Berlinale 2019 : culpabilité, résilience et idéologies au centre de So long my son de Wang Xiaoshuai

Posté par MpM, le 14 février 2019

Seizième et dernier film présenté en compétition à Berlin cette année, So long, my son de Wang Xiaoshuai est comme on pouvait s’y attendre une fresque intime et tragique qui raconte en filigrane la grande histoire de la Chine sur plusieurs décennies. On y suit trois couples liés par une profonde amitié depuis l’époque de la Révolution culturelle, et qui sont tour à tour touchés par les conséquences directes de la politique du régime ainsi que par des drames plus personnels.

Wang Xiaoshuai explore ainsi les thèmatiques liées à la culpabilité et à la résilience, tout en mettant en évidence les conséquences des décisions politiques idéologiques sur l’existence concrète des gens. Il s’attaque notamment à la politique de l’enfant unique, dont on sait qu’elle a été parfois appliquée si strictement que des avortements forcés ont été pratiqués sur des femmes presque à terme. Sans véhémence, et parfois même avec une ironie noire, lorsque les personnages principaux sont récompensés publiquement pour un avortement qui leur a été imposé, le cinéaste rappelle que cette politique est un cas assez exemplaire de contrôle extrême du corps des femmes et de la vie intime des individus. Politique dont il « oublie » pudiquement de préciser qu’elle a mécaniquement induit un déséquilibre entre la population masculine et la population féminine du pays.

Toutefois, le film ne se veut pas à charge, et s’avère surtout dépourvu de rancoeur contre les individus. Les protagonistes excusent l’enfant responsable de la mort de leur fils, car il n’est qu’un enfant. Ils pardonnent aussi à celle qui ne fait qu’appliquer la loi et suivre les règles éditées par le régime (même si obéir aux ordres n’excuse jamais l’inexcusable). C’est le système lui-même que blâme en filigrane le film, mettant au jour les fissures dans le mythe du succès économique et social chinois, et pointant les effets chaotiques sur les individus d’un pays en constante évolution forcée.

Finesse des émotions

So long, my son s’avère ainsi un portrait sensible et attachant d’une poignée d’individus qui tentent de vivre leur vie le plus sereinement possible malgré les épreuves et les obstacles qu’ils traversent. Le récit prend son temps (même si l’on ne sent pas passer les trois heures du film) et assume ses accents mélodramatiques comme la tendresse qu’il porte à ses personnages. Bien sûr, cette génération a payé au prix fort l’élévation de la Chine nouvelle. Mais le réalisateur a choisi, à travers les retrouvailles finales, de ne justement pas les sacrifier. Il leur redonne ainsi à la fois dignité et espoir, tout en leur permettant d’être autre chose que des pions dont la vie aura été vaine, au service exclusif d’un plan plus large les dépassant.

Il faut d’ailleurs souligner la manière subtile et touchante dont le cinéaste dépeint la relation qui unit le couple central Yaojun et Liyun. Cela ne passe guère par les dialogues, car le film est peu bavard, mais beaucoup par les gestes, le hors champ et la mise en scène tout en retenue. Le relatif classicisme à la fois de l’intrigue (aux rebondissements romanesques à souhait) et du style (de larges plans fixes posés et aérés et une construction complexe par flashback successifs) met d’ailleurs en valeur cette finesse des émotions et des sentiments. Cela permet à Wang Xiaoshuai de replacer l’humain au centre, et de signer un film beaucoup plus riche que ce que son statut de grande fresque historique laissait présager.

Le soleil se lève aussi : la nouvelle promesse de Jiang Wen

Posté par MpM, le 9 août 2008

Le soleil se lève aussi

L'histoire : Succession de contes surréalistes en quatre tableaux qui mêlent deux destins : celui du fils d'une femme étrange et d'un universitaire déchu. La folie y croise les rêves, l'amour les armes. Une invitation au voyage à travers le temps et la Chine, une symphonie de couleurs, de textures et de sons. Avec Joan Chen.

Notre avis : Jian Weng avait fait sensation en 2000 avec Les démons à ma porte, Grand prix du festival de Cannes unanimement salué comme un pamphlet antimilitariste gonflé et percutant sur la guerre sino-japonaise. Tout le monde n’avait pas apprécié la blague, Pékin et Tokyo en tête, ce qui explique sans doute le long silence cinématographique qui s’en est suivi. Mais Jiang Wen est enfin de retour derrière (et devant) la caméra, avec un film qui, s’il ne réitère pas le choc du précédent, offre un savoureux mélange de farce truculente et d’espièglerie politique. L’intrigue (foisonnante, délirante, multiple) ne compte pas tant que les personnages hauts en couleur et les situations bigarrées imaginées par l’acteur-réalisateur. Il y a une femme fantasque qui aime sauter du haut des arbres et creuser des trous dans le sol, au grand dam de son fils singulièrement plus conventionnel. Il y a de jeunes femmes qui crient "cochon" quand on les touche, puis défilent au chevet de celui qu’elles ont accusé. Il y a enfin un homme envoyé en rééducation à la campagne et qui redécouvre les joies simples de la nature, quitte à en négliger l’essentiel. Des destins individuels qui se mêlent à l’histoire collective (la guerre, la révolution culturelle) sous le regard mi-ironique, mi-bienveillant du cinéaste.

Ce dernier ne manque d’ailleurs ni d’audace, ni de références, si bien que l’on croise au détour d’une scène le joyeux n’importe quoi baroque d’un Kusturica, l’outrance onirique d’un Fellini ou encore les fulgurances de Jiang Wen lui-même dans son précédent opus. Cette mise en scène inventive, faussement désordonnée, associée à une palette infinie de couleurs et de nuances, compose un univers rigoureusement personnel et pourtant totalement cohérent. Peu importe si l’on ne voit pas toujours où il veut en venir, ou si l’acharnement symbolique finit par sacrifier la clarté du propos, il y a dans chaque plan, dans chaque mouvement de caméra, presque dans chaque geste des acteurs, une étincelle de cinéma qui couve. Celle-ci ne s’embrase pas à chaque fois, mais l’infinité de possibles à explorer qu’elle offre est à elle-seule une promesse.