Depuis 2004, la sélection Cannes classics permet de (re)voir les plus grands films du cinéma mondial dans des versions restaurées parfois plus belles que les originales. Ces dix dernières années, le colossal travail de préservation du patrimoine cinématographique a en effet pris une ampleur réjouissante, ravivant la beauté de classiques inoubliables comme Le guépard, La 317e section ou Le voyage dans le lune. Pourtant, le grand dynamisme des restaurations ne doit pas masquer les efforts qui restent nécessaires en la matière.
Martin Scorsese a ainsi lancé début avril un vibrant appel en faveur d'une conservation systématique du patrimoine cinématographique. Le réalisateur américain, qui œuvre depuis plus de vingt ans pour la restauration de films comme Journal d'une femme de chambre de Jean Renoir, New York-Miami de Franck Capra ou encore Salon de musique de Satyajit Ray via l'organisation The Film Foundation, réclame un renforcement de l'engagement national envers la restauration et la conservation des films.
"Nous devons insister sur la culture visuelle dans les écoles", a-t-il notamment déclaré."Les jeunes ont besoin de comprendre que toutes les images ne sont pas là pour être consommées puis oubliées, vous voyez. Nous devons leur apprendre à comprendre la différence entre les images animées qui participent au développement de leur humanité et de leur intelligence, et les images animées qui ne font que vendre quelque chose."
Soulignant les bénéfices de la technologie numérique, qui permet de numériser des centaines de films, le réalisateur "oscarisé" de Raging bull et Taxi driver a réaffirmé la nécessité de "tout préserver" : blockbusters, films d'auteur, films expérimentaux...
"Tout comme nous avons appris à être fiers de nos poètes et de nos écrivains, du jazz et du blues, nous devons être fiers de notre cinéma, c'est une forme d'art américain" a-t-il souligné.
En France, la question de la préservation du patrimoine cinématographique se pose également depuis de nombreuses années. Un plan national a ainsi été mené de 1991 à 2006 pour sauvegarder des joyaux du 7e art menacés par le temps.
"Environ 13 000 films anciens (réalisés avant 1953) et quelques autres estimés en danger ont ainsi été sauvés, certains restaurés, d'autres seulement transférés sur un support pérenne" explique Béatrice de Pastre, directrice des collections et des archives du Centre national du cinéma. Le CNC a d'ailleurs lancé l'été dernier un vaste programme de numérisation qui devrait toucher 15 000 oeuvres pour un budget de 400 millions d'euros sur six ans.
La sauvegarde du patrimoine a en effet un coût, estimé entre 80 000 et 150 000 euros pour une restauration complète, et pouvant parfois atteindre des sommets, comme dans le cas de Lola de Jacques Demy (200 000 euros) dont le négatif avait brûlé, ou du Voyage dans la lune de Georges Méliès, 500 000 euros pour 15 minutes de film, tant la pellicule était abîmée.
Aussi, pour entamer la restauration des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, la société Ciné-Tamaris a choisi de faire appel au site participatif Kisskissbankbank. "C'est un mode économique novateur qu'on va reproduire car l'Etat ne peut pas tout financer", dit Rosalie Varda. Le film fait justement partie des pépites présentées en copies neuves lors de la nouvelle édition cannoise.
Cette année, on pourra par ailleurs découvrir des œuvres du patrimoine en dehors de la section qui leur est traditionnellement consacrée. Dans le cadre du fameux "cinéma de la plage" sont en effet programmés Jour de fête de Jacques Tati, Le mécano de la General de Buster Keaton, Les Oiseaux d'Alfred Hitchcock ou encore L'homme de Rio de Philippe de Broca. Autant de preuves, en images, qu'il est indispensable de poursuivre et d'intensifier, au-delà de toute idéologie ou esprit de chapelle, la politique de sauvegarde systématique des œuvres du passé.