère et son fils. Le naturalisme et l'animalerie qui composent les plans montrent à quel point l'homme reste un "sauvage" et même un barbare. Sans aucun doute un des film les plus sombres et les violents derrière ce récit communautaire en apparence banal.

Central do Brasil de Walter Salles (1998)

L'histoire. Dora est une retraitée de l'éducation nationale qui travaille à la gare centrale de Rio de Janeiro, en écrivant des lettres pour les analphabètes. Elle est aigrie, a priori peu sympathique. Un jour, le jeune fils d'une de ses clientes, tuée dans un accident de circulation, laissée à la rue, se pointe devant elle. Sans aucune culpabilité, Dora le vend à un trafiquant d'organes. Mais sa voisine lui fait comprendre que cette fois-ci elle a été un peu trop loin. Elle récupère Josué, 9 ans, et accepte de partir dans le Nordeste pour retrouver le père du garçon. La vieille dame va progressivement s'adoucir...

Pourquoi il faut le voir? Ours d'or et Ours d'argent de la meilleure actrice à Berlin, prix du public à San Sébastian, deux fois nommé aux Oscars, Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, Central do Brasil a été l'un des films phénomènes de l'année, révélant un documentariste dans le domaine de la fiction. Sentimental, acide, ce film dans la veine du néo-réalisme italien a permis à sa comédienne Fernanda Montenegro d'être couronnée un peu partout après 40 ans de carrière. Mais ce qu'on retient de cette histoire belle et touchante, c'est la générosité qui s'en dégage Cette quête identitaire, cette espérance enfouie dans une société dure, où la survie sociale et matérielle et les illusions mystiques vendues par les évangélistes laissent peu de place à la sincérité. Un vrai coup de cœur à l'époque. Et encore maintenant, sans doute par la surdose d'humanité qui s'en dégage.

La femme à abattre de Raoul Walsh et Bretaigne Windust (1951)

L'histoire: Un truand chargé de témoigner contre le patron d'un syndicat du crime est tué, malgré la protection de la police. Le chef du groupe criminel peut donc être libéré, en l'absence de preuves contre lui. Un inspecteur de police décide de trouver une preuve pour le confondre définitivement.

Pourquoi il faut le voir? Humphrey Bogart est ici à l'affiche de son dernier film avec la Warner Bros, après 25 ans de bons et loyaux services. En soi c'est notable. Pourtant The Enforcer a d'autres atouts. La construction avec plusieurs flashbacks était assez novatrice pour l'époque (tout s'alterne: l'enquête et la traque). La sémantique aussi, qui fait passer le film noir au film de gang, avec des mots "nouveaux", jargon de maffieux inconnu des flics comme des spectateurs. Et puis il y a cette particularité d'une co-réalisation. En fait Vretaigne Windust est tombé malade durant le tournage, Raoul Walsh a pris le relais, tournant l'essentiel du film. Classe, le cinéaste n'apparaît pas au générique, persuadé que ce film permettrait à Windust de s'affirmer dans le milieu.

Dorothy Malone s’envole (1924-2018)

Posté par vincy, le 21 janvier 2018

L'actrice américaine Dorothy Malone, âgée de 93 ans, est décédée vendredi 19 janvier à Dallas. Malone a été l'une des rares actrices à travailler durant plus de 50 ans à Hollywood avec plus de soixante films au compteur. Après quelques petits rôles chez Michael Curtiz (Nuit et jour), Howard Hawks (Le grand sommeil) ou Raoul Walsh (One sunday Afternoon, elle commence à se faire un nom dans les années 1950 après le succès de la Fille du désert du même Walsh.

Elle enchaîne les films, les genres, les styles. Belle et élégante, aussi à l'aise dans le film noir que dans la romance, le western ou la comédie, on la voit dans L'Homme du Nevada (The Nevadan) de Gordon Douglas, Du plomb pour l'inspecteur (Pushover) de Richard Quine, Artistes et Modèles de Frank Tashlin ...En 1954 la brunette passe blonde platine. Et sa notoriété explose. En 195, après une série de films médiocres, avouons-le, elle s'impose grâce au chef d'œuvre de Douglas Sirk, avec Rock Hudson, Lauren Bacall et Robert Stack, Ecrit sur du vent. Dans ce quatuor amoureux et malheureux, elle incarne une femme nymphomane, riche et auto destructrice . Ce qui lui vaut l'Oscar du meilleur second-rôle féminin (et une nomination aux Golden Globes). Elle tourna avec le même cinéaste l'année suivante La Ronde de l'aube (The Tarnished angels).

Vedette des années 1950 ( L'homme aux mille visages avec James Cagney, Une femme marquée, Quantez, leur dernier repaire), la comédienne aura moins de choix cinématographiques dès le début des années 1960 (on soulignera sa prestation remarquable dans El Perdido (The Last sunset) de Robert Aldrich). Elle tourne alors pour la télévision (Les incorruptibles, L'homme de fer, Les rues de San Francisco, Vegas...).

Populaire et aimable, elle avait le don pour troubler le spectateur, allumer le plus insensible mâle partenaire, et pourtant... derrière cette image de jeune femme bien élevée mais pas dupe, elle avait survécu à la mort de ses deux sœurs et de son frère. Son dernier rôle au cinéma, et celui qui parlera aux plus jeunes générations, est celui d'Hazel Dobkins, une amie de Catherine Tramell dans Basic Instinct de Paul Verhoeven. Une vieille dame digne et chic qui a quand même été une criminelle psychopathe ayant tué toute sa famille.

Dorothy Malone était réputée pour ses yeux bleus magnifiques, mais n'a pas pas eu les films qu'elle méritait. D'ailleurs, c'est avec la série Peyton Place qu'elle a conquis sa popularité et aussi touché ses plus importants revenus. Mariée deux fois (dont la première fois avec un ex de Ginger Rogers, le français Jacques Bergerac, avec qui elle a eu deux enfants), elle vivait une retraite paisible, s'occupant de ses petits-enfants.

La Rochelle 2012 : Raoul Walsh, cinéaste de la virilité

Posté par Martin, le 9 juillet 2012

Auteur de près de 120 films de 1915 à 1968, Raoul Walsh fait partie de ces réalisateurs américains qui sont passés du muet au parlant, de studio en studio, de genre en genre, tout en travaillant des motifs très personnels. Souvent comparé à John Ford – avec qui il a notamment en commun d’être borgne – Raoul Walsh donne libre court à ses obsessions propres loin de l’humanisme fordien. Ce qui l’intéresse plus que tout, c’est de montrer la constitution ou la dissolution d’un groupe d’hommes : comment un homme infiltre un monde dans lequel il n’est pas né. La femme reste ainsi désespérément au second plan dans ce un monde viril ; ce n’est pas un hasard si les genres de prédilection du cinéaste sont le film noir, le western – où les rôles féminins sont très codifiés – ainsi que le film de guerre – dont elle est souvent exclue. La femme est objet d’une rivalité plus que sujet véritable, personnage secondaire plus que principal. Misogyne, le cinéma de Raoul Walsh ? Réponses en cinq chapitres et huit films.

La femme est le pantin : Au Service de la gloire (What price glory, 1926)

Si le trio amoureux est un lieu commun, il prend chez Walsh un tour inédit. Dans Au Service de la gloire, le Capitaine Flagg (Victor McLaglen) et le Sergent Quirt (Edmund Lowe) se battent pour une prostituée, puis se retrouvent à courtiser une seconde femme, la même, avant d’en séduire une troisième, Chamaine (Dolorès Del Rio), dans un petit village français en 1917. Il y a là, plus qu’une question de goût commun, un transfert entre les deux hommes. Les femmes font le lien entre eux. Les deux hommes échangent d’ailleurs aussi leur poste dans le village du Nord de la France. Quand le Capitaine Flagg revient des tranchées et s’aperçoit que Quirt a gagné du terrain dans la conquête de Chamaine (les sous-entendus sexuels ne laissent pas de doute sur la réussite de cette conquête, pour chacun d’entre eux), il profite de la fureur du père de la jeune fille pour organiser le mariage de Quirt et de Chamaine. Heureux paradoxe : pousser la femme qu’il désire dans les bras de l’autre pour devenir non pas un mari trompé, mais l’amant d’une part, et rester libre d’autre part. Epouser Chamaine est tout autant une punition pour le Sergent, qui semble croire perdre en virilité s’il l’épouse : le statut de mari est une nette chute par rapport à celui de combattant. Les sirènes de la guerre l’appellent cependant à temps pour lui éviter l’emprisonnement du mariage. Il y a en réalité deux films dans ce chef d’œuvre précoce de Walsh : la légèreté de la comédie du trio amoureux s’oppose à la gravité de grandioses scènes dans les tranchées. Les plans les plus beaux sont aussi les plus émouvants. Sans surprise, ce sont ceux représentant les hommes entre eux, véritable lieu du lyrisme : dans une cave devenue tombeau, un très jeune soldat fils à maman meurt dans les bras de Flagg ; la lumière religieuse qui tombe sur le corps, les gros plans qui lient les deux visages touchent au sublime, et un soldat apparaît à la porte criant l’horreur de la guerre – dans un carton tel un manifeste puisque le film est muet : qu’ont-il cherché tous ces hommes à s’entretuer ainsi ? La gloire en valait-elle le prix ? Ne valait-il pas mieux en poursuivre la version légère – se battre pour une femme ? Pourtant, ce message pacifiste ne sera pas entendu par le Capitaine et le Sergent. S’ils délaissent la femme, ce n’est pas par homosexualité latente, c’est qu’ils ne sont rien de moins qu’épris de leur propre mort érigée en héroïsme.

Une femme pas si dangereuse : L’entraineuse fatale (Manpower, 1941)

Il n’y a pas de « femme fatale » à proprement parler dans le cinéma de Raoul Walsh. C’est l’amitié entre les hommes qui leur est fatale. Le titre français de Manpower est un contre-sens : l’entraîneuse, Fay, a beau être interprétée par Marlène Dietrich, elle ne peut rien face à ce pouvoir qui lie Hank (Edward Robinson) et Johnny (George Raft). Fay sort de prison, épouse le gentil Hank, mais aime en secret Johnny qui se méfie d’elle et refuse de céder à ses avances. Les scènes entre hommes ont cette fois lieu non dans les tranchées, mais sur un autre terrain dangereux : ils réparent les lignes à haute tension. C’est là que la passion se joue pour les hommes, alors que les bars où ils rencontrent des filles ne sont que l’occasion de dépenser un peu d’argent. Mais Fay / Marlène Dietrich n’est pas un personnage anodin dans le cinéma de Walsh – ni dans le cinéma américain tout court : c’est une femme qui désire. Dans une très belle tirade, Fay dit son amour à Johnny ; son désir électrique est patent dans le rapide baiser qu’elle vole à Johnny. Mais celui-ci, falot, ne veut pas trahir son meilleur ami et ramène la jeune femme dans les bras de son mari au moment où elle est en train de partir. Le passage d’un homme à l’autre se joue une nouvelle fois par le prisme de la femme, et les fils électriques qui cassent et que les personnages réparent font office de métaphore : c’est bien leur lien qui donne sa tension au récit.

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Judith Anderson, gouvernante perpétuelle de « Rebecca »

Posté par benoit, le 4 novembre 2008

judithanderson.jpgDans le domaine de Manderley, une silhouette sombre aux traits et aux cheveux tirés semble flotter et apparaît sans bruit comme une figure de cartoon macabre. Si Mme Danvers, la gouvernante des lieux, s’ingénie à torturer la nouvelle Lady de Winter (la sublime Joan Fontaine, à gauche sur la photo), c’est par amour pour Rebecca, sa maîtresse disparue. Gardienne de sa mémoire, elle règne sur la chambre de la défunte. Morbide jusqu’au fétichisme, elle remet en place une brosse à cheveux telle une relique. Caresse sur sa joue une fourrure des plus douces. Plonge ses doigts dans une lingerie si fine que la peau s’y dévoile. Dévorée par le souvenir, Mme Danvers finit par incendier Manderley pour que personne ne prenne la place de Rebecca.

À mi-chemin entre le drame romantique et le film noir et gothique, Rebecca est la première réalisation de Hitchcock à Hollywood. Adapté d’un roman de Daphné du Maurier, le personnage central de l’intrigue - bien que secondaire - est celui de Mme Danvers interprété à la perfection par Judith Anderson. Ce rôle tragique est complexe. Il traduit non seulement le désarroi d’une domestique frustrée par la mort de sa maîtresse, mais symbolise aussi le rejet de la société tout entière envers les amours homosexuelles. D’où son statut de gouvernante qui la condamne à rester dans l’ombre et à périr dans les flammes comme une sorcière.

Judith Anderson (à droite sur la photo), de son vrai nom Frances Margaret Anderson-Anderson, voit le jour le 10 février 1897 à Adelaide, en Australie. Elle débute au théâtre à Sydney, puis émigre aux Etats-Unis en 1918. Son incarnation de Lady Macbeth sur les planches new-yorkaises dans les années 1930 la fait entrer dans la légende. En 1940, Alfred Hitchcock l’engage pour incarner Mme Danvers dans Rebecca. Elle est nommée à l’Oscar du meilleur second rôle féminin qu'elle ne remporte pas. Judith Anderson se spécialise alors dans les personnages de femme sévère, de matrone vicieuse au physique revêche. Elle campe la rivale de Gene Tierney dans Laura (1944) d'Otto Preminger, la mère torturée de La Vallée de La Peur (1947) de Raoul Walsh avec Robert Mitchum. Elle interprète toutefois un personnage bienveillant, celui de Big Mama dans La chatte sur un toit brûlant (1958) de Richard Brooks aux côtés de Paul Newman et d’Elizabeth Taylor. Judith Anderson meurt le 3 janvier 1992.