Ce n’est que dans les années 1930 que des personnalités du cinéma telles qu’Henri Langlois se sont mobilisées pour sauver les richesses du cinéma muet. Les cinémathèques à travers le monde se sont créées (la Cinémathèque française, en 1936, fut l’une des dernières, bien après l’Allemagne, le Royaume Uni ou les Etats-Unis) pour, d’une part, stocker ces films, et d’autre part, les projeter et leur donner une seconde naissance.
Car après tout, le but de la conservation et de la restauration est d’apporter un regard nouveau sur une œuvre plus ou moins datée. Lorsque le festival de Cannes organise la projection du Guépard, d’Orange mécanique ou même du Sauvage en version restaurée, il soumet ces films au jugement du temps. Ont-ils passablement vieilli ? Ont-ils au contraire gardé (ou amplifié) la force qu’ils possédaient à leur sortie ? Sont-ils toujours des classiques que le temps n’effleure même pas ?
La restauration met les films à l’épreuve. C’est un second jugement, un second regard car, dans l’art comme dans toutes choses, il faut souvent y regarder à deux fois. Combien de films ont été massacrés lors de leur sortie pour être auréolée 20 ans plus tard (Citizen Kane en est un parfait exemple). Mais aussi combien de films subissent le sort inverse ? Ils sont, lors de leur première diffusion, jugée, perçue comme une œuvre agréable et ils souffrent cruellement aujourd’hui des années qui leur sont passées dessus. Et ce film qui était alors autrefois un succès n’est plus que le témoin de cette époque résolue. On le regarde en souriant. Ces défauts deviennent comiques mais il ne faut pas le jeter ou le détruire pour autant. Et la restauration, grâce aux recherches des restaurateurs, permet enfin de découvrir des versions inédites de chefs d’œuvres, comme Metropolis pour ne citer que lui qui a gagné près de 30 minutes (pas inutiles) de métrage !
Les films restaurés sont aussi un musée des souvenirs, ils revêtent un costume qu’on ne leur connaissait pas. Par exemple, un film que l’on juge mauvais peut avoir un intérêt historique, être le témoin privilégié, la transmission vers la postérité d’une ville, d’un métier, d’un trait d’époque qui n’existe plus. Le film se pare d’une valeur historique et/ou sociologique. Il nous informe également sur une façon de faire du cinéma qui n’est certainement plus la même aujourd'hui. La version restaurée inédite du Voyage dans la lune de Méliès, coloriée au pochoir, nous apprend que le cinéma en couleur existait dès les années 1900 mais qu’il fallait pour cela que les artisans du cinéma peignent à la main chaque carré de pellicule !
Grâce à la restauration, c’est aussi le jugement critique qui peut être mis de côté pour ne faire ressortir que le simple plaisir de voir un film un brin provocateur pour son époque, un cartoon des premiers temps ou les premières actualités filmées. Le cinéma est un œil braqué sur le monde. Il a mille fonction mais toujours le même objectif : divertir. La critique perd alors un peu de son sens (éclairer le spectateur) pour ne devenir qu'un reflet déformant, souvent valorisant.
En restaurant les tout premiers films de Chaplin, Losbter Films, la Cinémathèque de Bologne et le British Film Institute donnent à voir la naissance pour ne pas dire la création de Charlot ! Ce n’est pas rien. Ces films de 1914 nous offrent une connaissance plus approfondie de ce qu’était le cinéma burlesque à cette époque, de la position de Chaplin et de son développement artistique en une seule année. Mais aussi de précieuses informations sur les techniques de réalisation, de montage, de production, etc. Il y a une foule de détails dans ces films ! Un spectateur lambda appréciera les gags un peu grossiers et le rythme haletant de ces comédies Keystone.
Serge Bromberg, célèbre restaurateur admiré de tous, désire que le spectateur regarde ses films avec son âme d’enfant. La restauration doit aussi ramener cela : le simple et pur plaisir du spectateur qui se prélasse devant un film, et peu importe sa date de production tant qu'il reste une copie, même abîmée. Car après tout, il n’y a que la contemplation qui compte.
Il ne faut pas oublier ce conseil d’Henri Langlois : « tout conserver ! » Pour cela Ecran Noir a décidé de consacrer une rubrique dédiée à ces films "vintage" sur son blog. En parler comme on parle des autres films. Ce n'est pas seulement faire revivre le patrimoine, c'est aussi le rendre indispensable à nos mémoires.
Car, malheureusement, la place manque pour la conservation et la restauration ne rapporte pas d’argent, malgré les re-sorties en salles souvent réussies et des DVD bien soignés. La VOD/VàD reste un modèle économique à suivre pour rentabiliser les coûts.
Elle n’est nourrie que par le temps et la passion de certains cinéphiles. Si vous trouvez un film chez vous, chez votre voisin, une pépite ou une pellicule, quelque chose qui pourrait être intéressant, n’hésitez pas à le signaler car il peut être sauvé et diffusé au plus grand nombre. Ces films sont comme les trésor des pirates enfouis : la quête devient inestimable...